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Immigration : les ferrailleurs sénégalais de Barcelone

« J’espère que la crise va bientôt passer. De toute façon, je préfère attendre ici en Espagne plutôt que de repartir au Sénégal. Là-bas, 80 % des gens n’ont pas de travail salarié et tu dois parfois faire vivre jusqu’à quinze personnes avec un salaire de 150 €. »

Souleymane a passé des années à vivre de la vente ambulante – ses courses-poursuites avec la police et ses amendes onéreuses – la principale source de revenu de ce jeune Sénégalais depuis son arrivée à Barcelone en 2009.

« Barcelone ou la mort »

Depuis la régularisation massive de 800 000 travailleurs sans-papiers décidée par le gouvernement socialiste de José Luis Za­patero en 2005, le pays, qui compte pourtant cinq millions de chômeurs depuis novembre, est toujours vu comme un eldorado pour les candidats à l’immigration d’Afrique subsaharienne. « Barça ou barsakh », résument les jeunes sénégalais : « Barcelone ou la mort ».

Peu importe l’explosion de la bulle immobilière espagnole qui a entraîné une précarisation générale de la société et des coupes budgétaires radicales : le flux de migrants ne s’arrête pas. Ils débarquent le plus souvent en pateras (pirogues de pêcheur) sur les côtes des îles Canaries, ou par voie terrestre depuis Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles au Maroc. Pour ceux qui parviennent à dépasser ces barrières, reste à attendre que la crise passe.

Il faut donc s’organiser pour survivre. Si Souleymane a choisi le « top manta » (la vente ambulante), pratique rendue célèbre en 2010 par le film Biutiful d’Alejandro Gonzales Iñarritu et de plus en plus réprimée par la police catalane, « c’est, témoigne-t-il presque gêné, que nous ne sommes pas tous égaux : la “chatarra”, c’est trop difficile pour moi ».

La « chatarra », la ferraille, les Sénégalais qui vivent à Poblenou, quartier Est de la capitale catalane, en ont fait leur instrument de travail et leur unique moyen de survie.

Récoltée depuis les poubelles de la ville à l’aide de chariots de supermarchés ou de camionnettes pour les plus organisés, cette fragile source de revenu est ensuite rapatriée dans un squat recyclé en dépôt et en dortoir par les migrants, aidés par les associations locales et les voisins qui ont formé un véritable réseau de solidarité. Là, on pèse, on répartit, on calcule et le tout est envoyé aux industries voisines pour être recyclé dans leur production.

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À deux pas de 22@Barcelona, quartier ultramoderne où affluent tous les matins cadres et spécialistes des médias, des centaines de Sénégalais ont partagé galère et insomnies dans le squat insalubre de la rue Badajoz, jusqu’à sa fermeture définitive début novembre.

« C’est une très mauvaise nouvelle. Beaucoup de ses locataires étaient sur le point d’obtenir l’« arraigo social » (permis de résidence) par la médiation des associations de quartier. Dorénavant, ils vont s’éparpiller dans divers squats, et tous les efforts en vue de leur régularisation vont être effacés », tempête Omar, responsable de la Coordination des associations sénégalaises de Catalogne (CASC).

En effet, Les efforts réalisés par Apropem-nos, un réseau de solidarité né à Poblenou pour venir en aide aux immigrés du quartier, commençaient à se faire sentir sur le quotidien des Sénégalais qui survivent de la récolte de ferraille. Outre Souleymane, Ibrahima pourrait bientôt obtenir une formation pour devenir officiellement vendeur de poisson sur les marchés, grâce aux efforts d’Apropem-Nos qui se démène pour leur dégoter des débouchés professionnels.

La municipalité a lancé un projet pilote en direction de ces Sénégalais pour les sortir de la spirale de l’exclusion : vingt Sé­né­galais du squat de la rue Badajoz pourraient suivre une formation professionnelle de cinq mois, s’ils acceptent ensuite de rentrer au Sénégal. Dans le squat, la rumeur court que les autorités cherchent juste un moyen de les renvoyer au pays et personne ne semble prêt à accepter le marché.

La plupart des Sénégalais se sont repliés sur un squat plus grand à Besos, quartier Est de Barcelone. L’ambiance qui régnait aux derniers jours du squat de la rue Badajoz était aussi lourde que les chariots remplis de ferraille qu’ils trimballent contre 5 ou 10 euros.

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On s’y prélasse entouré de ferraille rouil­lée, de déchets jetés çà et là et les rats n’ont plus peur de sortir leur tête de temps à autre entre les monceaux de fer. Un journal de résultats sportifs qui tourne de mains en mains, un câble à dénuder pour en récupérer le cuivre : tels sont les occupations majeures dans cet espace sans eau ni électricité.

Après une manifestation contre leur expulsion, des journalistes ont accouru sur les lieux, au grand dam de certains locataires.

« Ils ne veulent pas que leur famille apprenne à travers les médias qu’ils recyclent de la ferraille dégotée dans les poubelles de l’Europe »

explique Modou, un Sénégalais de 37 ans régularisé depuis longtemps et qui, faute de travail, a dû retourner à la récolte de ferraille.

« C’est sur les abus de l’agriculture mondialisée que l’on devrait enquêter, pas sur notre situation ici. Les médias ne parlent que de choses superficielles, ils ne cherchent jamais à dire la vérité. Par exemple que le phosphate sénégalais va à 80 % aux mains des Français. Si nous sommes ici, c’est parce que la spéculation a fait exploser les prix de l’agriculture, que je ne peux plus faire le métier de mon grand-père et de mon père : être agriculteur ! » peste  Souleymane

À Barcelone, pour tuer le temps et garder l’espoir, Modou cherche la solution :

« Je voudrais tourner un reportage sur la réalité d’ici, Badajoz et la “chatarra”. Puis, avec l’aide d’une ONG au Sénégal, j’irais dans chaque école primaire de ma région au Sénégal, je prendrais une demi-heure de cours, j’installerais un écran, et je montrerais le film aux enfants. Tout le monde là-bas met de l’argent de côté pour venir faire fortune ici. S’ils savaient que l’on finit par ramasser les poubelles. »

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Source : TC

 

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