Mars 1996. En France, le mouvement des sans-papiers a un visage et une voix. Ababacar Diop, 27 ans, informaticien sénégalais, est le porte-parole très médiatisé d’une centaine de grévistes de la faim réfugiés dans l’église Saint-Bernard à Paris.
L’opinion publique est émue, mais la plupart des occupants seront expulsés. Diop est “sauvé” par son statut de leader : il finit par obtenir ses papiers. Et, comme un bonheur ne vient jamais seul, Ababacar empoche en 1999 la somme rondelette de 24 millions de francs (3,7 millions d’euros) de la part de Vivendi. Le droit de propriété intellectuelle est passé par là pour en faire une histoire de chance et de hasard.
Tout est parti de la création d’un cyber café, dans le XVIIIème arrondissement de Paris par Ababacar Diop et deux associés. « Vis@vis » est le nom de ce cyber-café, niché juste en face de l’église Saint-Bernard. Un cyber-café, équipé de webcams, qui permet aux africains, d’appeler Dakar et Bamako, via Internet et visiophone.
Le 1er octobre 1999, Ababacar Diop a eu une idée de génie : déposer à l’INPI (Institut national de la propriété intellectuelle), avec ses associés, la marque Vis@vis. Un nom bien trouvé.
En mai 2000, Vivendi choisit le même et lance son portail Vizzavi.fr, sans vérifier d’assez près le dépôt des marques. Antériorité oblige, Diop et ses associés font payer cher à Vivendi sa désinvolture. Vingt-quatre millions de francs pour laisser la marque du géant de la communication coexister avec la leur. Le site internet « Transfert. Net » fait cette analyse :
« l’orthographe diffère, mais pas la phonétique et à l’INPI, les règles sont claires : « Imiter, c’est aussi contrefaire », devise l’Institut qui conseille de renoncer aux rapprochements phonétiques. Un bémol à la règle : deux marques identiques peuvent coexister si elles concernent des produits différents. Ce n’est pas le cas du « vis@vis » d’Ababacar Diop qui a été enregistré à l’INPI dans les mêmes catégories que la marque de Vivendi.
Il faut alors trouver une solution entre Vivendi et Ababcar Diop. Vivendi veut faire en sorte de sortir la tête haute de cette affaire. Ababacar Diop et ses camarades proposent au groupe de faire cohabiter les noms. Vivendi refuse dans un premier temps.
24 millions pour ne pas attaquer Vivendi
Début mai, Vivendi réalise donc que la petite société de la rue Stephenson risque de lui causer quelques problèmes juridiques. Le contact est établi. Les négociations peuvent commencer : selon Ababacar Diop, rendez-vous est donné dans les locaux de Jean-Marie Messier, en urgence. Il était temps : le lendemain, Vivendi et Vodafone doivent annoncer à la presse la mise en place de leur dernier bébé, le portail Wap Vizzavi.
« Ils voulaient nous racheter la marque. Nous avons refusé et négocié pour une co-existence des deux appellations« , explique Ababacar Diop. Philanthropie ? Pas vraiment. « Nous avons signé pour ne pas les attaquer en justice. En échange, nous avons reçu 24 millions de francs, soit 8 millions chacun puisque nous étions trois associés à avoir déposé le nom.«
Puis, Ababacar est parti pour Dakar en vue d’ »investir dans le développement de l’Internet en Afrique« . Belle revanche pour un Sénégalais longtemps sans-papiers.
A Lire Ababacar Diop, Dans la peau d’un sans-papiers,Seuil, 1997.