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Dans les Yvelines, la lutte de travailleurs sans papiers pour leur régularisation

travailleurs sans papiers

Ils travaillaient jusqu’ici avec les « vrais » papiers de quelqu’un d’autre. Des agences d’intérim ont été occupées par des salariés soutenus par la CGT.

Fodé Sylla, 29 ans, n’est pas un « réfugié ». Sénégalais, il fait partie de ces migrants « économiques » que la plupart des politiques ne veulent pas accueillir en France, au motif qu’il n’y aurait pas assez de travail. Quand il est arrivé à Paris, en décembre 2009, M. Sylla est effectivement resté sans travail durant plusieurs mois « faute d’avoir des papiers ».

« Heureusement, il y a la solidarité africaine,dit-il, sans laquelle on aurait crevé de faim. »

Il finit par être recruté en 2011 par une agence d’intérim pour des missions dans la restauration, pour un jour, une semaine, huit mois. Pour y être embauché, il a, comme tant d’autres, utilisé la carte de séjour d’une personne qui, elle, est en situation régulière. Certains font de même avec deux ou trois personnes, qui reversent son salaire au sans papiers. Pour M. Sylla, ce sont les papiers « d’un ami malien rencontré à Paris, qui a fait beaucoup pour moi. On se ressemble, physiquement. J’ai toujours ses papiers sur moi, sauf quand il se rend en Afrique.»Du coup, avec ce nouveau revenu, cet « alias », comme ils disent, est devenu imposable. Le paiement de l’impôt est partagé entre eux deux.

Ce travail précaire permet juste à M. Sylla de partager une chambre dans un foyer pour travailleurs immigrés. Ils sont à trois pour un seul lit. Deux dorment donc par terre.

Sans papiers, M. Sylla est sans droit, sans protection sociale, ni cotisations retraite, licenciable sans aucune formalité. Corvéable à merci dans des métiers difficiles et mal payés. Dans l’intérim, par exemple, « on peut les appeler à 22 heures pour venir travailler à minuit pour une journée, relate Sonia Porot, secrétaire générale de l’Union départementale CGT des Yvelines. D’autres travaillent dans des bâtiments amiantés avec un simple petit masque. Il faut être dans une situation extrêmement précaire et vulnérable pour accepter ce genre de travail. » « Ils ne prennent le travail de personne », soutient Francine Blanche, membre de la direction confédérale de la CGT.

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Cette année, en avril, n’en pouvant plus de cette situation, il avoue à son directeur d’agence que ses papiers d’identité ne sont pas les siens et demande qu’on lui remette les documents lui permettant de déposer un dossier de régularisation. Il s’agit d’une part du certificat dit de concordance d’identité, dans lequel l’employeur certifie que l’employé qui travaille pour lui est bien celui qui demande une régularisation. Et d’autre part, du document Cerfa de demande d’autorisation de travail pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger résidant en France, qui équivaut à une promesse d’embauche. Le salarié doit ensuite déposer son dossier à la préfecture, qui vérifiera s’il répond aux critères prévus dans la circulaire Valls du 28 novembre 2012 sur la régularisation des salariés étrangers.

Le directeur d’agence de M. Sylla, qui est « content » de son travail, selon lui, lui transmet les éléments à adresser au siège de la société d’intérim (relevé d’heures, etc.). Mais trois semaines plus tard, un courrier de la direction des ressources humaines l’informe de son refus de délivrer les précieux documents. « Le motif était que j’avais usurpé une identité. Je suis resté figé, j’ai pleuré. » Fin des missions d’intérim pour lui.

De nombreux employeurs de ces sans papiers, dans l’intérim et dans d’autres secteurs, qui, au fil de l’eau et pendant des années ont délivré ces documents, ont, comme pour Sylla, cessé de le faire, au printemps 2015. Et comme lui, des salariés ayant sollicité leur patron pour les obtenir ont été licenciés. Est-ce, comme certains le croient, la conséquence d’ « une injonction » du syndicat professionnel de l’intérim, Prism’emploi, dont le délégué général, François Roux, a déclaré début juillet qu’il ne voulait pas que « l’intérim devienne le maillon faible de la régularisation » ? Sollicités, ni Prism’emploi ni Adecco, Manpower, Randstad ou encore Crit n’ont accepté de répondre à nos questions.

Juste avant l’été, une lutte, qui rappelle les grandes mobilisations des travailleurs sans-papiers en 2008, va alors démarrer dans les Yvelines, où environ 450 sans papiers, dont une centaine dans l’intérim, sont organisés en collectif, et affiliés à la CGT. Avec quelques résultats. « Lors de réunions en préfecture en présence du Prism’emploi, Adecco, Randstad et Manpower ont dit être d’accord pour délivrer les certificats de concordance, souligne Mme Blanche. Et se sont engagées à interpeller les autres sociétés d’intérim sur ce sujet. » « C’est une première étape. Nous attendons de voir si cet engagement est respecté, souligne Mme Blanche. Si ce n’est pas le cas, nous avons une force de frappe : l’occupation des agences, comme nous l’avons fait dans les Yvelines. » Puis « nous allons demander à toutes les branches de s’engager la même manière. »La deuxième étape, l’obtention du Cerfa, est toujours en discussion dans les Yvelines.

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La seconde branche visée par le mouvement est celle de la propreté, où « 80 % des salariés sont étrangers », selon la CGT. Jeudi, une centaine de sans papiers des Yvelines se sont rassemblés devant les locaux de la Fédération des entreprises de propreté (FEP), à Villejuif (Val-de-Marne). Une délégation du collectif et de la CGT a été reçue.

Selon une porte parole de la FEP, la fédération patronale a indiqué qu’elle allait adresser aux entreprises adhérentes une circulaire leur rappelant qu’elles peuvent« accompagner » leurs salariés dans le processus de régularisation ou bien « le licencier puisqu’il y a eu usurpation d’identité, ce qui est un délit. »

Ce n’est pas exactement ce qu’a retenu de cette rencontre Mme Blanche. Selon elle, la possibilité de licenciement n’a pas été évoquée. La FEP s’est engagée, dit-elle, pour les salariés licenciés, à demander aux entreprises adhérentes de s’engager dans le processus de régularisation. La circulaire Valls est faite justement pour poursuivre le contrat de travail jusqu’à la fin de l’examen du dossier par la préfecture. Les entreprises ne risquent rien. »

La CGT et le collectif iront ensuite rencontrer les entreprises de propreté « les unes après les autres. Si elles refusent de négocier, on s’installera dans leurs locaux. » « Il faut arrêter l’hypocrisie, exhorte Mme Blanche, et reconnaître ces gens qui font des travaux peu qualifiés mais indispensables à l’économie française. »

 

Source : Le Monde

 

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