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« C’est pas trop dur d’être noir? »

Tibault Baka

Banlieusard, musulman et noir, Tibault Baka témoigne de discriminations ordinaires, alimentées ces dernières semaines depuis les attentats de Paris.

« On nous met des choses super dures sur le dos et on doit la fermer. » Banlieusard, noir et musulman, Tibault Baka n’échappe pas aux préjugés. Par exemple cette scène, tristement ordinaire:

« Il y a six mois j’étais au restaurant avec ma femme et on a commencé à parler avec deux dames, raconte-t-il. On venait de faire connaissance et l’une d’entre elles me demande: ‘C’est pas trop dur d’être noir? Tu n’aurais pas aimé être blanc? »

« Je ne me suis pas laissé faire! Je lui ai rétorqué qu’au contraire, c’est une richesse. Au bout d’un moment, tous les gens autour regardaient. J’avais l’impression d’être à la télé, dans une émission genre Cam Clash. Moi j’ai la chance d’avoir du répondant, mais celui qui n’a pas ce recul, il fait quoi? S’il l’agresse en retour, après on dit que c’est de sa faute. »

« Rare de voir des noirs intelligents »

Ce qui l’a le plus choqué dans cette affaire? « Etre confronté à autant de préjugés. Elle avait du mal à croire que je puisse être écrivain… Elle m’a même dit que c’est rare des noirs intelligents. » Pourtant, Tibault vit bien de ses livres aujourd’hui. Les deux premiers tomes de sa série Le Bon Lieu se sont écoulés à plus de 11 000 exemplaires en quatre ans.

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Un succès d’autoédition pour lequel il endosse toutes les casquettes. C’est ainsi lui qui envoie les centaines d’exemplaires de ses ouvrages qu’on lui commande par La Poste et vend le reste au fil de ses rencontres. Bien aidé, certes, par son passage dans un débat sur TF1 face à Nicolas Sarkozy, un soir de mars 2012, qui lui a aussi assuré un bon coup de pub.

Cette mue en écrivain n’est qu’une des nombreuses vies de ce grand bavard. « J’ai la trentaine, mais j’ai l’impression d’en avoir le double », sourit-il. « Petit con » repenti, passé de l’échec scolaire et viré de trois collèges, il trouve un premier vrai job chez Phone House, jusqu’à finir responsable d’un magasin. Le 2 avril 2008, deux hommes viennent braquer son magasin. Pris en otage avec un employé et une cliente, tous trois réussissent à s’enfermer dans les toilettes pendant que leurs agresseurs chargent leur véhicule. Les voleurs s’enfuient, la police finit par arriver sur les lieux.

« Dans leur tête, quand tu es noir, la violence, tu connais… »

« La première chose qu’ils ont faite après avoir ouvert la porte, c’est de me menotter et de demander aux deux autres s’ils allaient bien! », peste-t-il. Les policiers, au premier regard, n’ont pas vu en Tibault l’étoffe d’un gérant de magasin. Il lui faudra attendre les explications de ses deux compagnons de circonstance pour être libéré.

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Deuxième humiliation, après le dépôt de plainte: « Nous sommes là, tous les trois, prêts à partir. Le policier propose à mon employé et à la cliente une assistante psychologique. Pour moi? Rien! Alors je lui demande et il me répond: ‘Ah, je ne pensais pas que vous en auriez besoin.’ Dans leur tête, quand tu es noir, tu viens des quartiers donc la violence, tu connais, hein… Ca fait mal. »

« On va encore avoir des problèmes »

Aujourd’hui, le jeune père endosse aussi le rôle du grand frère. Il nous montre les messages qu’il échange avec des adolescents. Comme Byron, qui l’a contacté début janvier. Le collégien lui demande: ‘Est-ce que t’es Charlie, toi? » Tibault souffle: « Evidemment qu’il condamne les terroristes! Mais il ne se reconnaissait pas dans la formule. Les jeunes comme lui, j’ai l’impression qu’on les pousse à la faute ».

Selon lui, « les attentats ont libéré une parole de fou. J’ai un autre jeune de 16 ans, il est venu me demander sur Facebook pourquoi je suis musulman, si j’ai des projets de djihad et pourquoi je ne condamne pas plus les djihadistes. Moi, je me désolidarise pas des terroristes parce que j’ai jamais été solidaire à la base. »

« Après la tuerie à Charlie Hebdo, mon fils m’a dit: ‘Papa, ils sont fous ces meurtriers, on va encore avoir des problèmes' ». Tibault marque une pause et fixe le plafond de son petit appartement, dans l’est de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise). « Il n’a que huit ans, il n’est qu’en CE1, soupire-t-il. Il sait qu’il est noir et que ses parents sont musulmans. D’une certaine manière il anticipe déjà le racisme. »

 

Source : L’Express

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