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Rencontre: Mamadou Diop, un initiateur de l’interculturalité à l’université Bordeaux Montaigne

Les 13 et 14 octobre prochains, le temps de deux journées bien remplies, l’université de Bordeaux Montaigne deviendra la scène de la culture sénégalaise, donnant la possibilité aux étudiants de découvrir diverses coutumes locales au travers de la cuisine et de danses traditionnelles. Autre temps fort de l’évènement : la question de l’accueil et de l’intégration des étudiants étrangers, qui sera abordée lors de plusieurs moments d’échange. Nous avons rencontré Mamadou Diop, ayant fait naitre l’idée de cette première édition d’«Ici, Ailleurs» et s’étant beaucoup investi dans ce projet ambitieux soutenu par l’université. C’est avec un enthousiasme communicatif qu’il nous parle de son attention et de sa sensibilité pour la question de l’interculturalité.

 

Parlez-nous un peu de ce festival : quelles seront les activités proposées et les organisations et associations y participant ?

Mamadou: «Ici, Ailleurs» fera le lien entre deux types d’associations : les associations étudiantes de l’université proposeront un petit-déjeuner cosmopolite et accueilleront les curieux toute la journée à leurs stands. Puis, les associations d’étudiants étrangers appartenant à la Fédération des Etudiants et Stagiaires  Sénégalais de France, se feront une joie de partager leur culture par le biais d’une exposition et d’une conférence-débat mettant en lumière la grande figure culturelle et littéraire qu’est Senghor, mais aussi d’autres activités plus ludiques telle que l’initiation à la danse Ouest-Africaine. Le lendemain, elles prendront également part à la Table Ronde et à la Commission de Développement dédiées à la question de l’accueil des étudiants étrangers.

Quelles sont les raisons ayant motivé le lancement du projet?

 M: Tout d’abord, la grande part d’étudiants étrangers à Montaigne: en 2015/2016 ils étaient près de 1600 sur les 15 975 étudiants inscrits, soit 10%, les étudiants africains étant les plus nombreux juste après ceux d’origine européenne. Nous aimerions faire prendre conscience de la grande chance que nous avons d’accueillir des étudiants venus du monde entier d’un point de vue culturel, mais aussi des nombreuses difficultés qu’ils rencontrent tout au long de leur mobilité.

Ce projet vous tient-il à coeur personnellement?

M: Oui car je me suis aussi beaucoup inspiré de mon parcours personnel pour le construire, notamment de mon arrivée en France pour la poursuite de mes études, de laquelle je retiens de nombreuses galères mais surtout l’ouverture d’esprit et la force que j’ai acquises. Les étudiants africains ont une très forte envie de venir étudier en France car ils placent de grands espoirs dans notre système universitaire. Il faut reconnaitre que les universités sénégalaise sont de plus en plus en difficulté notamment à cause des grèves à répétition qui prolongent les études et démotivent les étudiants. C’est une expérience que je décris dans ma première nouvelle Rahma, l’école d’une vie, métaphore de mon histoire personnelle. Mes études en France ont constitué un vrai bagage pour mettre en oeuvre des idées profitant aux autres et ont influencé mes projets, dont celui-ci.

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La question de l’accueil et l’intégration des étudiants étrangers à l’université

Quelles sont les qualités et les lacunes de l’université dans ce domaine?

 M: A l’université, il existe un service dédié, Campus France, qui prend en charge les étudiants Erasmus et conventionnés, ainsi que l’association étudiante Babaoc, proposant de les parrainer et de les aider dans leurs démarches, ce qui est un point positif. En revanche, il n’y a ni service, ni structure dédiés aux étudiants venant en dehors d’un programme d’échange. Dans ce cas, les associations d’étudiants étrangers externes ont un rôle important puisqu’elles sont le premier dispositif d’accueil sans lequel ils peuvent se retrouver complètement démunis, parfois sans logement dans les premiers temps.

Deux questions méritent d’être approfondies : Les étudiants étrangers s’intègrent-ils dans le monde associatif de Montaigne ou les blocages linguistique et culturel les limitent-ils? Sur le plan politique, les programmes des élus étudiants prennent-ils suffisamment en compte la question de leur accueil et de leur intégration?

Le vendredi, se tiendront une Table Ronde ainsi qu’une Commission de Développement de la Vie Etudiante et Associative, toutes deux sur le thème de l’accueil et l’accompagnement des étudiants étrangers. Constituent-elles des moyens pour apporter des solutions à ces problématiques?

 M: «Ici, Ailleurs» est un appel à l’action des jeunes et de l’université, fondé sur des valeurs d’humanité et d’engagement. La Commission sera un moyen d’ouvrir le dialogue entre les associations d’étudiants appartenant ou non à l’université et les élus en vue d’inventer des solutions. A long terme, l’objectif est de créer un projet pérenne qui favorise le dialogue et la création d’espaces de découverte et d’échange mutuel à la fac car les étudiants étrangers ont autant à nous apporter que nous. La Table Ronde sera l’occasion d’aborder des thèmes plus institutionnels telle que la lourde réglementation française qui transforme rapidement de simples démarches administratives en un vrai casse-tête, mais aussi de tirer un bilan des témoignages d’étudiants étrangers.

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Pour vous donner des exemples concrets, l’AQAFI (Aquitaine Afrique Initiatives) pourrait intervenir régulièrement à la fac pour accueillir et conseiller les étudiants africains, les formalités administratives pourraient être simplifiées, davantage d’espaces de discussions créés, etc…

Vers une civilisation de l’universel?

Une conférence aura lieu jeudi sur le thème «Senghor et la civilisation de l’universel», une doctrine fondée sur la croyance en la complémentarité des cultures africaines et européennes, un «métissage culturel» qui permettrait l’unicité de ces peuples. «Ici, Ailleurs» s’insère-t-il dans les travaux du premier président de la République Sénégalaise?

M: En effet, il s’y insère en temps qu’il défend des valeurs telles que la tolérance et l’interculturalité. La philosophie de Senghor m’inspire au quotidien. «Ici, Ailleurs» est alors l’occasion de découvrir la diversité des civilisations et de les reconnaitre en soi-même: c’est ce qui fait notre humanité et notre capacité à dialoguer avec les autres. Montaigne,comme son nom l’indique, est une université humaniste et la première université de langues en province, elle devrait alors être un précurseur ce cette notion d’universalisme.

Cette «civilisation de l’universel» en question, est-elle un moyen d’affirmation pour l’Afrique face aux puissances occidentales parfois écrasantes?

M: Elle peut en être un si elle est appliquée des deux côtés. Ce pourrait être une manière pour l’Afrique d’assumer son indépendance et de se proclamer comme actrice à part entière dans le théâtre international. Or, la géopolitique franco-africaine a peu évolué et l’influence paternaliste de la France pèse toujours sur une Afrique qui manifeste une volonté grandissante de s’affirmer et d’inventer sa propre dynamique. Pour cela, nous devons prendre le problème à sa racine, à commencer par le système éducatif africain. Ce sujet est au coeur de mon second livre, qui place l’éducation au centre de mes espoirs pour que l’Afrique s’invente et prône son identité.

Aujourd’hui, de plus en plus de jeunes africains sont partisans de cette doctrine. Néanmoins, d’autres sont toujours engagés dans des mouvements politiques laissant peu de place au dialogue avec les pays occidentaux auxquels ils ne pardonnent pas leurs agissements passés. Pourtant, il ne s’agit de les oublier mais d’avancer. «La civilisation de l’universel», c’est aussi une réponse pour lutter contre l’atmosphère actuelle de tensions et de haine dans le monde.

 

Marie Piquet

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