Quarante-trois Emiratis ont été condamnés à la prison à vie dans le royaume du Golfe pour des faits de terrorisme après un procès très critiqué par des experts de l’ONU et ONG de défense des droits humains, accusant le pays de mener une répression contre les dissidents.
Des opposants et des défenseurs des droits humains figuraient parmi les 84 accusés traduits devant la Cour d’appel fédérale d’Abou Dhabi.
Celle-ci a « condamné 43 accusés à la prison à perpétuité pour le crime d’avoir créé, établi et géré une organisation terroriste », a déclaré l’agence de presse officielle émiratie WAM.
Dix autres ont été condamnés à des peines allant de dix à quinze ans de prison, a précisé WAM, ajoutant qu’un accusé a été acquitté. Vingt-quatre autres affaires ont été jugées irrecevables, selon l’agence qui n’a pas donné plus de détails.
D’après les ONG Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, la plupart des accusés sont déjà en prison depuis plus de dix ans après avoir été condamnés dans le cadre du procès de « EAU 94 » en 2013 pour les liens présumés de 94 personnes avec les Frères musulmans, mouvement islamiste interdit aux Emirats.
Beaucoup avaient déjà purgé leur peine mais les autorités émiraties affirment que les dernières accusations sont « distinctes » de celles portées en 2013, qui ne comprenaient pas d’accusations de financement d’une « organisation terroriste ».
« Parodie de justice »
Parmi les personnes condamnées à la perpétuité mercredi, figure l’universitaire Nasser ben Ghaith, détenu depuis août 2015 pour ses publications sur les réseaux sociaux, selon Joey Shea, chercheuse pour HRW dans le royaume.
Le célèbre défenseur des droits humains Ahmad Mansour, condamné à dix ans de prison en 2018 pour avoir publié de « fausses informations » en ligne et porté atteinte à la réputation de l’Etat, pourrait également figurer parmi les personnes condamnées, bien que les détails de sa peine ne soient pas clairs, a indiqué Mme Shea.
La chercheuse a dénoncé une « parodie de justice ». Amnesty International a également dénoncé le procès. « Le fait de juger 84 Emiratis à la fois, dont 26 prisonniers d’opinion et défenseurs des droits humains bien connus, est un exercice à peine déguisé visant à punir les dissidents », a déclaré Devin Kenney, chercheur à Amnesty International sur les Emirats arabes unis. Les Emirats ont nié tout acte répréhensible: le tribunal « a garanti aux accusés tous leurs droits », a assuré WAM.
Silence « assourdissant des alliés »
Les Emirats arabes unis, fédération de sept monarchies absolues, interdisent toute critique de leurs dirigeants et tout discours susceptible de créer ou d’encourager des troubles sociaux.
La diffamation ainsi que les insultes verbales et écrites, qu’elles soient publiées ou prononcées en privé, sont des délits passibles d’amendes et de peines d’emprisonnement.
En 2012, dans le sillage du Printemps arabe qui a vu la chute de plusieurs dirigeants autoritaires dans la région, les Emirats ont lancé une vague d’arrestations et de poursuites visant des dizaines d’opposants qui réclamaient des réformes politiques.
Dans une lettre envoyée aux autorités émiraties en janvier, des experts de l’ONU ont mis en cause, dans le procès des 84, des « irrégularités présumées » telles que « le recours à la torture ou à d’autres (…) traitements cruels, inhumains ou dégradants pour obtenir des aveux forcés ».
Ben Saul, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains et la lutte contre le terrorisme, avait déclaré en mars à Genève que les dernières accusations « se rapportent au même comportement que celui pour lequel bon nombre de ces accusés ont été jugés la première fois il y a une dizaine d’années ».
La semaine dernière, HRW a déclaré que de nombreux accusés étaient maintenus à l’isolement depuis au moins un an et qu’ils avaient signalé notamment des agressions physiques, un manque d’accès aux médicaments, ou encore une nudité forcée.
« Les autorités émiraties utilisent depuis longtemps les relations économiques et sécuritaires de leur pays pour empêcher toute critique » de leurs alliés sur la question des droits humains, a noté Mme Shea de HRW. « Mais rarement, voire jamais, le silence de ses alliés n’a été aussi assourdissant », a-t-elle déploré.