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Mamadou Dia ou le récit d’une émigration clandestine: 3052 km, ça use, ça use…

Mamadou Dia, le jeune auteur de «3052», n’avait que 22 ans lorsqu’il s’est engouffré dans la pirogue qui l’emmènera jusqu’en Espagne où il restera 10 ans. Lui qui ne connaissait de l’Europe que ce que la télé voulait bien lui montrer, déchantera très vite. Il raconte son histoire comme on laisse un testament, mais surtout parce qu’il en fit la promesse à des amis qu’il ne reverra plus jamais. Son discours s’adresse aux plus jeunes, et c’est même assez dissuasif. La rencontre a eu lieu hier jeudi 4 décembre à l’Institut de promotion de la langue et de la culture espagnole Aula Cervantès, lors du Salon International du Livre Africain (SILA).

La première fois qu’il a tenté l’aventure, on lui a dit non, tout simplement. Et idem la seconde, lorsque Mamadou Dia a encore essayé de se rendre en France : pas de visa pour lui. Dire qu’il en rêvait tellement…C’est à l’époque qu’il entend parler d’aller clandestinement en Espagne à bord d’une pirogue : de forcer et les frontières, et le destin. Il décide de ne pas en parler à ses amis, de peur qu’on le dissuade. Mais c’est tout comme puisqu’il leur adresse une lettre où il leur fait la promesse que s’il «arrive vivant en Espagne, (il écrit) un livre pour raconter (son) histoire».

Ses amis décident à leur tour de faire comme lui, sauf qu’eux ne survivront pas, ne vivront même pas assez longtemps pour lire «3052». 3052, comme la distance qui sépare Dakar de la première ville espagnole où a vécu Mamadou Dia (Murcie), est un ouvrage de 168 pages intégralement écrit en espagnol. Au début, lorsqu’il arrive en Espagne, il taquine les mots, les tournures de phrases, et l’appétit venant en mangeant, il décide de le parler parfaitement. A tel point que l’espagnol finit par lui coller à la langue puisqu’il dit qu’il rêve et s’exclame même en espagnol. Lui qui est entré au pays de Cervantès par une porte dérobée, et qui a parfois dû faire les poubelles pour avoir de quoi manger… Lui qui, comme il dit, n’avait pourtant jamais connu la faim lorsqu’il était encore chez lui au Sénégal.

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La déception à la mesure du mythe

Pourquoi être parti alors ? Quand il raconte son histoire, on a comme l’impression que c’était un peu pour faire comme tout le monde, «la honte de ceux qui restent», et qui reçoivent en pleine figure quelques échos du succès de ceux qui sont partis». Mais Mamadou Dia, qui est resté dix ans en Espagne, n’est plus le jeune homme de 22 ans qui bravait l’océan. Partir l’a rendu plus mûr. Il explique que si un jour il a décidé de faire le grand saut, c’est parce qu’on lui a tellement parlé de l’Europe, qu’il a voulu voir de lui-même…. Parce que lire Hugo et Baudelaire l’avaient fait voyager, mais que cela ne lui suffisait plus ; épuisé qu’il était de n’avoir de l’Occident que des images virtuelles «fabriquées» par la télévision. La déception sera parfois à la mesure du mythe : le racisme, les préjugés, la faim…

Rentré au bercail depuis le mois de février dernier même s’il ne s’adapte toujours pas au rythme d’une horloge sénégalaise qui traîne les pieds, Mamadou Dia est un peu comme ce bonhomme dont parle le philosophe Platon. Celui qui, parce qu’il a pu s’échapper de la caverne, revient pour raconter aux autres comment c’est là-bas, brisant à coups de marteau leurs plus profondes convictions, leurs plus profonds aveuglements. Le message de Mamadou Dia s’adresse surtout aux jeunes : ne pas s’en aller à tout prix et dans n’importe quelles conditions, se dire que quand on fournit les mêmes efforts pour s’en sortir ici, que pour s’en aller là-bas, il n’y a pas de raison que cela ne puisse pas marcher.

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Face à lui, il y avait d’ailleurs des élèves du Complexe Saint-Michel en classe de Terminale venus en compagnie de leur professeur d’espagnol Jean-Christophe Diémé, pour qui il était important que ses élèves puissent comprendre que l’Europe n’est pas un Eldorado. « J’ai retenu que l’on ne pouvait pas tout calquer sur le modèle occidental », dira l’une des élèves. «3052» a ainsi fait le tour de plusieurs universités espagnoles. Publié en 2012, le bouquin s’est déjà vendu à 7000 exemplaires ; en Chine, au Canada, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud etc. S’il n’y a pour l’heure qu’une version en espagnol, le jeune auteur de 32 ans prévoit qu’il y en ait deux autres au mois de janvier prochain : en wolof et en français cette fois.

 

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