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Je suis musulmane, madame, et je suis chez moi

J’ai 30 ans, je suis française d’origine sénégalaise et musulmane. Je ne suis pas une victime, mais la société, ma société, me donne des coups.

Mes parents, des Sénégalais arrivés en France dans les années 70 pour mon père, et 80 pour ma mère, me l’assurent : je suis confrontée à des situations qu’ils n’ont jamais connues. Plus jeune, je me souviens d’eux pratiquant leur foi sans encombre. Mon père me confirme qu’il y a quarante ans, quand tu disais être musulman, ça ne provoquait rien chez les gens, même pas de questions.

Un de ses amis tente d’expliquer ce qui a changé, nous sommes devenus visibles avec nos lieux de culte :

« Avant, les musulmans vivaient dans des foyers et c’est là-bas qu’on faisait nos prières. On ne gênait personne. »

Maintenant, on gêne beaucoup de monde. Ce qui me fait peur c’est le fait de voir qu’en plus de la sphère publique touchée par cet anti-islam, c’est maintenant mon monde, mon quotidien qui, petit à petit, est touché.

Quand certaines personnes apprennent que je suis musulmane, par hasard, à l’occasion du ramadan par exemple, j’ai l’impression qu’on me redécouvre, qu’on me regarde autrement. Limite avec des gros yeux. « Toi, musulmane ? Arrête ! J’aurais pas dit, t’es quelqu’un d’ouvert ! » Cela me glace.

Une de mes proches amies me raconte qu’elle doit sans cesse jurer que ses parents ne l’obligent pas à pratiquer, que c’est elle qui veut. Elle travaille dans une banque. Elle est choquée quand on ne laisse pas entrer, pour raison de sécurité, une femme qui porte un simple voile qui ne masque pas son visage. Il faut que la multiplication des fantasmes s’arrête.

Je lave mon visage, trois fois

Comme si modernité et islam ne pouvaient pas faire corps. Je porte des jupes un peu courtes, des jeans près du corps, des slims, des jeans skinny, je n’ai pas été mariée de force à un cousin du bled par mon père, ma mère travaille, j’ai fait de longues études. Je fume de temps en temps. Je vais en soirée, j’ai des petits amis (pas plusieurs en même temps). Je ne devrais pas.

Et pourtant, je suis musulmane. Croyante depuis toujours et pratiquante depuis plusieurs mois. Cinq fois par jour – quand je suis en repos, ou après ma journée de travail – je fais mes ablutions : je lave mes mains, trois fois, jusqu’aux poignets en commençant par la droite. Je rince ma bouche, trois fois, aspire de l’eau par les narines avant de la rejeter, trois fois, par le nez. Je lave mon visage, trois fois, puis l’avant-bras droit et gauche… trois fois. Je passe de l’eau sur ma tête, du front à la nuque, et inversement. Je me lave les oreilles, le pied droit, puis le gauche. Je recouvre ma tête d’un voile, enfile ma djellaba, me tourne vers la Mecque et prie Dieu.

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Je ne bois pas d’alcool. Jamais. « Quoi ! Etre bourrée, tu sais pas ce que c’est ? », me demande-t-on souvent. Non. Peu importe si ça dérange. J’ai pas besoin de boire pour me désinhiber ou pour faire la fête.

Je ne mange pas exclusivement halal, mais au possible. Question d’éducation. Petite, mes parents, en France, ne consommaient pas toujours selon le rite. J’ai gardé cette – mauvaise – habitude qui me vaut d’être placée par certains dans la catégorie « fausse musulmane ». Le Quick halal et sa polémique, je ne l’ai pas comprise. En quoi est-ce gênant qu’une partie de la population française puisse aussi croquer dans un Giant ? Je pense cependant que le client du Quick devrait avoir le choix entre le halal et le pas halal.

Porter le voile ? Je n’en suis pas là. Je ne le souhaite pas. Pourquoi ? Quelque part, j’ai peut-être peur de porter le voile, j’ai peur de ce que ça va impliquer et du regard des autres. C’est une faiblesse que j’assume.

Ma ligne de conduite ? Je n’en ai pas vraiment. Je vis, simplement. Loin d’être parfaite, j’essaie juste d’être au maximum en accord avec moi-même, mes valeurs, ma religion. Alors oui, je suis en proie à des moments de doute, tiraillée entre ce que je dois faire, peux faire – ou pas. Le paradoxe, les ambiguïtés, les contradictions, les compromis, la liberté sont possibles, chez les musulmans aussi. Ce n’est pas une religion qui envahit les personnalités, qui est « englobante » comme le Front national le dit parfois ou qui nous tire vers le passé.

En vingt ans de boîte, un seul arrêt maladie

Comme si islam rimait avec danger. Je ne suis pas un danger pour la société. Je ne suis pas délinquante. J’ai grandi en province, je suis noire, je n’ai jamais trafiqué – désolée M. Eric Zemmour. Ma religion est compatible avec les principes de la République. Je n’ai pas de casier judiciaire, je mesure 1,60m pour 52 kilos, pas de quoi faire peur.

Je ne suis pas non plus un danger pour les comptes de mon pays. Je ne vis pas sur les aides. J’ai un bon travail, je paye des impôts. Je vais de CDD en CDD, et je gagne assez bien ma vie. Mes parents, même s’ils ne me le disent pas et ne me le diront jamais, sont fiers. Ma mère fait des ménages. Mon père gère une équipe de nettoyage. En vingt ans de boîte, mon père n’a eu qu’un seul arrêt maladie. Alors la valeur travail, on sait ce que c’est.

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Chez moi, on a toujours bossé, qu’on soit pratiquant ou non. Sur mes six frères et sœurs, quatre sont pratiquants (personne n’est obligé à rien).

Je suis chez moi ici

Comme si l’islam voulait changer la France et son identité. La France, c’est mon pays, et je suis aussi imprégnée de traditions sénégalaises. J’ai grandi dans une petite commune de Bretagne, dans un quartier bétonné. Depuis que j’ai 5 ans, je vais régulièrement au Sénégal.

Chez moi, on parle le soninké et le français. On mange du thiéboudjene, du mafé, du yassa, et de la ratatouille, du hachis parmentier, des quiches… On écoute du mbalax, la musique sénégalaise, et du Gainsbourg. On parle politique française et sénégalaise. Bref, chez moi, on jongle entre deux mondes.

Je ne veux rien. Je ne cherche pas à imposer ma religion, ni même ma vision des choses. Je ne suis pas une menace pour l’identité de la France. Je compose cette identité, je suis cette identité.

La seule chose que j’attends de la France, pour les musulmans ? Qu’on arrête de nous pointer du doigt pour nos croyances. Qu’on cesse de faire des amalgames entre islam et islamisme. Des extrémistes, il y en a. Ils nous desservent. Mais ça reste une minorité. Ils oublient le principe de base : l’islam est une religion de tolérance. On ne peut tuer au nom de l’islam.

J’attends de la France qu’on cesse de nous faire culpabiliser lorsque des projets de mosquées sont proposés, comme dans la ville de province où j’ai grandi. Je veux qu’elle nous laisse être français et musulmans.

Comme ce jour où j’ai dû me rendre chez un couple. Sur le pas de sa porte, la femme, essoufflée, épuisée, me fait rentrer chez elle. Son chien me saute dessus, instinctivement, je recule. « Vous avez peur ? », m’interroge-t-elle. Je lui dis que je ne suis pas à l’aise, mais que ça va. Elle reprend, sans méchanceté :

« Quand même, on n’est plus chez nous. Je viens justement de me disputer avec une Arabe, son fils a eu peur de mon chien. Elle portait le truc-là, le voile. Quand même on n’est plus chez nous. Ici, c’est un pays chrétien à la base. Alors les musulmans, s’ils ne sont pas contents, qu’ils rentrent chez eux. Faut aussi nous comprendre. »

Je suis musulmane, madame, et je suis chez moi.

 

Par Malama

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