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Territoire et sémantique : pourquoi les plans banlieues échouent

Territoire et sémantique : pourquoi les plans banlieues échouent
En 1995, Jacques Chirac proposait de résorber la fracture sociale. En 2007, Nicolas Sarkozy parlait de « rupture ». Dix ans après les émeutes et en ces temps de tensions sociales, où en sont les banlieues ?

Un problème de sémantique

La réponse des pouvoirs publics pour traiter les maux dont souffre la banlieue s’est opérée par le biais de pseudo-plans : plan « Espoir Banlieues », plan « antiglandouille »…

Ces termes infantilisants et stigmatisants utilisés pour qualifier l’action publique posent problème à plusieurs titres. D’abord, la sémantique employée ne transmet pas de signal positif aux personnes concernées, ni même à l’opinion publique. Ensuite, elle renvoie à une logique de territoires contreproductive.

La sémantique d’abord. Face aux maux dont souffrent les habitants de la banlieue, on oppose des mots dégradants ou problématiques. Des termes comme « jeunes des quartiers », « grands frères » sont réservés exclusivement à la banlieue. Ils désignent très régulièrement les habitants de Saint-Denis ou Sarcelles… mais jamais ceux de Neuilly-sur-Seine.

La fracture sociale concerne pourtant l’ensemble de la nation, tout comme l’expression « la France d’en bas ». Après tout, pourquoi systématiquement faire référence aux « jeunes » pour s’adresser à une partie de notre population et pour parler d’elle (et en plus à sa place) ? Cela la réduit à l’état d’objet plutôt que de sujet. N’y a-t-il pas de jeunes à Neuilly ?

Ces termes ne sont rien d’autres que des cache-sexes. Les pouvoirs publics doivent cesser de voir la banlieue à travers ce prisme paternaliste même si, parfois, il peut être aussi motivé par la bienveillance. Depuis trente ans, il est fait mention des jeunes comme si la banlieue n’était constituée que de cette catégorie qui resterait cimentée dans cette catégorie d’âge.

Les banlieues ne sont ni une colonie de vacances qui tourne mal, ni un internat en folie. Il ne faut pas se leurrer, le problème en banlieue est intergénérationnel. Il convient donc d’en modifier les représentations. Le monde politique ferait mieux de réduire les slogans, accélérer les actes serait plus probant.

Ségrégation territoriale et sociale

La logique de territoire ensuite. La ségrégation territoriale existe. Cette assignation à résidence est entremêlée d’une ségrégation sociale. Elle se répercute ensuite à travers les discours et les politiques comme celles dites de la ville. Mais on en oublie le germe : l’économie.

Dans notre société, on oublie trop souvent qu’avant de distribuer et consommer, il faut produire et donc travailler. Or les « quartiers », comme on les appelle, ne disposent pas des conditions nécessaires et suffisantes pour offrir à chacun un meilleur accès à l’emploi, à la production et donc à la richesse. Dans notre économie, le travail s’offre et se demande.

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Du côté de l’offre, cela suppose que les individus sont prêts à déployer les efforts nécessaires pour être recrutés. Beaucoup s’y emploient courageusement, certains devront redoubler d’efforts.

S’agissant de la demande, les entreprises et les pouvoirs publics doivent jouer le jeu en créant les conditions d’une meilleure fluidité du marché pour tout le monde. Mais justement, dans le dernier cas de figure, des blocages persistent. Au nombre desquels se trouvent les discriminations en tous genres dont les discriminations raciales : c’est le fameux plafond de verre qui limite sévèrement l’ascension professionnelle et sociale, et qui aboutit à la « cornerisation » des personnes dans des rôles subalternes et annexes.

Un changement de culture d’entreprise est nécessaire, particulièrement de la part des directions des ressources humaines. La banlieue doit aussi donner envie d’être recrutée, ce qui signifie qu’il doit y avoir une modification d’images et de comportements de part et d’autre.

ZUS englobent les ZRU qui comprennent les ZFU…

Il faut se rendre à l’évidence. La politique sociale territorialisée est contreproductive ou au mieux insuffisante. La politique de la ville a usé dix ministres ou secrétaires d’Etat en vingt ans, elle a consisté en un enchevêtrement de lois peu efficaces, comme l’avait déjà diagnostiqué la Cour des comptes dans des rapports de 2002 et 2007.

Le jargon bureaucratico-administratif est devenu illisible pour les entreprises : les ZUS (zones urbaines sensibles) englobent les ZRU (zones de redynamisation urbaine) qui elles-mêmes comprennent les ZFU (zones franches urbaines).

D’une part, tous ces termes conduisent à l’évitement de ces territoires, convoquent aux préjugés et altèrent l’image de ces lieux.

D’autre part, le résultat est peu glorieux. A ce jour, le taux de chômage y est globalement toujours le double de la moyenne nationale et 40% des jeunes diplômés sont au chômage. Les zones franches restent franchement dans la zone.

La pauvreté n’est évidemment pas intrinsèque aux habitants des banlieues. Ils ne sont pas condamnés en permanence au blues et au jazz social de notre pays.

En 2005, les émeutes ont poussé un cri d’alarme de façon retentissante. Finalement, les problèmes n’y sont pas éloignés de ceux des autres concitoyens : difficultés pour boucler les fins de mois, préoccupations liées à l’emploi… Dans les faits, les aides sociales sont devenues impératives. Mais les habitants de banlieues, comme les autres, n’ont pas vocation à y être soumis toute leur vie.

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Quitter le registre de la compassion

Plus généralement, le monde politique serait bien inspiré d’arrêter de parler de la banlieue comme d’une espèce à protéger ou d’un caillou dans la chaussure. N’y trouverait-on que des victimes, des voyous, des personnes à secourir ? La réalité est bien plus complexe.

Pourquoi n’y voit-on que les ministres de la Ville et de l’Intérieur ? Pourquoi ne voit-on jamais le ministre de l’Economie, celui de l’Industrie, de l’Ecologie ou le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes par exemple ?

Accompagné de chefs d’entreprises petites et grandes, le ministre de l’Economie pourrait aller vanter les mérites de la création d’entreprise, de l’initiative individuelle, transmettre les codes du monde économique et financier.

Le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes irait expliquer en quoi l’Union européenne est un atout pour tous les citoyens, y compris ceux qui vivent dans les zones sensibles. L’Europe n’aurait-elle pas droit de cité… dans les cités ?

Nous demandons aux partis politiques une révolution culturelle et philosophique sur la vision qu’ils peuvent avoir de la banlieue. Il faut imaginer d’autres voies de réussite que le sport et les arts dits urbains. En somme, quitter le champ de la compassion, celui d’une vision humanitaire.

Remettre la banlieue dans le droit commun

Nous pensons qu’il faut remettre la banlieue dans le droit commun car ses habitants aspirent en fait à la norme évolutive d’une société qui progresse avec toutes ses composantes.

Pour ce faire, bien sûr, il faut déployer une action positive volontariste multidimensionnelle. Il s’agit de donner à chacun sa chance non pas en fonction d’un paramètre unique -le territoire-, car c’est la négation de l’individu, mais en prenant résolument en compte l’équation personnelle de chacun.

Partant de là, la société se doit de trouver les inconnues. C’est-à-dire qu’il faudrait prendre en compte les capacités, les aspirations, les croyances et la couleur de peau telle qu’elle est réellement vécue et perçue par les individus.

Car l’individu est l’atome qui forme la société. Nier l’individu est le début de la négation d’une partie de la société, et cela plonge dans l’insignifiance. C’est justement à ce moment que la fracture se transforme en rupture sociale globale.

En banlieue, l’urgence n’est pas seulement sociale, l’urgence ne concerne pas uniquement les jeunes. Il y a urgence tout court.

Nouvelobs

 

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