Fabienne Kanor raconte les heurts et malheurs d’un jeune en quête de lui-même, du Sénégal à Lampedusa.
Faire l’aventure, de Fabienne Kanor. Éditions J.-C. Lattès, 364 pages, 18 euros.
En 2010, dans son roman Anticorps, Fabienne Kanor, née en Martinique, s’interrogeait avec rage sur la vie de couple et sur l’émancipation féminine.
Elle choisit cette fois de se mettre dans la peau de Biram, un jeune Sénégalais qui, du jour au lendemain, décide de partir « faire l’aventure » en empruntant les routes de l’exil, lesquelles le mèneront du pays d’origine aux côtes de l’Europe.
Malgré mille déboires, cet anti-héros endurant conserve une énergie d’adolescent et répète à qui veut l’entendre : « Quand je veux je rentre. »
Biram déjoue l’absurde de sa condition en prétextant vivre son odyssée d’errant forcé, volontaire et fier avec des « pieds d’aventurier » pleins de corne.
Le récit laisse de côté toute forme de linéarité puisque de larges pans d’existence du héros sont passés sous silence. Sa psychologie est fouillée, il a de l’épaisseur. Son voyage comporte de nombreuses zones d’ombre et ressemble à une série de brefs naufrages, du Sénégal à l’Italie, durant lesquels il côtoie la misère réelle des clandestins, dont il fait un temps partie, face aux requins locaux, à la police et au tourisme de masse.
Lorsqu’il quitte le Sénégal, au tout début du roman, le pays est envahi par les motos du Paris-Dakar et l’armada arrogante des grosses bagnoles chargées de journalistes. Un homme en fauteuil roulant prénommé Daibang, prototype de l’immobilité furibarde, estampillé « professeur à vie de littératures comparées et francophones » et spécialiste de Sony Labou Tansi, faisait alors partie de son univers ceinturé par la mer. Il y a aussi Marème, jeune citadine de Dakar un peu snob qui lui tourne la tête et ne cessera de le hanter.
Le roman se distribue en quatre chapitres intitulés « Mbour », « Ténérife », « Rome », « Lampedusa », nom des lieux traversés par Biram au cours d’une épopée de plus d’une décennie. Il rêvait d’autre chose et le voici confronté au « trimard ». Biram est « heureux d’avoir survécu à cette mer que l’on bourrait de cadavres ». On croise aussi des vendeurs à la sauvette (« modou-modou »), des clients d’hôtels miteux, une « toubab » un peu tapée, des négociants esclavagistes, bref une faune humaine foisonnante. La prose est efficace, le constat évident. Ce roman dresse le parfait inventaire sans peur d’une situation intenable. Il n’en reste pas moins que le héros en sort comme fortifié mais sans plus aucune illusion et retourne pour finir au pays natal après avoir fait son apprentissage dans des contrées hostiles dont il n’aura plus la tentation.