Cette jeune curatrice franco-sénégalaise vivant à Londres entend former les plasticiens du continent pour leur permettre d’affronter un marché de l’art complexe et sans pitié.
Elle a l’air trop frêle et trop douce pour pouvoir s’imposer dans le monde de l’art contemporain, où ego hypertrophié rime avec canines aiguisées… Pourtant, Salimata Diop, 28 ans à peine, sera la directrice artistique de la foire d’art contemporain africain Akaa (Also Known As Africa) qui devrait se tenir en 2016, après un report dû aux attentats de Paris. Comment y est-elle parvenue ? Son parcours le laisse imaginer : à force de détermination.
Plus qu’un long discours, une anecdote résume la grosse dose de volonté cachée derrière la voix timide et les yeux mutins.
« J’ai commencé le piano un peu tard, mais je voulais en faire depuis mes 4 ans, se souvient-elle. Ma mère m’a dit : si tu apprends bien à jouer de la flûte, alors tu pourras jouer du piano. J’ai su montrer que j’étais motivée… En commençant à l’âge de 15 ans, ce sont dix années de frustration que j’ai rattrapées. »
La musique sera longtemps au cœur de sa vie. Elle donnera quelques concerts, optera pour des études au sein de la maison d’éducation de la Légion d’honneur, en région parisienne, « parce qu’ils ont une bonne école de musique », pensera en faire sa profession, avant de renoncer. Ou plutôt, avant de changer son fusil d’épaule : « Au Conservatoire national de musique et de danse, on ne peut rien faire d’autre. Je n’ai pas fait ce choix… »
Il y a un moment où l’on arrête de faire ce qui est bien pour faire ce que l’on a envie de faire, dit-elle
Hypokhâgne, khâgne, Mastère en littérature à la Sorbonne, Salimata Diop aurait aussi bien pu être professeure de lettres classiques. Mais non. « Il y a un moment où l’on arrête de faire ce qui est bien pour faire ce que l’on a envie de faire », dit-elle. Et ce qu’elle a envie de faire est directement lié aux arts visuels, pour lesquels sa curiosité est insatiable depuis que…
Ah, précisons d’abord que ses parents sont plutôt des littéraires, vivant assez éloignés du monde de l’art. Son père est sénégalais, sa mère est une « Française qui vit au Sénégal depuis trente ans », tous deux sont linguistes. Salimata Diop a d’abord grandi à Saint-Louis du Sénégal, où ses parents enseignaient à l’université Gaston-Berger. Baignant dans un environnement cultivé, elle était entourée de livres et de disques. Pourtant, sa passion pour les arts plastiques a une autre origine : cette grand-mère qui l’emmenait aux ateliers du Louvre et lui faisait visiter les musées, cette grand-mère qui elle-même travaillait dans la haute couture et « avait l’œil ».
Alors, quand Mlle Diop a décidé de faire ce qu’elle avait envie de faire, elle a choisi un Mastère international en prise directe avec le marché de l’art : history of business and art collecting. Son mémoire portait sur l’un des premiers collectionneurs d’art africain contemporain, Jean Pigozzi, analysant son influence sur le marché.
Tout en l’écrivant, à Londres, la jeune femme effectuait ses premiers stages dans le milieu, notamment au sein de la galerie Tiwani Contemporary, qui venait d’ouvrir.
« Il n’y avait pas encore beaucoup de gens spécialisés dans l’art contemporain africain, et comme je connaissais déjà bien la zone artistique sénégalaise, j’ai pu apporter pas mal de choses et participer à des événements très intéressants, dès le début. D’autant qu’au Royaume-Uni, l’Afrique francophone est assez mal connue. »
Dès la fin de ses études, Salimata Diop devient commissaire d’exposition indépendante, avec une parenthèse entre 2014 et 2015, quand elle prend la direction de l’Africa Centre de Londres.
« L’indépendance me correspond très bien, sourit-elle. Au début, cela ne me permettait pas de vivre. Cela fait deux ou trois ans que ça va mieux, avec cinq ou six projets par an. Il faut être persévérant. »
Un documentaire télévisé sur les « maîtres africains », une exposition du plasticien sénégalais Soly Cissé lors de la dernière biennale de Dakar, un projet de formation pour les artistes et travailleurs du monde de l’art (African Creative Business School), la direction artistique d’Akaa, la prochaine biennale de Dakar, Salimata Diop fait désormais partie de ce petit monde qui vit entre Paris, Londres, Bruxelles et quelques capitales africaines.
Le plus dur fut sans doute de s’installer en France et plus seulement d’y passer les vacances estivales
Élevée entre Saint-Louis du Sénégal, Dakar et la capitale française, elle a l’habitude de passer d’un continent à l’autre. Le plus dur fut sans doute de s’installer en France et plus seulement d’y passer les vacances estivales.
« Je suis arrivée à Paris en 2005, durant les émeutes dans les banlieues, se souvient-elle. Il m’a fallu un petit moment d’adaptation pour comprendre une culture que je ne connaissais pas. Je ne me sentais pas en sécurité, les gens étaient parfois très agressifs dans le métro et personne ne réagissait… »
Elle a mis du temps à retourner à Saint-Louis, lieu féerique, fait de vent de sable et de bêtises de l’enfance. Elle y est retournée néanmoins, pour y organiser une expo bien sûr. Avec cette ligne directrice qu’elle présente comme celle d’Akaa : « Concevoir l’Afrique non comme un lieu exotique mais comme le point de départ d’une perspective. » Si les requins du milieu ne la croquent pas, ses perspectives à elle sont aujourd’hui grandes ouvertes.
Source : Jeune Afrique