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Pâtir en vacances

Pâtir en vacances

Précarité. Mila, Aïcha, Amélia et Kankou, toutes mères célibataires, font partie de ces millions d’adultes en France qui n’ont pas la possibilité de s’évader ne serait-ce que quelques jours de leur quotidien.

Ils sont plusieurs millions d’adultes en France, chaque été, à ne pouvoir partir ne serait qu’un jour ou une semaine. Organisée ce mercredi, la journée mondiale des «oubliés des vacances» doit permettre à 70 000 d’entre eux de s’évader pendant vingt-quatre heures. Le public : des mères célibataires cumulant difficultés matérielles et charges familiales. Des femmes seules avec leurs enfants qui, malgré la précarité, rêvent de repos au soleil, loin de leur quotidien.

Mila, 38 ans

Parmi elles, Mila (1), Malienne arrivée en France en 2011, ne partira pas en vacances. Trop cher, pour cette sans-papier qui a fui Bamako et son mari violent. Assise sur une chaise longue, cette femme souriante et calme, yeux en amande et queue-de-cheval, profite de Clichy Plage avec son fils. De ses parasols exotiques, de son sable fin et de ses canisses en paille, implantés sur 2 000 mètres carrés dans cette ville de Seine-Saint-Denis. «Pour oublier mon stress», glisse-t-elle. Ancienne Mulhousienne, Mila partait quelques fois en Allemagne ou en Belgique avec des amies. Désormais en région parisienne, il ne lui reste plus que la plage urbaine de Clichy-sous-Bois. Depuis son ouverture fin juillet, elle y passe plusieurs heures chaque jour avec son fils, au milieu d’une centaine d’autres mères de famille. «Ça me permet de m’évader un peu, et surtout de faire plaisir à Jibril, qui découvre des tas de choses ici. Ma force, c’est lui. S’il est bien, je le suis aussi.»

Avant de reconnaître, timidement : «Je rêve aussi de pouvoir m’offrir de vraies vacances, de pouvoir retourner dans mon pays natal, revoir ma famille et me replonger dans mes souvenirs d’enfance.» Ou, à défaut, «de découvrir les provinces françaises et de faire du shopping à volonté», rigole-t-elle. Bref, «penser un peu plus à moi». Un aveu difficile pour des inactifs, qui plus est en situation irrégulière. Même si, bien souvent, ceux-ci n’ont pas choisi cette situation.

Diplômée en couture, Mila tenait un atelier de confection de pagnes dans la capitale malienne lorsqu’elle a décidé, du jour au lendemain, de tout plaquer. «Mon mari me battait constamment. Un matin, j’ai décidé de fuir pour protéger mon enfant. J’ai quitté le Mali par peur qu’il me retrouve. Je suis venue en France, il y a quatre ans, grâce à mes économies et la vente de mes bijoux en or, légués par ma mère. Ça fait mal, mais j’ai fait ce sacrifice pour une vie meilleure », raconte-t-elle. Hébergée chez un tiers, elle «ne travaille pas». «Je garde parfois les enfants des voisins, mais comme je n’ai pas de papiers, ils me paient ce qu’ils veulent et quand ils veulent, sans que je puisse me révolter. Dans ces conditions, difficile pour moi de penser à autre chose, et notamment aux vacances», explique-t-elle, un vague sourire aux lèvres.

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Aïcha, 34 ans

Un sourire qu’Aïcha (1), comme les autres femmes, tente de garder. A demi-allongée sur un des lits de la maison familiale, le visage poudré et les yeux soulignés au crayon noir, elle paraît radieuse. Mère de trois jeunes enfants, célibataire depuis un an, elle s’accorde une petite pause dans son quotidien. «Mes enfants sont au centre de loisirs et cet après-midi, j’en ai profité pour me reposer et me faire belle pour votre venue. Avec tous mes soucis, j’oublie de le faire. Aujourd’hui, c’était l’occasion»,explique-t-elle.

Sans activité (elle touche 800 euros d’aides sociales), elle est retournée vivre chez ses parents avec ses enfants, à Sevran (Seine-Saint-Denis), après une expulsion de son logement, il y a un mois, pour cause d’impayés laissés par son ex-mari. Ses vacances, elle les passe à s’occuper de ses enfants, à chercher un toit et un nouveau travail. Seuls extra : quelques promenades dans les parcs avoisinants et des sorties à la piscine. «Il y a quand même des moyens d’occuper ses vacances et de faire plein de choses amusantes, même s’il faut se priver, notamment sur les vêtements. Mais si je sors peu, c’est d’abord parce que je n’ai pas le cœur à ça. Trop de soucis.» Avant de se confier un peu plus : «Rester vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec les enfants, c’est lassant. A force, ce n’est plus un plaisir, mais une obligation. Je rêve de sortir de ce quotidien, de pouvoir enfin me faire plaisir… J’ai besoin de plus m’occuper de moi, de prendre des congés.» Ses vacances idéales ? Dans n’importe quel pays, mais loin de la France, loin «de ce que je connais, dans un endroit où je pourrais me reposer et profiter de mes journées».

Amélia, 23 ans

Autre vie, mais même situation : Amélia est mère d’une fille de 5 ans qu’elle élève seule. Brune aux yeux verts et à la silhouette sportive, elle occupe un appartement à Bagneux (Hauts-de-Seine), où elle fait vivre sa petite famille grâce à de maigres prestations sociales (550 euros de RSA par mois). Une fois le loyer et les charges fixes réglés, il ne lui reste plus rien.

Les bons Vacaf, délivrés par la Caisse d’allocations familiales ? «Ça fait trois ans que je ne les utilise plus : la CAF prend en charge 70 % de ma location, mais pas les autres choses, comme l’alimentation ou le transport. Même aidée, je ne peux pas payer le reste.» Son dernier séjour remonte à 2013 : une semaine en camping avec sa famille, de doux souvenirs qui lui font regretter sa situation actuelle. «Je me sens un peu seule cette année, triste de devoir rester. Pour me consoler, je vais voir des amis, j’essaie de sortir beaucoup. Si j’avais pu partir, je serais retournée dans le Sud de la France, en camping.»

Comme l’an dernier, son été se résume à de longues journées au parc du Puits Saint-Etienne, où la municipalité de Bagneux organise sa «Copaca» annuelle. Un village d’activités pour petits et grands, aux allures de plage brésilienne. Installée face à la buvette du parc, autour d’une table colorée sous un parasol géant, elle papote avec ses trois copines, pendant que sa fille s’amuse sur un toboggan ou au bac à sable. «J’aime cet endroit. Je peux me détendre, retrouver mes amies et respirer un peu pendant que ma fille fait sa vie avec ses copains. J’y reste jusque tard pour profiter des concerts le soir. Il y a une bonne ambiance, je me sens un peu en vacances ici.»

Kankou, 43 ans

A quelques kilomètres, au nord-est de Paris, Kankou, mère célibataire, élève seule ses trois enfants. Séparée depuis 2010, elle vit à Villepinte (Seine-Saint-Denis) avec un temps partiel (600 euros) d’employée de cantine scolaire. Pour la quatrième année de suite, elle se prive de vacances pour ses enfants : «J’économise les autres mois de l’année pour qu’ils puissent partir l’été. En ce moment, mes deux plus jeunes sont en colonie de vacances et mon aîné au Japon. J’ai pu tout payer toute seule, sur mon salaire, l’argent de ma tontine [épargne collective, ndlr] et les bons Vacaf.» L’ex-mari ? «Il refuse de travailler légalement pour éviter de me verser une pension alimentaire.» Pour cette quadragénaire, dire stop à un mariage destructeur pour élever seule ses enfants, c’est déjà accéder à une forme de liberté. Même si elle avoue ne pas être contre des vacances au Brésil, «pour profiter des plages de sable fin et des hôtels aux vues magnifiques». En attendant de pouvoir un jour réaliser son rêve, elle continue de se lever chaque matin pour aller travailler, de bonne heure, à quarante minutes de chez elle. Même pendant l’été.

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(1) Les prénoms ont été modifiés.

Sala Sall

Liberation

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