Les défenseurs des migrants multiplient ces dernières semaines les recours en justice pour contester la décision de la France de maintenir inchangée sa liste de pays d’immigration dits « sûrs », dont les ressortissants ont des chances réduites d’obtenir l’asile.
Au coeur de l’inquiétude des associations, une modification du droit des étrangers apportée par la loi asile-immigration de 2018: les ressortissants des pays classés « sûrs » par l’Ofpra, un organe sous tutelle du ministère de l’Intérieur, peuvent désormais faire l’objet d’une procédure d’expulsion dès le rejet de leur demande d’asile en première instance, avant même l’étude d’un éventuel recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile.
Au regard de cette disposition, l’actualisation de cette liste ultra-sensible de 16 pays par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) était scrutée par les associations, qui espéraient notamment la radiation du Bénin et du Sénégal.
La décision est tombée le 6 novembre, noyée le jour d’annonces gouvernementales sur l’immigration: l’Ofpra, qui attribue le statut de réfugié, a décidé de « ne pas apporter de modification » à cette liste, dont le dernier réexamen datait de 2015.
« L’implication en termes de procédure d’asile et d’accès aux conditions matérielles d’accueil fait que le placement ou non d’un pays sur cette liste a pris une importance capitale », explique à l’AFP Jean-François Ploquin, directeur de Forum Réfugiés-Cosi, qui a annoncé mardi avoir déposé une requête devant le Conseil d’Etat pour « contester la légalité de cette décision ».
« Il y a un impact sérieux: désormais le seul espoir pour un ressortissant de pays sûr pour pouvoir faire appel est de passer par un juge administratif qui doit établir si la raison de l’appel est sérieuse », souligne M. Ploquin.
Forum Réfugiés-Cosi a demandé que l’Albanie, le Bénin et le Sénégal soient retirés de la liste, « compte tenu de la situation politique, démocratique » de ces pays, d’autant que l’Ofpra est tenu de prendre en compte l’actualité dans ses décisions.
« Urgence
Pour l’Albanie, M. Ploquin dénonce le « paradoxe » d’un pays dont 1.080 ressortissants ont obtenu l’asile en France en 2018, essentiellement sur des raisons liées à l’orientation sexuelle et à la traite d’êtres humains.
« Dès lors, comment peut-on raisonnablement considérer qu’il n’y ait jamais recours à la persécution (en Albanie), comme l’exige la définition des pays d’origine sûrs? », questionne l’association.
Au Sénégal, dont les ressortissants bénéficiaient en 2018 d’un taux d’obtention de l’asile de 20%, principalement pour des questions de persécutions en raison de l’orientation sexuelle, l’homosexualité est criminalisée, abonde Aude Le Mouellec-Rieu, présidente de l’association Ardhis, associée à deux requêtes inter-associatives déposées fin décembre.
La première, cosignée avec sept autres organisations dont la section CGT de l’Ofpra, préconise en particulier la radiation de cinq pays: Bénin, Albanie, Kosovo, Géorgie et Inde, sous-continent « où la communauté musulmane est persécutée », explique-t-elle.
La liste conduit « à un recul des droits » pour les ressortissants des pays concernés, poursuit Aude Le Mouellec-Rieu. « Aujourd’hui, les conséquences pour eux sont catastrophiques. »
La seconde requête, introduite par cinq associations communautaires, cible les questions liées à l’orientation sexuelle, ajoute la responsable de cette organisation de défense des migrants LGBTI.
Dans sa décision de novembre, l’Ofpra avait souligné que seul le cas du Bénin devait faire l’objet d’un réexamen « à l’issue d’une période de six mois ».
« L’inscription d’un pays sur la liste (…) n’a aucune incidence sur l’exigence d’examen individuel par l’Ofpra des demandes d’asile émanant des ressortissants de ces pays. Cet examen peut aussi faire apparaître (…) un besoin de protection, notamment lorsque les autorités de son pays d’origine ne lui offrent pas une protection effective contre les persécutions ou atteintes graves qu’il redoute », réplique l’Ofpra à l’AFP.
« C’est la raison pour laquelle des protections sont accordées à certains ressortissants de pays d’origine sûrs, quand bien même elles représentent une part limitée du nombre de décisions rendues », poursuit-il.
Pour l’Ardhis, le réexamen de la liste ne doit pas concerner que le Bénin et, surtout, doit être plus rapide, car « il y a urgence »: « Compte tenu de la situation politique dans ces pays », reprend Mme Le Mouellec-Rieu, « rien n’explique qu’on prenne six mois ».