Magatte Wade est représentative d’une nouvelle génération d’Africains. Une jeunesse qui n’a plus de complexes face à un Occident dont elle connaît tous les codes. L’entrepreneuse sénégalaise ambitionne de lancer la première marque africaine d’envergure planétaire. Après avoir vendu des boissons ethniques aux Etats-Unis, elle y commercialise des cosmétiques de luxe à base d’ingrédients traditionnels.
« Les Sénégalais ne rêvent que de partir en Amérique. En règle générale, les Africains pensent toujours que ce qui se fait ailleurs est mieux. Je veux qu’ils prennent confiance en eux, qu’ils se voient enfin en contributeurs de la planète.»
Vaste projet que celui de Magatte Wade, née il y a trente-neuf ans à M’Bour (Sénégal), qui veut lancer « la première marque africaine de produits de consommation capable d’intégrer le top 100 mondial ».
Dés qu’elle prend la parole, tout le monde redresse la tête et l’écoute. Magatte Wade est une oratrice née.
«Récemment on m’a demandé de m’exprimer devant plus 5.000 personnes au Nigeria. Derrière les écrans de télévision, il y avait plus de dix millions de personnes», explique Magatte Wade qui est consciente qu’elle pourrait faire un tabac dans l’arène politique, mais préfère se tenir à distance de ces combats en eaux troubles.
Jeune chef d’entreprise, Magatte Wade est l’un de ces nouveaux visages qui captent la lumière. Il est vrai qu’elle a tout pour attirer l’attention.«Africaine, jeune, belle, intelligente et pleine d’énergie», explique un participant au New York Forum for Africa.
La France, trop petite pour ses ambitions
Aînée d’une famille de quatre enfants, élevée par sa grand-mère quand ses parents émigrent en Europe pour raisons professionnelles, elle accomplit le rêve de ses compatriotes en s’installant aux Etats-Unis après des études de gestion en France.
«Ce pays était trop petit pour mes ambitions. J’étais prête à travailler dur, mais je voulais être récompensée en conséquence.»
Elle s’installe donc aux Etats-Unis, où elle a appris tous les codes de la culture d’outre-Atlantique et devient une fervente supportrice de la culture d’entreprise et du «branding». Un mot qu’elle répète avec ravissement.
C’est en allant aux racines de sa culture que Magatte Wade a cofondée sa première entreprise Adina World Beat en 2004 à San Francisco.
«Quand j’allais au Sénégal, je me désolais de voir que les jeunes se détournaient du bissap. Ils voulaient boire des sodas américains. Alors que la culture des feuilles d’hibiscus fait vraiment partie du mode de vie du Sénégal. La culture du bissap fait vivre les femmes des villages. Ces cultures permettent de lutter contre l’exode rural.»
Adina World Beat Beverages propose aux bobos une alternative éthique et saine aux sodas: des boissons traditionnelles comme le bissap à base d’hibiscus ou des thés gourmets, certifiés biologiques par l’USDA et issus de petits fournisseurs indépendants travaillant dans des conditions décentes. Vendues dans des chaînes d’épiceries chic (Whole Foods, Wegmans), les quatre lignes d’Adina trouvent rapidement leur public et des parrains d’envergure (les fondateurs des jus naturels Odwalla, un ancien dirigeant de PepsiCo). L’entreprise réalise 3,2 millions de dollars de chiffre d’affaires, emploie 25 personnes et lève plus de 30 millions.
Des projets tous azimuts
Mais Magatte Wade ne reconnaît plus son bébé et passe à un nouveau projet plus en phase avec sa philosophie. En 2011, c’est près de New York, à Hudson, qu’elle lance Tiossan («Origines» en wolof), une entreprise de cosmétiques de luxe à base d’ingrédients naturels sénégalais. Après quatre ans de tests, les huiles et onguents sont fabriqués aux Etats-Unis et vendus dans le réseau Nordstrom. Magatte Wade s’apprête à transférer leur production en Afrique pour y créer des emplois et financer des établissements de type Montessori, pour former les jeunes aux activités créatives.
Prochaine étape: construire un complexe Tiossan au Sénégal, avec usine, école, logements pour les salariés et spa pour les clients.
Une Africaine d’influence
Américaine, Magatte l’est sans doute beaucoup, mais en même temps elle reste très sénégalaise.
Elle veut aider à créer en Afrique une génération de «global leaders». Son enthousiasme est contagieux. The sky is the limit en version wolof. Elle devient intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer tout ce que l’Afrique peut faire. Tout ce que l’Afrique va faire. Et qui va la faire sortir du sous-développement. Elle en oublie la pendule qui tourne.
Magatte consacre une grande partie de son énergie à convaincre les Africains de consommer local.
«Bien sûr, en Afrique, il y a toujours l’attrait très fort des marques. Comme ailleurs dans le monde, les jeunes veulent des Nike ou du Coca Cola.»
Mais ajoute Magatte:
«Il y a aussi un complexe d’infériorité. L’Africain pense toujours que ce qui est produit ailleurs est meilleur que ce qui vient de chez lui. Alors qu’aux Etats-Unis, il y a des gens heureux de consommer africain. Des Américains qui refusent les produits chinois et se jettent sur ce qui est produit en Afrique. Et ils veulent connaître la culture africaine dans sa globalité.»
Au Sénégal, traditionnellement, on forme des hauts fonctionnaires, sur le modèle de la France. Il faut changer de mentalité. D’un côté, il y a les modou-modou (mot wolof qui désignent les petits commerçants) plein d’énergie et d’esprit d’entreprise, mais qui n’ont aucune formation. Et de l’autre, il y a les intellectuels qui ne veulent pas créer d’entreprise, qui ne veulent pas prendre de risques, contrairement aux Américains»,explique-t-elle en français, avec parfois un léger accent anglophone.
Fatiguée de rappeler aux Occidentaux que l’Afrique ne se résume pas «aux safaris et à l’art tribal», l’entrepreneuse veut leur vendre des articles haut de gamme qu’ils achèteront par goût et non par compassion.
«Arrêtez de lever des fonds pour l’Afrique; commencez à y investir», martèle-t-elle dans les forums internationaux auxquels elle est régulièrement invitée.
Distinguée par Forbes comme l’une des 20 jeunes Africaines d’influence, choisie comme Young Global Leader par le Forum économique mondial, auteur de tribunes dans Barron’s et sur le site du Huffington Post, elle milite pour que les gouvernements du continent adoptent des cadres réglementaires plus favorables aux petites entreprises. «L’élément clé pour que les Africains connaissent enfin la prospérité.»
Ci-dessous son TEDx : les étapes pour faire vivre une idée