Expulsés d’Europe, des sénégalais tentent de retrouver la joie de vivre, de travailler dignement. Mais la rancoeur demeure. Nous sommes partis à leur rencontre à Dakar.
La question des retours forcés des migrants reste présente dans toutes les conversations. Au marché central de Sandaga par exemple, les commerçants racontent volontiers des situations personnelles et sociales dramatiques provoquées par les expulsions. Familles séparées, dépressions, suicides…
Aminata, 27 ans, séparée de sa famille française
« Mon père et mes demi-frères habitent en France depuis plus de 17ans« . L’histoire de cette jeune fille de 27 ans, originaire de la banlieue de Rufisque, concentre tout le désarroi vécu par les personnes refoulées d’Europe. Née dans une famille « normale« , dit-elle, un père instituteur, une mère au foyer, elle résiste aux modes de vie traditionnels très influencés par les marabouts dès son bas âge. « A la maison, nous avons toujours eu la télévision, et rêvé d’une vie libre et meilleure, sortir de la pauvreté« .
Le père, parti travailler comme ouvrier en France lorsque la mère décède à la fin des années 80, arrive à faire venir sa fille. L’adolescente intègre vite la vie parisienne dans une cité HLM. Elle raconte : « Les années sont vite passées. Dans ma tête, j’étais déjà française comme mes demi-frères. A 24 ans, je me suis vite retrouvée sans-papiers. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi. Vous allez renouveler vos papiers parce que vous n’êtes pas née en France, et on vous dit que non. Puis, le dégoût, le découragement; vous vous absentez au rendez-vous, ainsi de suite« .
Fragilité sociale, incompréhensions familiales, déprimes à répétition, elle ne cache rien lorsqu’elle égrène ses déboires parisiennes… : « J’ai fait serveuse au noir. Lorsqu’on est une fille seule à Paris dans une famille africaine, sans moyens financiers, on tombe facilement dans des délires inimaginables« . Des dépendances insupportables pour une fille qui rêvait de liberté.
« Mourir en héros plutôt que de rentrer refoulée »
« Mes parents ne me supportaient plus depuis un moment, suite à mes tentatives de sortir de l’emprise familiale. Je voulais vivre cela en dehors de la communauté sénégalaise. J’ai habité des foyers de clochards en province. A la fin, j’ai préféré sortir de la clandestinité et j’ai été me rendre de mon propre gré« .
Aminata ne sait vraiment pas quoi faire aujourd’hui pour s’en sortir. Elle aimerait donner des cours de français.
« Il faut juste arriver à gommer mon identité de fatou (émigrée) expulsée, pour que la société puisse me faire confiance. Ici, vaut mieux mourir en héros que rentrer refoulée. »
« Les Occidentaux n’aiment qu’on aille chez eux »
Abdou a vécu trois années en Italie. La quarantaine passée, disciple Baye Fall
« c’est ma famille, mon éducation et le mouridisme qui m’ont aidé à me reconstruire« .
Sa boutique a tout d’une affaire florissante. « Ici, pour nous qui sommes revenus comme ça, nous n’avons aucun statut. Personne ne nous aide. Le gouvernement ne veut rien faire pour nous. Il y en a beaucoup qui ne s’en sortent pas, qui sombrent dans l’alcool et dans la drogue. Je n’ai plus de rancœur envers les Occidentaux. C’est même avec eux que je fais mon business. »
La rancœur, peut-être pas, mais une grande colère demeure dans les propos d’Abdou.
« Moi, je veux te dire ce que je pense: ce que j’ai compris de mon expérience, c’est que les Occidentaux n’aiment pas qu’on aille chez eux. Les jeunes africains doivent comprendre que leur avenir est ici.(…). Notre problème, partout en Afrique, ce sont aussi nos gouvernements. Les gouvernements nous ont trahis. Je veux dire à tout le monde que ce n’est que dans son pays qu’on peut se sentir respecté. »
La réussite du jeune couturier Diop
Des parcours d’expulsés qui s’accrochent existent. A son retour forcé il y a 3 ans, Ousmane Diop décide de mettre à profit ce qu’il avait appris avant de prendre la pirogue de l’aventure.
« Dans la tête, j’ai toujours été couturier, même si j’ai travaillé comme nettoyeur de carreaux durant toute ma clandestinité en France, en Belgique puis en Italie. »
Il décide alors d’ouvrir rapidement un salon de couture au Nord de Dakar.
« C’est ma fiancée restée en Europe qui m’a aidé. C’était dur au début, parce j’avais encore mon cœur là bas« .
Il avait laissée en effet sa conjointe seule, enceinte, au moment même où ils projetaient le mariage. « Je ne dormais pas les nuits« , avoue-t-il.
Loin des yeux, le couple se disjoint peu à peu. En Europe, la femme a refait une autre vie, lui est entièrement pris par son « business ». Son entreprise emploie aujourd’hui près d’une quinzaine de salariés professionnels, sans compter les nombreux apprentis. On raconte ici que ses créations sont énormément appréciées dans le monde entier par la diaspora sénégalaise.
Le seul problème aujourd’hui, c’est qu’il ne peut pas développer son business sur l’international, « parce que je suis fiché partout« . Il explique: « Je serais invité à un grand salon en Europe, je ne pourrais même pas y aller, faute de visa. Je n’y pense même pas« .
Pour commercer avec l’Occident, il est obligé de passer par des intermédiaires. « C’est une situation qui favorise des rapports de dépendance souvent insupportables. Qu’on soit un ancien migrant expulsé ou un petit commerçant sans histoires, le climat de suspicion et les critères d’octroi des visas ne permettent pas à un entrepreneur comme nous d’intégrer normalement le marché international. »
Source : YOUPHIL