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Carte de séjour : des étrangers qui n’arrivent pas à prendre rendez-vous à la préfecture attaquent l’Etat

Carte de séjour : des étrangers qui n’arrivent pas à prendre rendez-vous à la préfecture attaquent l’Etat

Faute de pouvoir décrocher un rendez-vous en préfecture, des ressortissants perdent leur titre de séjour. Une cinquantaine de recours seront déposés ce mercredi en Ile-de-France.

Branle-bas de combat dans une vingtaine de cabinets d’avocats franciliens. Depuis plusieurs semaines, avec des associations qui viennent en aide aux étrangers (Secours Catholique, Cimade, RESF, Gisti…), ces femmes et hommes de loi préparent des recours contre l’Etat. Fait inédit, une cinquantaine de recours doivent être déposés simultanément ce mercredi dans plusieurs tribunaux administratifs franciliens (Montreuil, Cergy, Melun…). L’objectif ? Simplement permettre à des ressortissants étrangers de tous âges, vivant en Ile-de-France, avec ou sans papier mais éligibles à un titre de séjour, d’obtenir un rendez-vous en préfecture pour déposer leur dossier.

Ivan, Ukrainien de 27 ans, est précisément dans ce cas là. «Depuis le mois de février j’essaye tous les jours de prendre rendez-vous par Internet pour une première demande, on s’y est mis à dix, avec ma femme, des amis, de la famille… et ça ne marche jamais », relate dans un français impeccable, ce père de famille installé en Seine-Saint-Denis. Il justifie de sept ans de présence en France et d’un CDI dans le bâtiment. A raison de 4 ou 5 tentatives de connexion par jour, cela fait plus d’un millier d’essais qui ont tous butés sur cette même phrase : « Il n’existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement ». Il a imprimé les captures d’écrans _«l’équivalent de deux rames de papier »_ qu’il produira au tribunal administratif de Montreuil mercredi.

« J’ai été radiée de Pôle Emploi »

Depuis 2016, les démarches pour le séjour se font majoritairement sur le Web, avec des variantes selon les départements et la nature des démarches (première demande, renouvellement, naturalisation…). A chaque préfet d’organiser son service. Ironie de l’histoire, le but affiché par cette dématérialisation était d’en finir avec les interminables files d’attente, dans le froid ou la nuit avant l’ouverture des portes du service des étrangers. Mais trois ans plus tard, les récits, comme celui d’Ivan, attestent que les files d’attente existent toujours, même si elles sont maintenant virtuelles.

A Goussainville dans le Val-d’Oise, Tumba, Congolaise, en France depuis 2003, s’est retrouvée en situation irrégulière, faute de rendez-vous dans les temps. «Heureusement que l’association qui m’emploie a été compréhensive mais j’ai été radiée de Pôle Emploi, et je n’ai pas pu effectuer les démarches de naturalisation pour mon fils de 13 ans… », tonne cette quadragénaire qui décrit de longs mois d’angoisse. Finalement, elle a pu obtenir un récépissé après avoir poussé la porte de la sous-préfecture.

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Ablavi a payé 50 euros pour avoir son rendez-vous

Ablavi, Togolaise de 34 ans, elle aussi de Goussainville, explique avoir acheté au marché noir son rendez-vous, après six mois de vaines tentatives. «Un collègue m’avait dit que ça existait, ça m’a coûté 50 euros je l’ai acheté auprès d’une dame, à qui j’ai transmis mon identité. Après ça, elle m’a envoyé un mail avec un rendez-vous cinq jours avant que mon titre expire ». Elle ne sait pas comment son interlocutrice a décroché le sésame : « Ce n’est pas normal de payer mais qu’est ce que je pouvais faire? J’avais trop peur de me retrouver sans papier.» En Seine-Saint-Denis, au printemps dernier, les rendez-vous se monnayaient jusqu’à 300 €.

La préfecture de Seine-Saint-Denis indique avoir déposé plusieurs plaintes pour escroquerie et entrave au fonctionnement d’un système automatisé de données. Des protections ont été « renforcées en mai 2019 dans toutes les préfectures », indique le ministère de l’Intérieur, à commencer par un modèle de « Captcha » (« Je ne suis pas un robot ») plus efficace pour contrer le piratage par des automates.

Si les témoignages d’achat au marché noir se font plus rares, la situation ne semble pas s’être améliorée. Nous avons aussi tenté de prendre rendez-vous, pendant plusieurs semaines sur sept départements. Tous nos essais sont restés vains, à l’exception des Yvelines et de la Seine-et-Marne.

« La situation n’est pas satisfaisante, et c’est un faible mot », a récemment reconnu Raymond Le Deun, préfet du Val-de-Marne, annonçant des renforts ponctuels au service des étrangers.

Les conséquences peuvent être dramatiques

Pourquoi un tel engorgement ? «Les préfectures font face à une forte pression sur les services étrangers. Par exemple, aujourd’hui près d’un demandeur d’asile sur deux dépose sa demande en Ile-de-France*, les préfectures reçoivent entre 350 et 1000 personnes chaque jour aux guichets dédiés », précise le ministère de l’Intérieur. Et d’ajouter que les effectifs des services étrangers ont été renforcés en 2018 en Ile-de-France par l’équivalent de 38 agents supplémentaires. Mais où ces agents sont-ils affectés ? Au droit au séjour ? Aux éloignements ? Impossible d’avoir de réponse officielle. A Bobigny, des militants croient savoir que le nombre de rendez-vous pour les admissions exceptionnelles au séjour sont passées d’une trentaine à 9 par jour. Sollicitée, la préfecture de Seine-Saint-Denis n’a pas réagi.

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A la Cimade, un «robot» conçu par un bénévole, teste chaque jour, toutes les deux heures et sur tous les départements de France, la disponibilité des rendez-vous. A quelques nuances près, l’Ile-de-France est dans le rouge : « La situation est catastrophique pour les premières demandes et s’est fortement dégradée depuis un an pour les renouvellements », détaille Yohan Delhomme, membre de l’association.

«Ce ne sont pas des cas isolés, le système ne fonctionne pas et les conséquences peuvent être dramatiques », abonde Me Amélie Semak, en Seine-Saint-Denis où seront déposés une trentaine de recours. Conséquences désastreuses, Aliou, agent de tri âgé de 43 ans et père de trois enfants, à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) ne peut qu’abonder : «Pendant deux mois je n’ai plus pu travailler parce que mon titre de dix ans avait expiré et que j’avais pas réussi à prendre de rendez-vous avant.»

Dans les Hauts-de-Seine, six avocats déposeront une dizaine de recours. « Cela concerne des hommes et des femmes, entre 18 et 67 ans, ancien mineur isolé, parents, ou retraités en France depuis plusieurs années », relate Me Baptiste de Monval, qui s’appuie sur plusieurs jurisprudences. Ils espèrent avoir une date d’audience d’ici une quinzaine de jours.

Villeneuve-la-Garenne. Aliou a perdu son travail pendant deux mois, faute d’avoir pu renouveler son titre de séjour dans les temps. LP/C.S

*39 800 demandes d’asile ont été délivrées en 2018 en Ile-de-France, 260 900 renouvellement de titres de séjour, et 106 000 premiers titres et 36 000 naturalisations. Paris, puis la Seine-Saint-Denis et les Hauts-de-Seine sont les départements qui ont délivré le plus de titres (premier titre et renouvellement).

 

Le Parisien

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