A peine a-t-elle reçu le prix Goncourt que Marie NDiaye devient un symbole majeur. Malgré elle. Celui d’une «femme noire» et «africaine» qui reçoit la plus haute distinction littéraire française. Le symbole est beau et fort, mais correspond-il totalement à une réalité?
Marie NDiaye a vécu en tout et pour tout moins de trois semaines en Afrique. Née à Pithiviers, elle a été élevée par sa mère, originaire de la Beauce. Certes, elle porte un patronyme typiquement sénégalais, NDiaye. Mais l’écrivaine n’a guère connu son père qui a quitté le domicile familial alors qu’elle avait un an. D’aucuns attendent que Marie NDiaye se prononce sur les grands maux qui accablent le continent noir. Pourtant elle ne feint pas d’être spécialiste de ces questions:
«Quand je rencontre des Français qui ont vécu longtemps là-bas, je sens qu’ils ont en eux plus d’Afrique que je n’en aurai jamais. Il est trop tard».
Marie NDiaye publie depuis vingt-cinq ans. Trois femmes puissantes est son premier texte dans lequel l’Afrique est aussi présente.
Ce continent habite très peu son œuvre, mais il reste essentiel lorsque l’on évoque son parcours. Comme si la couleur de peau était le déterminant essentiel de l’identité. Même de celle des auteurs. Les deux romanciers les plus célèbres d’Afrique lusophone sont blancs. Le Mozambicain Mia Couto et Jose Eduardo Agualusa avouent qu’ils suscitent bien souvent des commentaires hostiles dans des congrès d’écrivains. Leur «Africanité» est jugée suspecte, même s’ils ont grandi sur le sol africain.
Autre opinion qui pourrait étonner sous d’autres latitudes. En France, Marie NDiaye est considérée comme noire. Alors que sa mère est blanche. Au Sénégal, le pays d’origine de son père, la métisse Marie serait plutôt… blanche. Les bambins métis sont appelés «toubabs» (blancs en wolof) par les autres enfants. L’identité sénégalaise est, pour beaucoup de Sénégalais, avant tout liée à une couleur de peau -noire- et une langue, le wolof.
Au Sénégal, Marie NDiaye serait difficilement considérée comme une enfant du pays. Même si son Goncourt provoque un petit sentiment de fierté. La presse parle assez peu de cet événement. Seuls quelques titres ont consacré des articles à sa «victoire» : ils se contentent le plus souvent d’annoncer la nouvelle.
Au fond, la démarche de NDiaye est très française. En tout cas, très occidentale. Elle commence à écrire à l’âge de douze ans. Présente son premier manuscrit à un éditeur prestigieux (Jérôme Lindon) à seize ans. Est publiée pour la première fois à dix-sept ans. Et surtout, Marie NDiaye a toujours considéré que le fait d’écrire était un métier et ne ressent aucune nécessité d’exercer une autre activité. Ce qui serait très difficilement imaginable au Sénégal. Même le poète Léopold Sédar Senghor fut d’abord enseignant et président pendant vingt ans.
Etre écrivain en Afrique
Dans ce pays, comme ailleurs en Afrique, il est très difficile de se consacrer à l’écriture, surtout pour une très jeune femme. Bien plus qu’en Occident. Outre les tâches ménagères, il existe une contrainte psychologique beaucoup plus importante. L’isolement est très mal vu. Les Sénégalais qui s’isolent pour lire ou écrire sont d’ailleurs fréquemment accusés d’être des… «toubabs».
«Si vous restez seul dans une pièce, les gens pensent que vous êtes malheureux. Ils viennent immédiatement vous parler, vous tenir compagnie. Donc il est très compliqué de lire ou d’écrire» explique l’écrivain sénégalais Abasse Ndione, lui aussi publié chez Gallimard.
Avant de se consacrer à des activités littéraires, Abasse Ndione a dû exercer le métier d’infirmier jusqu’à la retraite. Il a mis plus de vingt ans pour écrire son premier roman, «La vie en spirale». Même à la retraite, il continue à travailler comme «infirmier de proximité» pour «joindre les deux bouts». En Afrique, les ventes des livres sont le plus souvent confidentielles. Abasse Ndione a publié trois romans chez Gallimard. Pourtant, les droits d’auteurs ne lui permettent pas de vivre de sa plume. Même s’il mène une existence simple dans un village de pêcheurs, à proximité de Dakar.
La «success story» de NDiaye, la nomade qui vit aujourd’hui à Berlin est très française. Elle montre la vitalité de la littérature. En France, elle est prise au sérieux, ce qui est loin d’être le cas dans nombre de pays africains où les populations ont d’autres priorités.
Si Marie NDiaye a plus connu une destinée de Française que celle d’une Africaine, elle n’en reste pas moins marquée par ce continent qui l’intrigue depuis toujours. Comme beaucoup de métisses, même si elle ne se sentait pas nécessairement noire, elle a pu le devenir à travers le regard des autres. Alors elle est sans doute un peu Africaine aussi:
«Ma relation avec l’Afrique est un peu rêvée, abstraite, au sens où l’Afrique dans ma tête, est plus un songe qu’une réalité. En même temps, je suis attirée, incontestablement, mais de manière contradictoire, parce que j’aurais sans peine pu faire des voyages plus fréquents là-bas. Mais il y a peut-être de ma part une sorte de crainte, je ne sais pas précisément de quoi», explique-t-elle.
Quoi qu’il en soit, à l’heure où d’aucuns partent à la recherche de l’identité française, Marie NDiaye et son œuvre séduisent par leurs identités multiples. Leurs identités métisses.
Source : Slate.fr