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À Paris, à bord d’un bus, des avocats bénévoles à l’aide de migrants « démunis »

Dans le nord de Paris, porte d’Aubervilliers, un bus faisant office de bureau d’avocats prend ses quartiers sur le bord de la route tous les vendredis après-midi. À l’intérieur, des professionnels du barreau de Paris reçoivent gratuitement les migrants qui souhaitent obtenir des conseils sur leur situation. Reportage.

 

 

 

 

Tahira a l’air perdu, la tête couverte d’un foulard bordeaux orné de petites étoiles. À la main, elle tient anxieusement une pochette contenant de précieux documents administratifs : courriers de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) et son certificat de demandeuse d’asile en France, qui expire mi-janvier 2020. Tahira dit avoir quitté en 2016 la région de Sanghar, au Pakistan, où des extrémistes sunnites la menaçaient, ainsi que son mari, tous deux chiites. Après avoir traversé l’Europe, elle a demandé l’asile en France. Par deux fois, la requête de cette mère de famille a été rejetée.

Alors, ce vendredi de mi-décembre, Tahira a décidé de s’adresser à des experts. Elle a pris place à bord d’un bus garé porte d’Aubervilliers à Paris où des avocats conseillent gratuitement, chaque semaine, les personnes migrantes qui se présentent. En face d’elle se tient une avocate qui souhaite rester anonyme.

-Où est votre mari?

-Il est resté en Grèce. Depuis 3-4 mois je n’ai plus de nouvelles de lui.

-Où vivez-vous?

-Dans une chambre d’hôtel, à Sarcelles, avec l’un de mes fils. L’autre est à Lyon, il a 14 ans. Ils vont à l’école. J’aimerais qu’ils puissent rester en France, même si moi je dois partir.

-Vous ne pouvez pas rentrer au Pakistan?

-Non. Mon mari était impliqué dans des mosquées chiites là-bas, il a été menacé. Plusieurs de nos proches ont été enlevés.

-Visiblement, d’après les documents que vous me montrez, l’Ofpra ne vous a pas crue.

-Non, ils disent que les lettres de menaces que je leur ai fournies sont des fausses.

-Je vois.

-Mon dossier est très mauvais, c’est ça?

-…

Le bus des avocats prend ses quartiers tous les vendredis après-midi à la Porte d’Aubervilliers, dans le nord de Paris. Photo : InfoMigrants

Tous les vendredis, entre 14h et 17h, des dizaines de migrants se pressent à l’entrée de ce bus aux allures de car de voyage pour demander des conseils avisés. Chitro, une élève avocate, se charge de faire une première sélection, avant de laisser monter les personnes. À l’intérieur, le véhicule a été aménagé : le fond du bus fait office de salle d’attente et, à l’avant, deux petits espaces constitués de carrés de quatre sièges sont réservés pour les consultations. Pour plus d’intimité, des rideaux violets installés entre l’allée et les sièges sont tirés.

« À l’audience, elle a certainement dû paniquer et perdre pied »

L’avocate qui conseille Tahira participe bénévolement à ces permanences « depuis peu de temps ». « Je veux apporter mon aide à cette population complètement démunie », dit celle qui se spécialise d’habitude en droit de la famille et droit pénal et qui avoue se sentir parfois « déprimée » face aux situations auxquelles elle est confrontée.

Dans ce bus qui fonctionne grâce au fonds de dotation « Paris solidarité », rattaché au barreau de Paris, les permanences sont assurées à tour de rôle par un vivier de 80 avocats bénévoles, à raison de 2 ou 3 avocats par semaine. Tous ont dû suivre une formation de six heures en droit des étrangers.

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Malgré sa courte expérience, l’avocate de Tahira sait déjà que le cas de cette cliente est loin d’être isolé. Selon elle, il relève même de situations « systématiques ». « À l’Ofpra, ils disent souvent que les documents que leur fournissent les demandeurs d’asile sont des faux », indique-t-elle. Par ailleurs, la Pakistanaise, qui ne parle pas français, semble dépassée par les codes propres au système judiciaire.

« Tahira n’a pas dû bien s’exprimer durant son audience », glisse discrètement l’avocate. « A priori, elle a tenu des propos confus et n’a pas su dire avec précision à quelle date ils avaient reçu les lettres de menace. Elle a certainement dû paniquer et perdre pied. »

Tahira reprend, dans un anglais approximatif.

-Qu’est-ce que je dois faire?

-On peut faire une nouvelle demande de réexamen, mais je dois vous dire que vous avez très peu de chances. On vous a déjà rejetée deux fois donc, pour que la décision soit différente cette fois-ci, il faut absolument que vous apportiez un élément nouveau à votre dossier.

-Comme quoi par exemple? Je ne comprends pas bien ce que vous dîtes, vous pouvez écrire ce que je dois faire sur un papier et je ferais traduire par mon fils?

-Vous avez besoin d’une lettre de votre famille restée au Pakistan. Est-ce que quelqu’un peut vous écrire une lettre pour témoigner et dire que la situation est toujours dangereuse pour vous là-bas?

-Je ne sais pas. J’ai une sœur…

-Elle pourrait le faire?

-Non…

-C’est une condition obligatoire. Dans ce cas, vous allez sûrement recevoir bientôt une lettre des autorités vous ordonnant de quitter le territoire.

Cette dernière phrase semble faire l’effet d’un coup de poing pour Tahira. Abasourdie, la jeune femme ne trouve rien d’autre à ajouter. Elle se contente de rassembler ses affaires avec hâte et s’en va, les larmes aux yeux. Dans le second coin dédié aux consultations, de l’autre côté de l’allée, un client épuisé s’est profondément endormi en l’espace de quelques minutes seulement en attendant son tour.

« On a été abandonnés par les juges »

Dans le bus, la majorité des personnes se présentent pour des questions relatives aux conditions matérielles d’accueil (CMA), qui portent sur l’hébergement (en Cada, Huda….) et l’allocation accordés aux demandeurs d’asile, l’ADA. « Nous avons de plus en plus de clients qui viennent pour ce genre de dossier. L’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (Ofii) refuse énormément de demandes de CMA », déplore la seconde avocate du jour, Maître Miriana Milich. « Le drame, c’est que nous avons fini par oublier que la CMA est un droit qui résulte du fait qu’on interdit aux demandeurs d’asile de travailler. »

Pour l’experte parisienne, la mise en application de la nouvelle loi Asile et immigration en 2018 a ajouté de la confusion. « Les décisions positives rendues par les tribunaux en ce qui concerne les cas que nous traitons sont rarissimes, alors même qu’il y a urgence et que nous avons à faire à des personnes en situation de grande vulnérabilité. On a été abandonnés par les juges. »

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De fait, parmi les migrants qui se présentent ce jour-là, beaucoup sont des déboutés des tribunaux.

Pour plus d’intimité, des rideaux installés entre l’allée et les sièges du bus sont tirés durant les consultations des avocats avec les migrants.

Bakary, 29 ans, originaire de la région de Kayes, au Mali, vient d’essuyer son premier refus. Pour lui, la situation semble moins désespérée. Il tend une pochette de documents rose aux élastiques usées et présente son cas:

-Au Mali, il y a une guerre d’esclaves (sic). C’est pour ça que je demande l’asile ici.

-D’accord. Mais est-ce que le problème vous touche personnellement? Quand on demande l’asile, il faut pouvoir prouver qu’on est soi-même en danger dans son pays.

-Je me suis engagé dans un mouvement de lutte contre l’esclavage et cela m’a causé des problèmes.

-Pourquoi votre demande a-t-elle été rejetée?

-L’Ofpra ne croit pas à mon rôle au sein de ce mouvement de lutte.

-Quand avez-vous été notifié de cette décision?

-Ma demande a été rejetée en novembre mais je ne l’ai su que le 5 décembre, c’est ce jour-là seulement que j’ai récupéré le document m’informant de cette décision. J’étais à l’hôpital avant ça, car je suis malade.

-On est déjà le 20 décembre, il faut se dépêcher pour déposer un recours [après le rejet d’une demande d’asile, il est possible de contester la décision en envoyant un recours à la Cour nationale du Droit d’Asile (CNDA) dans un délai d’un mois, NDLR). Je vais demander l’aide juridictionnelle pour vous auprès de la CNDA. Je peux prendre votre numéro de téléphone pour vous revoir? Où vivez-vous?

-Dans un foyer à Saint-Denis.

-Est-ce que vous avez le document qui atteste que vous êtes hébergé la-bas?

-Je ne sais pas.

-Cherchez dans vos papiers. Il me faut cette attestation. Je faxerai tout ce soir. On sera dans les temps, j’espère.

« Il fait froid dehors »

D’autres cas, plus rares, concernent des primo arrivants. À l’image de Cheraghi M., un Iranien de 40 ans, dont le visage souriant se décompose peu à peu au cours de l’entretien.

-Je suis dubliné en Italie, j’étais demandeur d’asile pendant trois ans là-bas et ce pays n’a rien fait pour moi. Je n’ai pas eu de logement, rien. Je veux demander l’asile en France. Des personnes m’ont dit que ça allait prendre six mois pour avoir un rendez-vous avec la préfecture, c’est vrai? Du coup, en attendant, je fais quoi?

-Vous ne pouvez rien faire en attendant, Monsieur.

-Je ne peux même pas demander une place quelque part pour ne pas dormir à la rue? Il fait froid dehors.

-Vous pouvez appeler le 115 pour un hébergement d’urgence. C’est la seule chose à faire. Il faut appeler tous les jours. Mais il faut que vous insistiez, et que vous soyez patient.

-D’accord… Merci.

 

InfoMigrants

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