Une centaine de familles a trouvé refuge au gymnase Jean Bouin, dans le 16e arrondissement de Paris, au lendemain de l’évacuation de plus de 1.600 migrants à la Porte de la Chapelle.
Au gymnase Jean Bouin, dans le 16e arrondissement de Paris, la seule activité sportive au programme ce vendredi matin, pour les enfants, consiste à jouer à chat – pieds nus ou en chaussettes –. Ou bien à faire voler des ballons de baudruches. Amir et Asna, 5 et 2 ans, sont de la partie. Ils sont les enfants de Smenu, une Afghane timide aux cheveux roux, et les beaux-enfants d’Ibrahim, un grand brun souriant vêtu d’un blouson vert, qui a fui la Libye il y a deux ans.
Le couple de trentenaires fait partie des 89 familles hébergées temporairement au lendemain du démantèlement de leur camp, Porte de la Chapelle. Somaliens, Ethiopiens, Erythréens, Albanais, Géorgiens ou encore Guinéens, plusieurs nationalités se croisent parmi la centaine de lits de camp et de berceaux renforcés par des sacs de couchage. Depuis leur installation, jeudi matin, dans le cadre de leur mise à l’abri, « ils ont pu prendre une douche, avoir un premier bilan de santé, notamment avec une puéricultrice et une première évaluation sociale », indique Camille Barre, responsable du pôle migrant et intégration de l’association France Horizon.
Une structure réservée exclusivement aux familles
Le gymnase Jean Bouin, qui compte 100 places collectives d’accueil, est le seul réservé aux familles et aux femmes seules avec enfant, explique-t-on du côté de la préfecture d’Ile-de-France. Elles pourront y rester un mois, le temps que leur situation soit examinée. Une quinzaine de structures ont été réquisitionnées à travers le département. Quant aux 200 autres familles, évacuées des camps dans le nord-est de Paris, elles ont été réparties dans des centres d’hébergement d’urgence.
Ibrahim et Smen se sont rencontrés l’an dernier en Grèce. Lui fuyait la misère de son pays, elle les coups de son premier mari. « Il tapait aussi les enfants », raconte le jeune homme, en montrant une grande cicatrice rouge sur la partie droite du visage d’Asna. Malade depuis plusieurs jours, la petite a arrêté de courir. « C’est ça quand on est toujours dehors. Le médecin a donné rendez-vous pour la semaine prochaine », explique Ibrahim, le seul à maîtriser le français. Mais elle sera peut-être conduite aux urgences dans l’après-midi, car l’une des travailleuses sociales s’inquiète de la poussée de fièvre de l’enfant. Son grand frère Amir n’est pas en meilleur état. Toutes ses dents sont tombées à cause de la malnutrition.
Un toit de fortune en attendant une « petite maison »
Cette évacuation aux aurores, jeudi, Ibrahim la vit comme une chance pour sa famille recomposée, dont la situation devait être examinée d’ici à janvier 2020. Aujourd’hui, il espère se marier et réussir à trouver « une petite maison pour Madame et les enfants ». Un peu plus loin, Duaby une jeune maman originaire de Guinée, pianote nerveusement sur son téléphone tout en surveillant sa petite fille, qui s’amuse avec « sa nouvelle copine », une enfant qu’elle vient de rencontrer. Emmitouflée dans un sac de couchage sur son lit de fortune, la Guinéenne n’était pas à la Porte de la Chapelle, mais elle est venue ici pour trouver un toit. Son mari, un Sénégalais, est parti travailler ce matin, et devrait rentrer d’ici à 17h.
« Il fait froid la nuit ici, il n’y a pas de chauffage. Mais c’est mieux que dehors », confie-t-elle en resserrant son pull gris. Arrivée en France depuis 2008, elle se dit détentrice d’un titre de séjour depuis quatre ans. Avant la rue, la famille était locataire d’un appartement insalubre à Aubervilliers, pour 850 euros. « Il y avait des vers de terre, ça nous rendait malade. On a essayé d’appeler le propriétaire, mais il n’a jamais répondu, s’indigne-t-elle. Je stresse, je pleure le soir », balbutie-t-elle, faisant tomber le foulard rouge qui retient ses cheveux. Avec son époux, ils économisent pour trouver un logement et mettre de l’argent de côté pour leur fille.
Enfants déscolarisés
Offrir une meilleure vie à son fils Moses, âgé d’un an et demi, c’est aussi l’objectif de Juliett, qui « dormait à Rosa Parks ». Les yeux rougis, elle raconte en anglais comment elle s’est retrouvée à fuir deux pays. D’abord, le Nigeria, lieu de sa naissance, pour échapper à un mariage forcé avec un polygame. Puis l’Italie, où elle a été prostituée par une cousine de sa mère décédée, Rita. Pendant huit ans et demi, elle a vécu un calvaire, à Venise, auprès de celle qu’elle avait payé 4.000 euros dans l’espoir d’une vie meilleure. En 2017, tout a basculé quand sa cousine a été assassinée. « Je peux pas rentrer au Nigeria. On va me tuer. On va dire que c’est à cause de moi que Rita est morte », dit-elle en pleurs. Elle a alors pris la direction de Paris. Envoyée dans un centre à Dijon, elle est tombée enceinte de Moses. Mais son « papa est parti parce qu’il voulait pas revenir à Paris ».
Rejetée deux fois de l’OFRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), Juliett garde la foi pour Moses, malgré la fatigue et la perte progressive de ses cheveux. Elle rêve qu’un jour, il puisse aller à l’école en France.
Djenabou, une autre Guinéenne réfugiée, souhaite elle aussi que les siens retrouvent les bancs de l’école. Demandeuse d’asile, elle s’occupe seule de quatre enfants, qui ont quitté la Porte de la Chapelle. « Ils vont bien, même s’ils voient la souffrance de leur maman », dit-elle timidement en regardant ses filles jouer avec un ballon vert. Il est un peu plus de midi, la coordinatrice du gymnase invite les familles à venir déjeuner. Au menu, un vrai repas. Pâtes au pesto, yaourts et fruits.
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