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Ces immigrés qui se sont construits en France

Ces immigrés qui se sont construits en France
La Croix est allée à la rencontre d’Africains et d’Asiatiques arrivés en France dans les années 1960 ou 1970 pour y construire leur vie. Ces familles, qui comptent aujourd’hui deux, voire trois générations, témoignent de la manière dont elles se sont intégrées et de la relation particulière qu’elles ont tissée avec la France.
ALI, PETIT-FILS D’IMMIGRÉE ALGÉRIENNE

« TOUT NOUS INVITE À PRENDRE NOTRE PLACE, À CONDITION DE LE VOULOIR VRAIMENT »

À 72 ans, Radidja est une grand-mère heureuse. Mais à évoquer son destin sentimental et celui de ses filles, son regard s’assombrit un court moment. « Aucune d’entre nous n’a eu de chance avec les hommes, on dirait qu’on s’est donné le mot », résume cette Algérienne originaire de la région d’Oran. Arrivée en France en 1966 avec son mari et ses deux petites, Nassera et Salima, la jeune femme s’installe d’abord dans les Vosges, à la Petite-Raon. Puis la famille déménage à Paris, près de Ménilmontant. Mais très vite, le couple se sépare. En 1978, le divorce est prononcé.

Livrée à elle-même, Radidja va enchaîner toutes sortes de métiers pour subvenir aux besoins des siens : femme de ménage, gardienne, teinturière dans un salon de coiffure, secrétaire médicale… Ses filles, qui ont maintenant la cinquantaine, ont connu deux destins différents. Salima a commencé sa vie professionnelle en tant qu’assistante de direction, mais une fois mariée, elle est retournée en Algérie avec son époux, où elle vit cloîtrée à la maison. Nassera, femme de ménage, a elle aussi divorcé au milieu des années 1990. Son ancien mari est retourné au pays, la laissant seule avec ses deux fils.

Radidja elle aussi a bien songé à regagner sa terre natale. « C’est surtout au moment de la retraite que je me suis posé la question. Mais je me suis rendu compte que j’aimais la liberté que j’ai ici, à Paris », explique-t-elle en servant une chorba à Ali, son petit-fils, en visite avec sa compagne Laure. Pour elle, il n’a pas toujours été facile de se faire accepter en tant qu’Arabe. Pour montrer à quel point le pire a côtoyé le meilleur, elle aime raconter cette anecdote :

« Un jour en prenant le bus, j’ai voulu m’asseoir à côté d’une femme qui ne m’a pas acceptée. Mais dans le même temps, tout le monde m’a défendue. C’est cela aussi, l’intégration en France. »

Deux générations plus tard, les fils de Nassera s’en sortent très bien. Tous deux sont ingénieurs. Ali, 30 ans, dans les travaux publics, a emménagé avec Laure dans un beau loft situé à Saint-Denis. Ils attendent un bébé pour la fin de l’année. Le jeune homme revient de loin, lui qui a grandi en vivant à quatre dans moins de 20 m² place de Clichy, mais il ne se considère pas autant comme un miraculé.

« Mes parents voulaient notre réussite, même s’ils ne maîtrisaient pas les codes du monde scolaire. Tout ce qu’ils comprenaient, c’était les bulletins scolaires. Quand ils n’étaient pas bons, ils nous les accrochaient au mur avec un pistolet agrafeur dans l’entrée, pour nous mettre la honte », se souvient-il.

Dès l’âge de 16 ans, il enchaîne les petits boulots de serveur, caissier, magasinier… « Cela m’a donné la valeur des choses », témoigne le futur papa, qui n’aime pas entendre dire que l’intégration en France ne fonctionne pas.

« À force de souligner les ratés, plus personne ne voit à quel point tout nous invite à prendre notre place, à condition de le vouloir vraiment. C’est un pays fantastique où l’école ne coûte rien, il y a des bourses d’étude, des soins gratuits… »

Ali est fier d’appartenir à une société multiculturelle. Ses amis s’appellent François, David, Raphaël, Dusko, Soké, Jean-Baptiste. Lui-même se sent français et est toujours étonné quand on lui renvoie l’image… d’un étranger.

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SOMALY, FRANÇAISE D’ORIGINE CAMBODGIENNE

« NOUS NE FRÉQUENTONS PAS QUE LA COMMUNAUTÉ ASIATIQUE »

Somaly n’a pas choisi la France. Elle y a atterri brutalement en 1977 à l’âge de 20 ans en tant que réfugiée politique. Son père, d’un milieu aisé, était un médecin vietnamien installé au Cambodge. Avec sa femme et ses 14 enfants, ils vont fuir l’arrivée des Khmers rouges à Phnom Penh. Leur exode durera plus de deux ans. Une petite partie de la famille va s’installer aux États-Unis. Somaly, comme la majorité de la fratrie, va, elle, poser ses valises en région parisienne. « Même si j’avais appris à lire le français, je ne parlais pas du tout la langue. J’ai mis au moins quatre ans avant d’en maîtriser toutes les subtilités », explique sans accent cette mère de 55 ans.

Aujourd’hui Somaly, comptable chez Disney, coule des jours paisibles à Chelles (Seine-et-Marne) avec son époux, lui-même émigré d’Espagne lorsqu’il était petit. Mais la vie n’a pas toujours été facile. Elle se souvient des premiers temps, lorsqu’elle était encore hébergée chez l’une de ses sœurs, sans aucun moyen, alors qu’elle avait vécu dans l’opulence au Cambodge.

« C’était assez violent. J’ai enchaîné les stages de formation, puis obtenu un CAP en gestion. Avec ce diplôme, j’ai pu trouver facilement du travail. À l’époque, il n’y avait pas autant de chômage qu’aujourd’hui », précise-t-elle.

Contrairement à ses parents, aujourd’hui décédés, Somaly n’a pas vécu dans le fantasme du retour au pays. Chez elle, c’est ici. « J’aime la compagnie des Français, nous ne fréquentons pas que la communauté asiatique, je me serais sentie enfermée », souligne-t-elle.

Naturalisée en 1981, elle n’en a pas moins gardé quelques traditions, soigneusement transmises à son fils : aller à la pagode pour célébrer les défunts de la famille, fêter le Nouvel An chinois. Il y a aussi l’exigence académique.

« En Asie, la réussite des individus passe avant tout par les études, j’avoue que j’étais assez à cheval là- dessus », reconnaît-elle.

Pour son fils, ce sera un bac S ou rien. « C’est vrai que j’étais poussé par mes parents, mais je n’étais pas un très gros bosseur », se souvient Arnaud. C’est dit, le jeune homme ne fera pas Polytechnique comme l’un de ses cousins. « Je faisais le nécessaire mais comme beaucoup de jeunes de banlieue, je préférais m’amuser plutôt que suivre une voie d’excellence », poursuit-il.

Le jeune trentenaire est aujourd’hui ingénieur technico-commercial dans une entreprise d’informatique. Il a un sentiment d’appartenance très fort à son pays : il est français et fier de l’être.

« Je ne me promène pas partout avec des drapeaux tricolores, mais j’ai le sens de la patrie. J’aime le pays qui a accueilli mes parents et dans lequel j’ai grandi. Lorsque je me rends à l’étranger, je défends la France et sa culture. »

Sur ses racines, un seul regret, celui de ne pas avoir appris la langue à la maison.

« Lorsque j’aurai des enfants, je ne pourrai pas leur donner cette richesse en héritage, j’ai bien peur qu’au final, il ne leur reste pas grand-chose de la culture vietnamienne… »

 

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NASURDINE, FILS D’IMMIGRÉS COMORIENS

« LE CHANTIER DE LA DISCRIMINATION RESTE VASTE »

Ben Ahmed Haïdiri est « fier » :

« Nous sommes venus en France pour changer notre vie et offrir à nos enfants la chance d’avoir un avenir meilleur, et ils ont réussi. »

Assis dans le salon de son fils Nassurdine, cet ancien laveur de vitres comorien de 67 ans mesure le chemin parcouru depuis son arrivée à Marseille en 1975. Fils de paysan, exilé à 20 ans à Saint-Denis de La Réunion, cet ancien chauffeur de bus investit ses économies dans un billet d’avion pour Marseille en 1975.

« J’avais entendu qu’en France, on pouvait gagner plus d’argent, et il y avait beaucoup de Comoriens à Marseille », explique Ben Ahmed.

Rapidement, il trouve un logement au Panier grâce une agence immobilière connue de tous les Comoriens, et multiplie les jobs sans difficulté.

 À l’époque, la France avait besoin de main-d’œuvre. Le souci était de trouver un emploi bien rémunéré.

Grâce aux cours du soir, il apprend le français. Il sera successivement plongeur, chauffeur livreur puis laveur de vitres pendant quatorze ans avant de prendre sa retraite.

Sa femme, Nassyat, 55 ans, qui l’a rejoint en 1977, va, elle, travailler comme femme de ménage pendant vingt-huit ans. Contrairement à lui, elle ne parle toujours pas français.

« Je travaillais tôt le matin et tard le soir, je devais élever les enfants. Aujourd’hui, j’ai toujours un membre de ma famille pour traduire », dit-elle.

La famille loge à six dans un appartement de 45 m² dans le quartier multiculturel du Panier et « se serre la ceinture » pour offrir des études à trois de ses cinq enfants. « Je leur disais : plus tu apprendras, plus tu réussiras », martèle Ben Ahmed. Ses enfants vont connaître des fortunes diverses : femme de ménage à mi-temps, cantonnier, mère au foyer…

Dernier de la fratrie et le seul à être né à Marseille, Nassurdine va entrer à Sciences-Po Provence et décrocher un DESS (master 2) de management interculturel, puis un DEA en politique comparée avant de buter sur des difficultés très concrètes :

« Seul Noir de ma promotion, je n’ai pas trouvé d’emploi malgré mes démarches », constate-t-il, amer.

Il va donc travailler comme agent de sécurité. Marié, père d’un enfant de 2 ans, il a fondé en 2007 le conseil représentatif des Français d’origine comorienne. Et occupe depuis 2008 le poste de d’adjoint aux sports et à la vie associative à la mairie socialiste du 1er et du 7e arrondissement de Marseille, « une petite victoire ». Mais, dit-il, « le chantier de la discrimination reste vaste ».

La nouvelle génération – Abdoul, 18 ans, et Soyal, 16 ans – en témoigne. Soyal projette de faire un BTS pour diriger des équipes mais croit savoir que cela ne va pas être simple. Des chefs d’équipe noirs, il n’y en a pas.

 

La Croix

 

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