Nouveau revers pour le gouvernement britannique, la justice a déclaré jeudi « illégal » le projet controversé d’expulser vers le Rwanda les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni, mais le Premier ministre Rishi Sunak a immédiatement annoncé vouloir saisir la Cour suprême.
Ce projet, déjà retardé par la justice européenne, est l’une des mesures phares du gouvernement conservateur qui s’est fixé comme priorité de lutter contre l’immigration illégale dans le pays et en particulier les arrivées par la Manche à bord de petites embarcations.
La cour d’appel a estimé que le Rwanda ne peut en l’état être considéré comme un « pays tiers sûr » car il existe « un risque réel que les personnes envoyées au Rwanda soient renvoyées dans leur pays d’origine où elles étaient en proie à des persécutions et autres traitements inhumains ».
Toute expulsion vers le Rwanda constituerait « une violation » de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui dispose que « personne ne peut infliger à quiconque des blessures ou des tortures », a estimé la cour d’appel.
« A moins et jusqu’à ce que les déficiences de son processus d’asile soient corrigées, envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda sera illégal », conclut la cour dans un résumé du jugement.
Gouvernement déterminé
Mais le gouvernement n’entend pas laisser tomber ce projet, présenté alors que Boris Johnson était Premier ministre.
Le Premier ministre britannique Rishi Sunak s’est dit « en désaccord fondamental » avec cette décision et a annoncé que son gouvernement allait demander la permission de saisir la Cour suprême.
« La politique de ce gouvernement est très simple, c’est ce pays, et votre gouvernement, qui doit décider qui vient ici, pas les gangs de malfaiteurs », a-t-il déclaré dans un communiqué, affirmant qu’il ferait « tout ce qui est nécessaire » pour la mettre en oeuvre. « Le Rwanda est un pays sûr », a-t-il insisté.
La ministre de l’Intérieur Suella Braverman, tenante d’une ligne dure sur l’immigration, s’est elle aussi dite « déterminée à aboutir ». « Je ne reculerai pas », a-t-elle assuré.
En dépit des promesses du Brexit de « reprendre le contrôle » des frontières, plus de 45.000 migrants ont traversé la Manche depuis la France à bord de petites embarcations en 2022, un record. Et ils sont plus de 11.000 cette année à avoir fait de même.
En 2021, 27 personnes ont perdu la vie en essayant de traverser ce détroit, l’un des plus fréquentés du monde. Au moins quatre autres sont morts l’an dernier.
Malgré cette décision, « le Rwanda reste pleinement engagé pour faire que ce partenariat » avec le Royaume-Uni « fonctionne », a déclaré à l’AFP la porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo.
« Si cette décision appartient en dernier ressort à la justice britannique, nous contestons le fait que le Rwanda ne soit pas considéré comme un pays sûr pour les réfugiés et demandeurs d’asile », a-t-elle ajouté.
En matière de droits humains, le Rwanda est toutefois régulièrement épinglé pour sa dure répression des oppositions politiques et son non respect de la liberté d’expression.
« Rare bonne nouvelle »
Le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies a « salué » la décision de la cour d’appel dans un communiqué, répétant ses « inquiétudes sur l’externalisation des obligations (du pays) en matière d’asile ».
Saluant une « rare bonne nouvelle dans le sinistre paysage des droits humains au Royaume-Uni », la directrice de l’ONG Human Rights Watch dans le pays, Yasmine Ahmed, a exhorté la ministre de l’Intérieur Suella Braverman à « abandonner ce rêve fiévreux, impraticable et contraire à l’éthique ».
« Plutôt que de traiter les êtres humains comme une cargaison qu’il expédie ailleurs, (le gouvernement) devrait (…) mettre fin à l’environnement hostile envers les réfugiés et les demandeurs d’asile ».
En décembre dernier, la Haute Cour de Londres avait donné son feu vert à l’expulsion de certains migrants illégaux vers le Rwanda.
Mais les juges avaient accepté que soit examiné l’appel de plusieurs requérants et de l’association Charity Aid, qui apporte un soutien juridique aux demandeurs d’asile et dénonce un projet « injuste » et les risques de persécutions des demandeurs d’asile expulsés au Rwanda.
Aucune expulsion n’a encore eu lieu. Un premier vol prévu en juin 2022 avait été annulé après une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).