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Exotisation : comment les fantasmes liés à la race sociologique pourrissent les relations amoureuses

Que ce soit sur Tinder ou dans la vraie vie, de nombreuses femmes attirent des hommes qui ne sont intéressés par elles, que parce qu’elles ont des origines associées à des fantasmes sexuels. Explications.

« Mais tu dois être grave sauvage au lit toi… » ou « C’est marrant, je n’ai jamais testé avec une black » sont le type de commentaires que Keisha, étudiante de 23 ans, a reçu de nombreuses fois de la part d’hommes blancs, qui s’en servaient pour la draguer, en raison de sa couleur de peau. Ou encore Marie, une jeune femme métisse, qui avait un ex qui la préférait quand elle avait les cheveux bouclés, plutôt que lissés, « parce que ça faisait sauvage »…

C’est ce qu’on appelle de “l’exotisation”, qui se définit par le fait de ne considérer une personne, dans un cadre amoureux ou sexuel, uniquement sous le prisme racial. Ça commence souvent par la question « Tu viens d’où ? », au bout d’une seconde de conversation, jusqu’à des remarques beaucoup plus salaces, sur un aspect physique très précis. Elles sont loin d’être les seules concernées par ce phénomène de société, qui apparaît de manière très courante dans le milieu du « dating », et notamment sur les applications de rencontres. Des hommes, mais pas que, et majoritairement blancs, s’intéressent à des femmes racisées, non pas pour ce qu’elles sont, mais plus pour ce qu’elles représentent caricaturalement, afin d’assouvir un désir lié à des clichés bien établis.

Clichés racistes VS Tinder

C’est dans ce cadre-là qu’Elodie* a créé la page Instagram “Femmes noires VS Dating Apps”, recensant les pires phrases que des femmes noires ont reçu lors de conversations en ligne, avant ou après un premier rendez-vous. Ce qui était d’abord un endroit pour partager quelques-unes de ses propres expériences comme exemples concrets, est devenu rapidement un terrain d’expression, où les femmes qui lui écrivent se confient et se rassurent de n’être ni « folles », ni « seules ».

La créatrice de ce compte nous explique qu’elle a eu l’idée après un gros « ras-de-bol » : « J’avais l’habitude de recevoir ce genre de remarques sur les sites de rencontres, je les accumulais et à force d’en parler autour de moi, je me suis rendu compte que je n’étais pas seule dans ce cas. » Le résultat est sans appel, puisqu’en très peu de temps, elle croule déjà sous des centaines de messages par jour.

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Des femmes noires, mais aussi des femmes d’origine maghrébine, asiatiques ou d’ailleurs, ont elles aussi confié après un appel à témoignages, leurs déboires avec des hommes qui les ont reléguées aux stéréotypes raciaux qu’elles étaient censées représenter. De celui qui considère une femme arabe comme un « interdit », à celui qui comme pour Karine, se demande quelle est la couleur des règles d’une femme noire, ou de ses tétons. Sans oublier les termes péjoratifs qui vont avec comme “tigresse”, “panthère noire”, “sauvage”, ou encore “geisha”.

Pauline* 37 ans, en a fait les frais toute une partie de sa vie, avec des hommes blancs, qui lui demandait de porter une tenue d’écolière japonaise (elle est d’origine cambodgienne) lors de relations sexuelles, en la surnommant à plusieurs reprises de « geisha ». « Du coup, j’ai commencé très tôt à éviter les mecs qui collectionnaient les petites copines asiat, je les repère à des kilomètres. Je ne voulais pas être la suivante sur la liste, donc si je vois que le mec qui me plaît a déjà eu une ex asiatique, je m’enfuis. Ça limite les mecs fétichistes. », explique t-elle.

Fantasmes 0 – Racisme 1

Tout le monde a des fantasmes, mais c’est quand ces derniers sont racistes que toute la problématique se crée. GQ se posait la question en août dernier, sous la plume de la journaliste Maïa Mazaurette, où on apprenait alors qu’en 2017, les hashtags pornographiques spécialement liés à la race, avaient progressé, et particulièrement en France.

Tout cet imaginaire remonte à l’esclavage, comme nous l’explique Stéphanie Mulot, docteure en anthropologie sociale et ethnologie de L’EHESS de Paris : « Le couple en soi est déjà une rencontre liée à des fantasmes, mais les mettre ensuite dans des catégorisations raciales est différent et s’explique par plusieurs étapes dans l’Histoire. De la colonisation avec un imaginaire fantasmagorique du corps des femmes qu’on malmène, jusqu’à la pornographie qui a renforcé des pratiques sexuelles déformées, grossissant les traits et en insistant sur l’anatomie des femmes notamment, leurs seins, leurs fesses, leurs cuisses, etc. ».

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En effet, le milieu du porno ne faisant pas de cadeaux aux clichés racistes, avec des corps noirs, arabes ou asiatiques dans des rôles souvent spécifiquement définis, allant de l’animalité pour les noirs à la soumission pour les asiatiques, en passant par la transgression pour une femme arabe, et accessoirement voilée. Ces points clés dans l’Histoire et le passage du porno à la réalité, rend difficile la séduction hors de cette imagerie « colonialiste ».

Difficile de débuter une relation qui repose sur des stéréotypes essentialisant. Certaines trouvent les stratagèmes qu’elles peuvent pour éviter ça, mais impossible de ne pas constater l’impact que ça peut avoir sur la santé mentale et l’estime de soi.

Elodie, derrière le compte Instagram “Femmes Noires VS Dating Apps”, a longtemps pensé qu’elle n’était pas « normale ». Elle se lamente :

« C’est dur de réaliser qu’une personne n’est pas attirée par toi parce que tu es drôle, mignonne ou autre, mais parce que tu représentes soi-disant un pays ou une culture, et de manière souvent très caricaturale ».

Avant d’ajouter qu’elle s’est interdit de faire ou de porter des choses pendant longtemps, pour éviter ces connotations liées au corps des femmes noires et à tous ces clichés autour de la sexualité : « Ça a un impact évident sur la manière dont on se voit. »

Elodie a conscience que d’autres femmes d’origines diverses sont aussi concernées, mais elle a préféré se concentrer sur l’expérience qui lui parlait le plus, en tant que femme noire. Le compte Instagram permet de faire la lumière sur un phénomène loin d’être connu de tous, mais aussi de potentiellement « faire réfléchir les hommes sur leur comportement, afin qu’ils se remettent en question et changent leurs tactiques de séduction » espère-t-elle.

Elle veut continuer de « visibiliser le problème et montrer que ce n’est pas de l’exagération, parce qu’on est plein à avoir vécu la même chose ». Elle espère que ça permettra aux personnes derrière l’écran de « se remettre en question et de se renseigner », et peut-être même que ça donnera l’idée à d’autres personnes concernées de mettre en exergue ce problème.

*Les prénoms ont été modifiés

 

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