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Témoignage. “Est-ce ici que je veux que mes enfants grandissent ?”

Témoignage. “Est-ce ici que je veux que mes enfants grandissent ?”

Le correspondant du Financial Times Simon Kuper assistait au match France-Allemagne lors des attentats de Paris, au Stade de France. Pour la première fois depuis treize ans, il se demande s’il va rester à Paris.

J’étais dans les gradins du Stade de France pour assister au match France-Allemagne quand j’ai entendu la première explosion. Très puissante, elle m’a donné l’impression de venir de l’extérieur du stade. La plupart des gens n’y ont pas prêté attention, certains ont même poussé des acclamations : les spectateurs des matchs de foot sont habitués aux pétards. Même après la seconde déflagration, quelques minutes plus tard, la foule a continué à manifester son enthousiasme et la rencontre s’est poursuivie.

D’autres attentats dans le centre-ville ont coûté la vie à plus d’une centaine de personnes. Toute la soirée, nous avons vécu dans l’incertitude, essayant de comprendre ce qui pouvait bien être en train de se passer. Curieusement, après les explosions, le public a continué à suivre le match et à saluer les buts français. Moi, j’avais cessé de regarder. J’étais sur mon ordinateur portable, je scrutais les nouvelles, horribles, tout en me demandant : est-ce ici que je veux que mes enfants grandissent ?

  Je vis à Paris depuis treize ans. J’ai toujours trouvé que la ville, une des plus belles du monde depuis des siècles, fonctionnait très bien. Il y a des terroristes locaux, certes, mais la plupart des Parisiens se mélangent sans se soucier autrement des frontières ethniques.”

Par le biais, essentiellement, de l’école et du club de football de mes enfants, nous avons, plus ou moins sans le vouloir, établi des contacts amicaux avec des gens d’origine musulmane, chrétienne ou juive. L’autre soir encore, un couple sénégalais musulman que nous connaissons – nos enfants jouent ensemble depuis la crèche – était assis avec nous dans notre cuisine, et nous nous demandions pourquoi tout le monde ne parvenait pas à s’entendre.

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“Paris est un miracle”

Le grand Paris abrite 12 millions d’habitants plutôt irritables et entassés dans un espace trop exigu, mais jusqu’à présent, il a prospéré. En fait, Paris est un miracle. Nous avons surmonté ensemble les attentats liés à Charlie Hebdo. La plupart des Parisiens ne sont pas engagés dans un terrible bras de fer planétaire entre religions. Comme tous ou presque, et partout, ils s’efforcent juste de vivre leur vie, de rembourser leurs prêts et, le soir, de s’affaler devant leur télé, de dîner avec des amis ou d’aller voir un match de foot.

Nous avons continué à vivre après Charlie Hebdo. L’école de mes enfants est située près d’une cible assez évidente pour des terroristes et ils se sont habitués à s’y rendre le matin sous la surveillance de soldats armés de fusils d’assaut. Au bout d’un moment, ils n’y ont même plus fait attention.

Mais ce soir, pour la première fois, je me demande si nous pouvons rester à Paris. Le Bataclan, un café-concert populaire où des dizaines de personnes ont été abattues, ne se trouve qu’à quelques centaines de mètres de notre domicile. J’y ai dîné une ou deux fois, suis passé devant à maintes reprises. Désormais, on s’en souviendra à jamais comme d’un lieu de mort. Ma famille est saine et sauve. Mais que nous réserve l’avenir ?

Vivre à Paris, c’est sortir, retrouver ses amis dans des cafés comme celui du Bataclan, rencontrer des gens passionnants venus du monde entier, aller voir des matchs de foot ou visiter le Louvre. Les lieux de convivialité ne manquent pas dans la capitale : Paris, ses cafés, ses lieux culturels et ses parcs. Aucune autre ville ne peut rivaliser avec elle dans ce domaine. Or si ces espaces publics deviennent dangereux, la ville n’a plus aucun sens.

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“Mes enfants nous ont interdit de déménager”

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une guerre de civilisations. Je pense qu’il s’agit de la guerre de deux milliers de djihadistes contre une capitale. Le problème, et nous l’avons vu en ex-Yougoslavie ou au Liban, c’est qu’il suffit de quelques hommes armés jusqu’aux dents pour rendre un endroit invivable. Je verse peut-être dans l’hystérie, j’écris d’ailleurs cet article sous le coup de l’émotion.

Si c’est le cas, je resterai peut-être à Paris treize années supplémentaires. Mais je suis d’une nature pessimiste. Et je crains que la peur et le danger ne fassent désormais partie de notre quotidien. Je ne sais pas comment le dire à mes enfants. Ils adorent Paris. Ils se considèrent comme de vrais petits Parisiens. Ils n’ont jamais vécu ailleurs et nous ont répété à plusieurs reprises qu’ils nous interdisaient de déménager. Mais je ne peux pas leur faire croire que tout va bien.

 

Source : Courrier international

 

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