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Le large attire toujours autant les jeunes Sénégalais

Le large attire toujours autant les jeunes Sénégalais

Pauvreté, chômage endémique, perspectives assombries. Aucune des causes identifiées du ‘’Barça wala Barsakh’’ n’a disparu, depuis l’avènement du phénomène en 2006. Résultat : les départs n’ont jamais cessé.

A chaque mois, presque son lot d’arrestations de personnes sur le point de prendre le large, en quête d’une vie meilleure. La dernière en date a eu lieu en début de semaine. ‘’La Section de recherches de la gendarmerie a procédé à l’arrestation, le mardi 22 septembre 2020, de 14 individus qui se préparaient à rejoindre clandestinement l’Espagne par voie maritime, dans une embarcation de fortune’’, informait la maréchaussée dans une note. Preuve que malgré l’accalmie qui a été notée dans le rythme des départs, la ruée de pirogues quittant les eaux sénégalaises en direction de l’Europe n’a jamais vraiment cessé.

Chose que confirme Boubacar Sèye : ‘’Contrairement à ce que l’on veut faire croire aux gens, le phénomène ‘Barça wala Barsakh’ (Barcelone ou la mort) est toujours là. Cela n’a jamais baissé d’intensité. La pauvreté, qui en est la cause principale, dans un pays comme le Sénégal, est toujours là. Le chômage endémique, les questions de mal gouvernance qui obstruent les perspectives d’épanouissement des couches vulnérables comme les jeunes et les femmes sont toujours là.’’

Un constat amer, ‘’avec beaucoup d’impuissance’’, autour duquel le président de l’ONG Horizon sans frontières peine à trouver des perspectives heureuses pour une jeunesse en quête ‘’d’un avenir digne’’. Car, ajoute-t-il, ‘’il faudrait une remise en cause dans la prise en charge de notre jeunesse devenue un fardeau, au lieu d’être une richesse. Les gens pensent qu’ils ne peuvent pas se réaliser économiquement en restant en Afrique. C’est pourquoi ils sont prêts à tout pour partir. Même des personnes qui ont un travail et une situation appréciable m’appellent pour me demander de les aider à émigrer, pensant que j’officie dans cela’’.

Un document de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) et de FMM West Africa, intitulé ‘’Migration au Sénégal : Profil national 2018’’, explique cette migration irrégulière par un contexte de réduction des opportunités de migration légale, de pauvreté croissante et d’absence de perspective économique.

Ainsi, rien qu’en Italie, peut-on y lire, ‘’le ministère de l’Intérieur ne fournit des chiffres sur les effectifs que pour les arrivées en Italie par voie maritime : 5 981 Sénégalais en 2015 ; 10 327 Sénégalais en 2016 ; 6 000 Sénégalais en 2017’’. De plus, renseigne-t-il, l’OIM (Organisation internationale pour les migrations) a organisé le retour assisté de 3 023 migrants sénégalais en provenance de la Libye, en 2017. Et selon la Matrice de suivi des déplacements de l’OIM (DTM) en Libye, qui réalise un compte des migrants vivants dans ce pays tous les deux mois, il y avait 6 533 Sénégalais en Libye en août 2018.

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Des chiffres qui font froid dans le dos, sachant qu’ils peuvent être largement sous-évalués dans un domaine où l’information est difficile d’accès. Pourtant, des fonds ont été décaissés par l’Union européenne, dans le cadre de la lutte contre l’émigration irrégulière. Le Sénégal a même signé, en 2006, avec l’agence européenne Frontex, responsable de la gestion de leurs frontières, des accords bilatéraux (appelés ‘’protocoles d’entente’’ – Memorandum of Understanding) permettant à Frontex d’intervenir dans le cadre de l’opération conjointe Hera, lancée en juillet 2006, afin de contrôler l’immigration dite irrégulière, en partance d’Afrique de l’Ouest en direction des îles Canaries.

À l’occasion de la visite, à Dakar, du Premier ministre français Edouard Philippe, le 17 novembre 2019, la France et le Sénégal avaient également renouvelé leur coopération dans la lutte contre les migrations irrégulières. Plus de 1 300 milliards de francs CFA (2 milliards d’euros) ont été distribués au Sénégal depuis 2007 : des ‘’efforts’’ qui doivent ‘’produire des résultats sur l’immigration irrégulière’’, soulignait Matignon.

Alors, les arrestations de passeurs ne sont qu’une façon de se justifier. ‘’C’est vrai qu’il faut lutter contre les passeurs. Mais eux, au moins, proposent des solutions. Qu’est-ce que nos autorités proposent, elles ?’’, se demande Boubacar Sèye.

Malgré sa géographie bien éloignée de la Méditerranée, le spécialiste des questions migratoires soutient que le Sénégal est en train de commettre les mêmes erreurs que la Turquie, en signant ces accords. ‘’On voit ce que cela donne comme conflit géopolitique entre cette Turquie et l’Europe. Pour des raisons de morosité économique, l’on accepte tout. Après, il faut montrer aux bailleurs qu’il n’y a plus de départ au Sénégal. Mais le contraire a été démontré’’, justifie-t-il.

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L’Etat devrait organiser les assises de la migration
Malgré tout cela, Boubacar Sèye estime que ‘’le débat a été biaisé par de faux rapports’’. Mieux, analyse-t-il, ‘’l’Etat devrait organiser les assises de la migration. Comme celle-ci est une pathologie faisant du Sénégal un pays ambulant, l’Etat doit prendre des mesures pour la prise en charge de notre jeunesse. Il faut des ateliers de relecture de la perspective avec outils d’aide à la prise de décision’’.

La pandémie de Covid-19 ne freine pas les départs de pirogues vers les côtes espagnoles. Dans certains pays, les migrants subsahariens apportent des solutions au manque de main-d’œuvre, suite à la fermeture des frontières européennes, suspendant l’arrivée d’ouvriers des pays d’Europe de l’Est. En juin dernier, l’Italie avait annoncé une régularisation de masse de sans-papiers pour pallier le manque d’ouvriers agricoles.

Alors que les départs ont toujours lieu, le leader d’Horizon sans frontières redoute toutefois une intensification des flux migratoires irréguliers dans l’ère post-coronavirus, avec l’accroissement en vue de la pauvreté. Celle-ci, prévient-il, ‘’sera marquée par des tensions qui trouveront des causes dans la migration. Les tensions économiques et la récession annoncée dans tous les pays du monde, seront accompagnées d’une hausse du chômage dont les pointés du doigt seront les migrants. Ils ne seront plus vus comme un facteur d’équilibre socioéconomique, mais comme une source de problèmes et vont servir de légitimation des discours sur le repli identitaire’’.

Face à une Europe qui peine à se remettre en question dans les causes de la migration irrégulière et cherchant à gérer les flux au-delà de ses frontières, dans un contexte mondial de mobilité des populations, le spécialiste appelle le Sénégal à assurer un leadership dans ce que devrait être la prise en charge des flux migratoires dans un monde globalisé. Car ‘’les perspectives des migrations internationales 2019’’ mettent l’accent sur une planète plus que jamais en mouvement, où 5,3 millions de personnes se sont installées en 2018 dans un des trente-six pays de l’OCDE, pointant surtout que seuls 300 000 Africains sont arrivés dans ces pays industrialisés, obligeant à corriger les images fausses d’une Europe assiégée par les Africains.

Lamine Diouf avec Enquête

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