Un siècle après la fin de la Grande guerre, le drame du «Sequana» reste un pan méconnu de l’Histoire. Ce paquebot, coulé le 8 juin 1917 par un sous-marin allemand au large de l’île d’Yeu, avait à son bord 400 tirailleurs sénégalais appartenant au 90e bataillon d’infanterie coloniale en partance pour le front. 198 d’entre eux, originaires de l’ancienne Haute-Volta, y perdront la vie.
Alors que les témoins vivants de la guerre de 14-18 ont aujourd’hui disparu, certains pans de cette histoire restent méconnus, comme celle du paquebot Sequana. Réquisitionné pour le transport des troupes, le bateau appareille le 27 avril 1917 dans le port de Buenos Aires avec, dans ses cales, 2000 tonnes de blé, de café, de haricots, de balles de peaux, de laine et de tabac destinés à ravitailler les troupes au front.
Après une escale à Montevideo et Rio de Janeiro, il accoste à Dakar le 18 mai, ville qu’il quitte dix jours plus tard, à destination de Bordeaux. A son bord, 665 passagers, 166 civils, 400 tirailleurs sénégalais ainsi que 99 marins et membres d’équipage.
En cette année 1917, l’Allemagne a lancé une importante offensive sous-marine. Le UC-72 allemand va torpiller plusieurs navires. Le Sequana, paquebot long de 138 mètres, sera l’une de ses victimes.
Sous-marin allemand
Le 8 juin 1917, le navire français croise au large de l’île d’Yeu. La visibilité est médiocre et malgré toutes les précautions, il est repéré par l’UC-72 en chasse dans le secteur. Peu avant 3h du matin, une torpille frappe le Sequana à tribord et l’eau s’engouffre rapidement.
La situation dramatique est expliquée aux soldats par les sous-officiers africains. Mais la plupart des jeunes recrues sont originaires de Haute-Volta (actuel Burkina Faso), parlent le mooré, que ne connaissent pas les gradés sénégalais. Outre le problème de la langue, ils ne savent pas nager.
A 3h30, les cales noyées, le Sequana s’enfonce à l’avant (il repose aujourd’hui à 47 mètres de profondeur). Le bilan est lourd: sur les 665 personnes à bord, 458 sont sauvées parmi lesquelles 202 tirailleurs africains, tous les gradés, un adjudant, un sergent et deux caporaux. 207 personnes, dont 198 tirailleurs, 3 passagers et 6 hommes d’équipage, sont portées disparues.
Moins de 200 personnes réussissent à monter dans des chaloupes et parviennent à atteindre la plage où les habitants les recueillent. Les véhicules de l’île sont réquisitionnés pour les transporter jusqu’au port. «Deux chalutiers à vapeur affectés à la surveillance de la pêche sauvent de la noyade 283 personnes, dont 210 Sénégalais», écrit l’historien de Jean-François Henry.
On doit à Jean-François Henry, le rappel à la mémoire collective de ce drame longtemps méconnu et oublié, même par les habitants de l’île d’Yeu. L’historien raconte le naufrage du Sequana dans un ouvrage intitulé L’Ile d’Yeu dans la Grande Guerre, paru aux Editions du CVRH.
«C’est rendre justice que de rappeler le sacrifice de ces hommes. On ne peut pas laisser ce silence sur le plus meurtrier des torpillages de la Première guerre mondiale autour de l’île», affirme le maire, Patrice Bernard dans la presse locale.
Naufrage de la mémoire
Si le Sequana s’est enfoncé au fil des ans dans les méandres de l’oubli, «il n’est pas exclu que la censure sur un acte comptabilisé parmi les victoires de l’ennemi ait fait son effet», selon l’historien.
Une stèle en mémoire des naufragés du Sequana a été dévoilée le 28 mai 2017 sur une plage de l’île d’Yeu, leur rendant hommage. Pour Jean-François Henry, «ces soldats venus du bout du monde après avoir sombré dans les profondeurs de nos rivages furent victimes d’un nouveau naufrage, celui de nos mémoires».
Les courants marins ont dispersé les corps des malheureux tirailleurs. Ils reposent aujourd’hui dans les cimetières des îles de Ré, Aix, Oléron, La Rochelle.
Dans ces cimetières, on recense des noms comme Da Yaboué, Rawende Kaboré, Doaga Karambera, Bila Guigma, Bila Zango, Koulobé Niambéougo, Yemdaogo Kerembega, Tendaogo Ouidraogo, Tennoaga Zoungrana… Des soldats d’origine de l’ancienne Haute-Volta, venus défendre un pays qu’ils ne connaissaient pas.
Par Michel Lachkar