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« On sent une inquiétude qui monte, une forme de paranoïa dans la société »

Benevoles-et-employés-des MJC de Paris

Depuis les attentats, des bénévoles et salariés des maisons des jeunes et de la culture d’Ile-de-France s’interrogent : comment empêcher la haine de l’autre de s’enraciner ?

« Doser entre dialogue, compréhension et fermeté »

Maintenir ou pas un concert, une brocante, un atelier ? Derrière cette simple question se noue le dilemme de cette vie d’après-attentat. Ballottée entre ouverture et repli. « Il va falloir doser entre dialogue, compréhension et fermeté de précaution », résume Alain Morel, de l’association CRL10, qui gère plusieurs centres d’animation dans le 10e arrondissement. Un dilemme qui traverse les conversations avec les usagers. Et qui taraude animateurs et administrateurs.

Dans les couloirs de leurs structures, ils sont aux avant-postes pour prendre le pouls de la France d’après les attentats. « Il y a des non-dits qui me font plus peur que ce qui est dit », lance Max Leguem, de la MJC de Limours, petite ville de 6 000 habitants dans l’Essonne où « on n’a pas peur des terroristes, on a peur de l’autre ». « On sent une inquiétude qui monte, une forme de paranoïa dans la société », renchérit Patrick Chenu, directeur régional de la fédération régionale des MJC en Ile-de-France. « Les événements du 13 novembre ont été un test, dans le mauvais sens, sur notre capacité à vivre ensemble, s’inquiète-t-il. Comment va-t-on éviter de tomber dans la haine et le rejet de l’autre après cela ? La crainte, aujourd’hui, c’est que notre capacité à vivre ensemble puisse lâcher. »

« Des discours complotistes »

Sur la « place Mercœur », à l’intérieur de la MJC du 11e arrondissement, une autre paranoïa s’exprime. Les adolescents qui « tiennent les murs », s’éternisant d’ordinaire à l’entrée de la structure, ont trouvé refuge dans son enceinte depuis les attentats. Comme d’habitude, des échanges se nouent avec les animateurs.« Au départ, ils ont unanimement condamné les attaques. Puis on a commencé à entendre des discours complotistes », raconte Noël Morel, animateur du Point information jeunesse de la MJC Paris-Mercœur. « Le mot mercenaireest sorti », poursuit Yves Ben Ayoun.

Certains parmi les jeunes n’hésitent pas à accuser le gouvernement français d’avoir lui-même commandité les attaques qui ont fait 130 morts, avant de réaliser qu’ils n’avaient pas réfléchi au sens du mot « mercenaire ». « Qu’aurait bien pu faire d’un éventuel pactole celui qui s’est fait exploser ? » résume M. Ben Ayoun.

« Garder une posture éducative »

Pour certaines structures, le crédit porté aux discours antirépublicains par certains jeunes, révélé après les attentats de janvier, a été reçu avec « une très grande violence », témoignent certains participants. « Comment garder une posture éducative face à ce type de discours ? » s’interroge Patrick Chenu. Des programmes d’éducation aux médias et aux réseaux sociaux existent, certains développés après les attentats de janvier. Mais tous en réclament davantage. « Il est normal que la réponse de l’Etat ait d’abord été sécuritaire, mais il faudra aussi qu’il y ait des signaux en matière d’éducation », note Patrick Chenu et ce dans un contexte où « la situation financière [des associations] s’est fortement dégradée ces dernières années ».

Dans ce contexte de crispations, lui croit aussi à la force des valeurs des MJC.« Il faut créer les conditions du débat et accueillir chacun tel qu’il est, plaide-t-il.Les MJC font partie des derniers lieux ouverts réellement à tout le monde : enfants, ados, adultes, anciens, riches, pauvres… C’est notre vision républicaine. On sait bien que cela ne suffit pas, mais au moins c’est un endroit où la parole est libre. »

« On est des gentils, on aime bien être vecteurs de paix, renchérit Max Leguem.Mais, aujourd’hui, il va aussi falloir accueillir des discours que l’on ne veut pas entendre. Car s’il y a de la confrontation, c’est qu’il y a du lien social. Et la pire chose que l’on peut perdre, c’est ce lien. »

« On n’a pas compris les “Je ne suis pas Charlie” »

Et si la fracture était déjà trop profonde ? Dans le fond de la salle, Lise Benard, 32 ans, n’a pas encore pris la parole. Ils ne sont qu’une poignée de sa génération à participer à ce temps d’échange. Le téléphone serré dans la main, excusant un léger malaise à parler en public, elle questionne ce lien social loué par tous, mais déjà perdu avec certains publics. « Ce que je vais vous dire, je n’ai pas réussi à l’exprimer après les attentats de janvier et cela ne va peut-être pas plaire à tout le monde, commence-t-elle. Je vois aussi une forme de repli sur soi quand on se retranche, comme le fait le réseau des MJC, derrière un universalisme abstrait. Je pense que cela nous empêche de saisir des choses de la jeunesse d’aujourd’hui ».

« On n’a pas compris ceux qui disaient Je ne suis pas Charlie, ni ceux qui ne faisaient pas la minute de silence, poursuit-elle. Ils ne le faisaient pas forcément pour des raisons malveillantes par rapport aux victimes. Certains se sont sentis mal à l’aise qu’on rende hommage aux victimes des attentats et pas à d’autres dans le monde. Ma jeunesse, celle à laquelle j’appartiens, est aussi touchée par d’autres événements. »

« Il faut qu’on soit à l’écoute », plaide, à ses côtés, salopette sur sweat, Mathieu Verhaverbeke, intervenant culturel dans le 13e arrondissement et à Corbeil-Essonnes (91). « Dans les discours complotistes, il y a du vrai et du faux. Certaines questions et certains problèmes qui sont posés sont justes, ce sont les réponses apportées qui sont fausses. C’est sur ces réponses qu’il faut travailler dans notre travail d’éducation populaire et culturelle. »

« Dire aux jeunes qu’ils ne sont pas nuls »

Madjid Bouchema, 27 ans, n’a pas osé prendre la parole dans l’assemblée. Administrateur de la MJC de Juvisy-sur-Orge et habitant d’une petite cité de cette ville de l’Essonne, il fait aussi le constat de ce décalage. « Les gens sont surpris de ce qu’il se passe. Pas moi, malheureusement. Après les émeutes de 2005, j’ai vu les premiers prédicateurs arriver dans la cité. Ils nous parlaient avec plein de bienveillance et d’amour, se souvient-il. Quelques années plus tard, l’un d’eux a été mis en cause dans l’enquête sur l’affaire Merah. » L’équation de la radicalisation s’est déroulée sous ses yeux. « Ils ont été les premiers à avoir compris les jeunes pour les manipuler. »

« Il faut que l’on continue à valoriser les gens », abonde Yves Ben Ayoun. « Ça commence par trouver un stage aux gamins qui en cherchent, c’est comme ça qu’on évitera qu’ils tombent et se sentent exclus », selon Noël Morel qui plaide pour une « réponse collective », dépassant les simples portes des MJC, pour frapper également à celles des mairies et des entreprises. « Il faut qu’on sache dire aux jeunes qu’ils ne sont pas nuls. Sinon d’autres sauront leur dire qu’ils sont bons pour faire des choses : vendre de la drogue, des armes ou faire le djihad. »Dans la torpeur de la salle, son ton est monté d’un cran. Ces « autres » regrette-t-il, ont « réussi là où on a échoué ».

 

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Source : Le Monde

 

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