Ce fils d’ancien combattant sénégalais se bat pour lutter contre l’amnésie entourant l’esclavage et la colonisation.
Avec son manteau ajusté, son gilet et son chapeau, on ne serait pas surpris s’il tirait de sa poche une montre à gousset. Pourtant, quand les mânes ont présidé à sa naissance, en 1971, c’est bien dans l’intention de lui donner un rôle ici et maintenant. La preuve ? Ce défenseur acharné de la mémoire des tirailleurs sénégalais est né à Thiaroye, lieu de cristallisation de l’abjection coloniale version française.
Aîné d’une famille peule qui comptera vingt-cinq enfants, Karfa Sira Diallo est le fils d’un ancien combattant de la guerre d’Algérie. « Mon père était très reconnaissant vis-à-vis de l’armée, qui lui a appris un métier, mais cette reconnaissance ne lui a pas été rendue, raconte Diallo. Je me suis opposé à lui tôt, influencé par les idées communistes et syndicalistes. »
Jeune rebelle
La culture de l’opposition caractérise le parcours de ce militant acharné. Électron libre, il dérange, bouscule, percute, quitte à ne pas se faire que des amis. « J’étais un élève peu studieux, concède-t-il. Turbulent, curieux, je défiais souvent l’autorité. Évidemment, l’adolescence a été conflictuelle face à un père autoritaire qui utilisait souvent la force. L’obligation d’exemplarité de l’aîné me pesait. Mon engagement commence au collège avec le syndicalisme étudiant. » Nul en foot, grand lecteur, Karfa Sira Diallo entend s’orienter vers le droit. Il passe son bac à Pikine, au lycée Seydina-Limamou-Laye, excellent mais « maltraité par l’État sénégalais » parce que considéré comme un repaire de grévistes.
Engagé, le jeune Diallo devient porte-parole de la coordination des élèves du Sénégal. « Je suis réfractaire à l’idée de groupe, dit-il. Mais je me suis quand même imposé en ne comptant que sur moi, sur mon énergie. » Sur le campus de l’université Cheikh-Anta-Diop, il découvre la liberté… et la situation catastrophique de l’institution. Un temps représentant des étudiants, il doit prendre ses distances pour avoir dénoncé leur manipulation par les partis politiques, au milieu des années 1990.
Après une maîtrise en administration publique en 1996, il tente l’aventure française. « J’avais peut-être besoin de m’éloigner, j’étais attiré par le mirage occidental… Il fallait aller trouver des “armes miraculeuses”, comme dit Césaire, dans l’antre de l’oppresseur, afin de le comprendre. »
La volonté de faire entrer l’esclavage dans le débat politique
Chassez le naturel… Karfa Sira Diallo devient secrétaire général de l’Association des étudiants sénégalais de Bordeaux. Puis, devenu président d’Africapac (Fédération des associations étudiantes d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), il entend bien faire réagir l’ancien port négrier, terriblement amnésique. « En 1998, on a décidé de secouer la ville à l’occasion du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. » Petits boulots, premier mariage, premier enfant, engagement, Diallo ne change pas. Embauché chez Ford, puis chez Sida Info Service, il crée l’association DiverCités et s’engage de fait en politique en menant la liste Couleurs bordelaises, en 2001.
Son score, 4 %, porte préjudice à la gauche et ennuie la droite, « gênée dès qu’on parle d’esclavage ». Il n’empêche, la question entre dans l’agenda politique, et le maire, Alain Juppé, fait quelques promesses qu’il ne tiendra pas, notamment quant à la création d’un mémorial de la traite. « Encore une fois, j’étais le trublion qui gênait, et je me suis fâché avec la droite et la gauche, qui cogèrent la ville et ont la même culture politique par rapport à l’esclavage. »
La ville consent néanmoins à réaménager les salles du Musée d’Aquitaine. Le moins qu’elle puisse faire, selon l’incorrigible Diallo. En 2010, DiverCités est dissoute, Mémoires et Partages prend le relais, et il retrouve un moment le Sénégal, où « il y a une sorte de gestion touristique de la mémoire de l’esclavage, qui a été exilée sur l’océan, comme si le continent n’était pas concerné par les 45 millions de déportés ».
Son activisme finit par payer puisque, après une rencontre avec le président Wade, il obtient que l’abolition de l’esclavage soit commémorée une fois l’an, le 27 avril, à partir de 2010. En 2012, l’aventure politique le chatouille encore et il soutient la candidature du chanteur-homme d’affaires Youssou Ndour. La rupture viendra tôt : « Il ne fonctionne qu’avec son cercle, il est caractériel dans beaucoup de domaines. En outre, il mélange affaires publiques et activités privées, dans une confusion des rôles assez courante en Afrique. » L’aventure africaine ne cesse pas pour autant, puisque l’association Mémoires et Partages ouvre une antenne à Dakar.
En Aquitaine, le boutefeu s’assagit et collabore avec les autorités, mettant notamment en place une visite guidée du Bordeaux nègre et différentes expositions autour de l’esclavage ou des afrodescendants. « Ce qui m’intéresse désormais, c’est l’action politique non partisane, la pédagogie, la transmission. » La présidentielle française de 2017, même sans Alain Juppé, sera l’occasion d’interpeller tous les candidats à la magistrature suprême. En particulier sur le naufrage du paquebot Afrique, une nuit de janvier 1920, au cours duquel moururent 185 tirailleurs venus combattre loin de chez eux.
Jeune Afrique