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Bocar, douanier irréprochable devenu passeur de cocaïne à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle

 Ce fonctionnaire de Roissy, arrêté en mars, a raconté aux enquêteurs comment il en est arrivé à seconder des trafiquants. Un récit sidérant.

C’est la chute de « l’atout », passeur de drogue et douanier « ripou ». Il est 17 heures, le 8 mars dernier, quand les enquêteurs du SPJ Évry (Essonne), brassards orange sur le bras et pistolets à la ceinture, déboulent au niveau du contrôle des passagers du terminal 2E à l’aéroport de Roissy. Les fonctionnaires viennent au contact des douaniers et leur demandent où se trouve leur chef.

Surnommé « la ligue », dans le milieu interlope des trafiquants, Bocar, ce contrôleur des douanes se trouve en salle de repos. Les policiers lui passent les menottes et le fouillent. Ils ne trouvent que deux iPhone sur lui, dont un rose qui lui sert à correspondre avec ses complices et importateurs de cocaïne. Il sera mis en examen quatre jours plus tard par une juge de la juridiction interrégionale de Paris avant d’être écroué.

Une rencontre fortuite sur Snapchat
À 36 ans, cet agent, jusqu’alors irréprochable et connu pour son flair, est placé en garde à vue. Père d’un enfant, il vit avec sa compagne dans leur maison du Val-d’Oise. Le couple s’est rencontré dans l’est de la France.

Ancien militaire de l’armée de terre, Bocar, a intégré les douanes en 2010 comme informaticien. Il est en poste au Havre (Seine-Maritime). Puis en 2014, il occupe des fonctions de contrôleur et de chef d’équipe au terminal 2E au sein de la plus grosse brigade de l’Hexagone. Comment ce fonctionnaire qui bénéficiait de la confiance de sa hiérarchie au point de représenter les douanes au défilé du 14 juillet s’est-il laissé corrompre par les frères D. de la GrandeBorne (Essonne)?

40 000 à 45 000 € par valise étaient remis au douanier pour sa protection.

Lors de sa garde à vue, l’ex-douanier est passé aux aveux complets. Il y a environ trois ans, Bocar entre en contact avec un certain « timalbox » sur Snapchat. « Il s’agissait d’un gars qui vendait un boîtier IPTV (pour recevoir la télévision par Internet). On a échangé et je lui ai dit que j’étais douanier », souligne l’ex-contrôleur.

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Quelque temps plus tard, le vendeur le recontacte et demande à le rencontrer pour lui présenter des personnes intéressées par son métier.

Le douanier, prudent, commence par refuser. « Il a insisté pendant plusieurs mois et un jour, j’ai accepté. J’ai rencontré Samir lors d’un rendez-vous à Paris. Il était seul. Il m’a dit que je pouvais gagner de l’argent sur des plans à l’aéroport. Dans un premier temps, j’ai refusé mais nous sommes restés en lien. »

« J’étais leur ange gardien… »
Les deux hommes se revoient et Samir met la main à la poche. « Il me donnait de l’argent 500 ou 600 € en disant que cela lui faisait plaisir et il me faisait aussi des cadeaux. Je lui ai expliqué que je ne voulais pas être redevable. Mais j’ai accepté son argent ajoute Bocar. Et il m’a expliqué qu’il voulait faire sortir des valises de l’aéroport. Je lui ai donné des conseils. Je lui ai dit qu’il n’y avait pas de contrôle systématique et aucun recoupement entre les valises et les personnes qui sortaient des avions ».

Le trentenaire avait conçu un système de passagers fantômes pour récupérer la drogue à moindres frais.

Premier galop d’essai, les trafiquants envoient un couple qui se fait coincer. « Je leur ai dit qu’il était stupide de missionner un convoyeur qui avait des antécédents. Alors, ils ont embauché une fille avec qui je me suis lié d’amitié : La Reuss. Je l’ai laissée passer et Samir m’a donné 10 000 € », raconte l’ex-douanier. Au début, les mules arrivent chargées en provenance des Antilles ou d’Amérique du Sud. Puis les dealers et le douanier mettent en place un ingénieux système d’importation de cocaïne en provenance du Mexique et de Saint-Martin.

« Je n’ai jamais voulu savoir ce que contenaient les bagages mais je me doutais qu’il s’agissait de drogue », explique-t-il. Au total, entre 2022 jusqu’au mois de mars 2023, les policiers relèvent le passage d’au moins dix valises qui contiennent chacune au minimum 20 kg de « cc ».

Laquelle était revendue pour une valeur de 600 000 € au détail sur les points de deal gérés par les frères D., à Grigny. Une autre partie était revendue à des trafiquants qui payaient les frangins pour bénéficier du passage à l’aéroport.

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« J’étais leur ange gardien. Les porteurs de valise se prenaient en photo dans les toilettes pour que je puisse les reconnaître. Puis je leur disais sur quel tapis chercher le paquet qui arrivait du Panama, du Venezuela ou de Saint- Martin », précise-t-il.

Un Range Rover en cadeau à sa compagne
Fin 2021, c’est Bocar qui a l’idée d’employer des voyageurs fantômes pour diminuer les frais. « Je me suis inspiré des Roumains qui prennent un billet pour aller au Duty free pour acheter des cigarettes avant de repartir par la zone d’arrivée sans monter dans l’avion. À chaque fois La Reuss ou d’autres passeurs arrivaient avec un bagage à main et un billet pour Londres, Bucarest ou Tunis. Mais ils ne montaient jamais dans l’avion, ils ressortaient avec plusieurs valises. »

Pour sa protection, le douanier était payé de 40 000 à 45 000 € par valise. Compte tenu des constatations menées pars les forces de l’ordre durant les surveillances, il minimise probablement l’étendue de ses gains.

«Au total, je pense que j’ai touché 400 000 €. J’ai dépensé 300 000 € dans la construction d’une villa pour mes parents en Mauritanie. Pour faire passer l’argent en Afrique, j’ai eu recours à un collecteur malien rencontré à Drancy. Le reste, j’en ai profité et j’en ai distribué. » Il s’offre une Audi Q 5 et paye un Range Rover Evoque à sa compagne pour son anniversaire.

Son avocat, Me Jonathan Levy, estime que son client a été menacé par les malfrats de la Grande Borne. Ce dernier n’a pas tenté de demander le soutien de sa hiérarchie pour échapper à leur emprise car il pensait que les narco-trafiquants avaient d’autres contacts au terminal 2E.

L’ex-fonctionnaire n’a pas encore été entendu sur le fond par la juge d’instruction, ce qui devrait se faire durant l’automne. Depuis mars, douze autres personnes ont été mises en examen par la magistrate dans cette affaire et envoyées en prison.

Julien Constant avec Le Parisien

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