Des travailleurs maliens et sans papiers étaient cantonnés aux tâches les plus pénibles et dangereuses.
Une décision « historique », une « victoire juridique importante ». Mardi 17 décembre, vingt-cinq ouvriers maliens, soutenus par le syndicat CGT et le Défenseur des droits, ont fait condamner leur ancien employeur, la société de démolition MT BAT Immeubles, pour « discrimination raciale et systémique », par un jugement du tribunal des prud’hommes de Paris, qui décrit un « système organisé de domination raciste » dans lequel les Maliens sans papiers étaient cantonnés aux tâches subalternes et dangereuses.
« C’est la première fois qu’il y a une action de groupe sur des faits de discrimination raciale systémique », soulignait Maryline Poulain, de la CGT. Ils ont obtenu chacun 34 000 euros de dommages et intérêts et près de 3 000 euros de salaires en retard.
Les travailleurs s’étaient fait connaître malgré eux, à l’occasion d’un accident survenu sur un chantier de démolition de 2 000 mètres carrés dans le 7e arrondissement de Paris, en 2016. L’un des ouvriers avait fait une chute de plus de deux mètres depuis un échafaudage non réglementé. L’employeur avait refusé d’appeler les secours, ce qu’avaient malgré tout fait les salariés, alors que leur collègue blessé avait perdu connaissance. L’arrivée de l’inspection du travail, de la police et des pompiers sur les lieux avaient mis au jour la présence de 25 travailleurs sans papiers, non déclarés, qui travaillaient dans des conditions « indignes », au mépris des règles de sécurité et de santé.
« Les responsables de la société mise en cause considéraient les travailleurs maliens comme des entités interchangeables et négligeables et les plaçaient ainsi en bas de l’échelle de l’organisation du travail », détaille le jugement, reprenant l’analyse du Défenseur des droits.
« Ainsi, poursuit le jugement, il apparaît que tous les travailleurs maliens étaient des manœuvres assignés aux tâches les plus pénibles du chantier, à savoir les travaux de démolition consistant à casser les murs et les plafonds à la masse, dans des conditions extrêmement dangereuses. »
« Discrimination systémique »
A l’audience, le 23 mai, un des salariés, Dipa Camara, avait ainsi expliqué travailler en présence d’amiante et de plomb « sans masque et sans gants ». Un autre travailleur, Mahamadou Diaby, avait déclaré être payé entre 45 euros et 55 euros la journée, en espèces, sans jours de congé. Il devait monter sur une poubelle pour travailler en hauteur et s’était cassé des dents et fracturé des doigts sur d’autres chantiers.
Le jugement note que, selon la hiérarchie instituée dans l’entreprise, « les salariés d’origine maghrébine (…) sont les encadrants de proximité qui donnent des directives, s’assurent de la bonne exécution des travaux, du respect des délais et payent les salariés en liquide ». Cette assignation des tâches à un groupe semble se faire « uniquement en fonction de son origine (…) qui lui attribue une compétence supposée, l’empêchant ainsi de pouvoir occuper un autre positionnement au sein de ce système organisé de domination raciste ».
Le jugement évoque encore une « discrimination systémique en termes de rémunération, d’affectation, d’évolution professionnelle » en lien avec leur origine ouest-africaine et leur situation administrative.
« C’est un dossier emblématique des discriminations qu’on rencontre dans le BTP, le nettoyage ou la restauration », se félicitait, mardi, Aline Chanu, l’avocate des salariés.
Le Monde