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Je fais partie des 90% d’enfants d’immigrés qui se sentent français, mais… 

enfants d’immigrés

Ma mère est née au Maroc, mon père en Tunisie, moi en France : directement concerné par l’étude de l’Insee sur les enfants d’immigrés, voilà ce que j’en dis.

« Tu n’es pas immigré toi. On ne t’a pas accueilli… C’est toi qui accueilles, mets-toi ça dans le crâne, fils. »

Mon père ne s’est jamais embarrassé des questions existentielles. Un type à l’ancienne, pragmatique. Il est né en Tunisie dans les années 40, moi en France dans les années 80 :

« Je suis tunisien et toi, tu es français, sans avoir à rougir de ta double culture. Je ne vois pas où est le débat. »

Ma mère, arrivée du Maroc à Paris à la fin des années 70, non plus :

« Tu es né ici, tu vis ici. Même si tu voulais être autre chose que français, ça puerait le mensonge. En fait, tu n’as même pas le choix. »

C’est donc tout naturellement que je fais partie de ces 90% d’enfants d’immigrés qui ont le sentiment d’être français, selon une étude de l’Insee .

Plein de statistiques pour nous dire que les immigrés seraient moins bien lotis que leurs enfants nés en France, eux-mêmes à la traîne derrière les « ni immigrés, ni descendants ». Avec la précision suivante :

« Si les discriminations existent, leur influence est difficile à mesurer. »

« Il m’est arrivé de basculer de l’autre côté »

« 67% des descendants d’immigrés ont le sentiment d’être vus comme des Français », dit aussi l’étude.

Quid des 33% qui ne partagent pas ce point de vue ? « Une couleur de peau foncée rend parano », me disait mon voisin d’origine tchadienne à la fac, en cours d’histoire moderne. Il s’empressait de compléter : « Il n’y a pas de fumée sans feu non plus. »

Je fais aussi partie des 67% d’enfants d’immigrés qui ont le sentiment d’être vus comme des Français, mais il m’est déjà arrivé de basculer dans les 33%. L’espace de quelques minutes, quand, pendant « un contrôle de routine », un policier vous dit qu’il aime tâter « vos couilles d’Arabe » et vous demande de vous allonger par terre.

Quand l’un de ses collègues fait entrer un chien dans votre voiture pour chercher du shit, alors que juste en face de vous, une bande de blonds fument des gros pétards.

Discrimination sournoise

Quand vous postulez pour un emploi (payé une misère et pour lequel vous êtes surqualifié) dans la boîte où travaille l’un de vos amis « ni immigré, ni descendant » parce qu’il vous dit qu’elle recherche activement. Sans nouvelles de votre CV, vous le relancez. « Franchement, ils ne prennent pas trop de Rebeus apparemment… » De la discrimination, mais sournoise.

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Discrimination, un mot que n’utilise jamais ma mère. Elle ne fait pas de yoga, mais pour elle, c’est une histoire d’ondes. Un soir, elle m’a dit qu’elle ne le prononçait jamais pour ne pas décourager ses enfants :

« Si moi, née au Maroc, j’ai réussi à décrocher un job fixe [fonctionnaire de catégorie C dans l’Education nationale, ndlr], vous pouvez y arriver. »

Il pensait que je mentais sur mon salaire

Il est dit aussi qu’un immigré « gagne environ 1 500 euros, son enfant 1 600. »

Au niveau de l’éducation, je m’en sors mieux que mes parents. C’est déjà une réussite, une fierté et un bel investissement pour la suite. Mon père lisait et écrivait en arabe, mais pas en français. Ma mère avait décroché son bac au Maroc. Elle est parfaitement bilingue.

Mais pour l’argent, c’est faux. Dans les années 90, mes parents, ouvriers, gagnaient au moins autant que moi en 2012.

Mon père n’a jamais compris comment moi, avec mes diplômes universitaires, je touchais moins qu’un ouvrier à l’usine. Après mon master, j’ai galéré. Des petits boulots ici et là. Il pensait que je lui mentais sur mon salaire. Un soir, il a demandé à ma mère si je disais vrai. « Oui, c’est vrai. »

Selon le rapport de l’Insee, les descendants d’immigrés d’Afrique sont trois fois plus au chômage que les Français d’origine, mais restent mieux lotis que leurs parents. Un écart dû au diplôme, à l’origine sociale et au lieu de vie, mais dont une part reste « inexpliquée ». Une manière subtile (ou pas) de dire qu’on ne peut pas prouver la discrimination.

Tous mes rêves se déroulent en France

Il m’est arrivé de mettre mes échecs aux entretiens d’embauche sur le compte de la discrimination. Souvent à tort, mais parfois à raison, quand une attitude ou une petite phrase me faisait dire que tout était déjà joué d’avance. A cause de ma peau, de mon adresse. Ou bien les deux.

Et puis j’ai arrêté. Trop compliqué à gérer mentalement de se demander, à chaque fois, si on a été uniquement jugé sur ses compétences.

Il y a trois ans, j’ai pensé m’exiler sur un autre continent. N’importe où, pourvu que je bosse. Mais je suis comme mes cousins en Tunisie – toutes proportions gardées – qui refusent d’imaginer une seule seconde de faire leur sac. Tous mes rêves se déroulent sur la même aire géographique : la France. Alors j’y reste.

Et si ma mère avait été analphabète ?

L’étude dit encore : « 14% des enfants d’immigrés estiment avoir été moins bien traités à l’école. »

Je n’étais pas le plus épanoui en cours, mais j’ai eu de la chance. De bonnes facultés d’écoute, un bon baratin pour meubler dans les dissertations.

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Mon père avait plein de stylos dans la poche de sa veste, bien qu’il ne s’en servît jamais. Ma mère était moins « bling-bling », mais collectionnait les bouquins. Très tôt, j’ai commencé à les lire. Tout et n’importe quoi. Ça m’a permis d’acquérir un peu de culture générale et du vocabulaire. Et si ma mère avait été analphabète ?

Je n’ai jamais compris l’attitude de certains professeurs, ni certaines de leurs méthodes pour démotiver leurs élèves. C’était comme s’ils se projetaient dans le futur et se disaient que « non, lui ne peut pas réussir, ce n’est pas possible » ou bien « bac+2, c’est largement suffisant pour lui ».

Ceux-là profitent de la méconnaissance des parents immigrés – qui ont souvent entièrement confiance dans l’école – pour orienter à leur guise et détruire, en toute impunité, des carrières scolaires.

« Il n’y a rien pour toi dans l’écriture »

Ma mère voulait que je devienne avocat. Un classique. Moi pas. Je voulais écrire. Au lycée, je l’ai dit à certains profs, à qui j’ai demandé conseil. Je bombais le torse, j’étais parmi les meilleurs. Ils me l’ont dégonflé illico :

« Tu sais qu’il y a des BTS, c’est très formateur. Il n’y a rien pour toi dans l’écriture. La précarité, le chômage, la galère »

Ce n’est pas faux, mais c’est mon problème, pas le leur. A l’époque, pas d’Internet pour jeter un coup d’œil sur les forums. Mes parents ne pouvaient pas me renseigner, mon entourage proche non plus (aucun d’entre eux n’avait dépassé le bac).

Je suis allé jusqu’en Master. Un coup de chance. Certains amis de la cité, plus doués – peut-être plus motivés – ne sont jamais arrivés jusqu’à l’université alors qu’ils m’en parlaient souvent. Comme Samir.

A son père, les profs avaient dit qu’avec la mécanique, c’était un salaire assuré. Un truc du genre : « De toute façon, il échouera s’il va plus loin, autant ne pas perdre de temps. » Il a mordu. Je crois qu’il n’avait compris qu’un mot sur deux.

Samir était moins convaincu, mais que pouvait-il dire ? On parle d’un collégien. Qui, d’ailleurs, n’a jamais fini son CAP carrosserie.

Je ne sais pas ce que Samir penserait de cette étude de l’Insee. Moi, je la trouve précieuse pour au moins deux points. D’une part parce qu’elle définit ce qu’est un immigré et parce qu’elle permet de rassurer les sceptiques : je ne viens pas d’ailleurs et je me sens français, comme neuf enfants d’immigrés sur dix.

 

Source : Rue89 – L’Obs

 

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