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«Cuisiniers», «modous»… qui sont ces dealers de crack qui gangrènent le nord de Paris

«Cuisiniers», «modous»… qui sont ces dealers de crack qui gangrènent le nord de Paris

On les appelle « cuisiniers », « modous ». Chaque jour, le tribunal de Paris voit défiler les trafiquants de crack.

L’organisation de ces réseaux est détaillée dans une note de la préfecture de police à laquelle nous avons eu accès. Ces dealeurs qui font « cracker » le nord de Paris

IL PEINE À AVANCER dans le box des prévenus. Il est près de 23 heures ce vendredi 24 septembre et S. doit être jugé en comparution immédiate. Cheveux grisonnants, il est légèrement voûté sous sa veste en jeans. Il est d’origine sénégalaise et ses propos sont traduits du wolof.

Selon ses papiers d’identité, il a 53 ans. En réalité, il en a 63 et enchaîne les soucis de santé. Lors des surveillances, les policiers qui l’ont collé au train ont constaté que sa principale activité consistait à fabriquer du crack, drogue qu’il consomme également.

Il est dans le jargon ce qu’on appelle un « cuisinier » pour la simple et bonne raison que, comme pour faire cuire des spaghettis, il suffit d’avoir sous la main une casserole d’eau et un réchaud pour fabriquer cette drogue qui transforme ses
consommateurs en zombies. « Cela nécessite peu d’infrastructures, on n’est pas dans Breaking Bad (série américaine sur les aventures d’un prof de chimie qui se lance dans la fabrication de méthamphétamine) », sourit une source policière.

Paiement en pièces de 2 €
Mais ne devient pas cuisinier qui veut. Virginie Lahaye, patronne de la brigade des stupéfiants de la police judiciaire parisienne, a constaté : « Il existe plusieurs échelons. Il y a un certain dosage à respecter. Les dealeurs peuvent devenir cuisiniers, mais il n’y a pas beaucoup plus d’intervenants. C’est un circuit plus court que pour les autres trafics. »

S. est tombé au terme d’une enquête préliminaire ouverte fin juillet par le parquet de Paris après une dénonciation de trafiquants qui écoulent leur marchandise dans les jardins d’Éole et rue Riquet (XIXe arrondissement). Il a déjà été condamné et ne devrait même plus être en France puisqu’un précédent jugement l’interdit de territoire.

Lors de son interpellation le 21 septembre, les enquêteurs arrêtent aussi un homme venu pour s’approvisionner. M., Malien de 40 ans, dreadlocks sur la tête, boudiné dans son tee-shirt bleu, est arrivé en France en 2016 après un long périple pensé par un passeur qu’il a payé 750 €. L’Algérie, le Maroc, l’Espagne puis l’Hexagone. Il vit aujourd’hui chez des amis dans le quartier de la place des fêtes (XIX ) et subvient à ses besoins en faisant de la manutention sur les marchés ou en travaillant dans le bâtiment.

Il deale aussi. Durant la perquisition, les policiers découvrent le kit du parfait cuistot : bicarbonate de soude, balance, cellophane, 200 g de cocaïne mais aussi un sac contenant de nombreuses pièces de 2 €. « C’est une des particularités du crack, constate une source judiciaire. Les clients achètent de petites quantités, c’est peu cher, et ils paient souvent en petite monnaie. »

505 g sur lui
« Le crack fait l’objet d’une politique pénale prioritaire, assure une magistrate du parquet de Paris. Cela en- gendre une telle précarité… » S. et M. ont tous les deux été placés en détention provisoire, en attendant d’être jugés. Chaque jour, le tribunal judiciaire de Paris voit défiler ces vendeurs et cuisiniers aux profils divers. Depuis le début de l’année, 88 personnes ont été interpellées, principalement des petits dealeurs, et 79 présentées à la justice. Huit cuisines à crack ont également été démantelées.

Mais rares sont ceux comme Y., la vingtaine, à être interpellés avec 505 g de crack. « C’est la plus grosse saisie jusqu’à maintenant », assure une source judiciaire. Y. a été placé sous surveillance par le troisième district de police judiciaire de Paris après que les policiers ont eu vent qu’un trafic s’était installé dans le hall d’un immeuble du boulevard Ney (XVIIIe).

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Une enquête est ouverte le 31 août, l’interpellation aura lieu le 22 septembre. Y., surnommé Capuche, caissier dans un restaurant de Saint-Denis, est connu pour divers délits mais aucune condamnation pour trafic de stupéfiants. Les enquêteurs trouvent aussi chez lui 305 g de cocaïne et 2 800 € en liquide. Il a été écroué.

L’organisation autour du trafic du crack diffère de ce qui existe pour les autres drogues. Pas de chouf (guetteur) qui avertit en cas d’intervention de la police, les clients jouent ce rôle. « Les consommateurs sont tellement accros qu’ils les protègent », poursuit Virginie Lahaye. Les dealeurs ont aussi une technique, celle de conserver le caillou dans la bouche, emballé dans un petit papier et qu’ils avalent pour éviter d’être interpellés avec du produit sur eux.

Une certaine solidarité entre les multiples réseaux
Selon une note de la préfecture de police que « le Parisien » s’est procurée, la revente de crack est organisée par de multiples réseaux non hiérarchisés. Toutefois, leur appartenance dominante à la communauté sénégalaise entraîne une certaine solidarité. Un réseau de revente au détail est dirigé par un chef, qui supervise l’approvisionnement en cocaïne, sa transformation en crack et la distribution du produit à des revendeurs de rue.

La tête de réseau achète la cocaïne et fonctionne majoritairement à flux tendu. Le réseau recourt ensuite à un « cuisinier », qui peut être exclusif ou mutualisé. Interviennent ensuite les vendeurs au détail, communément appelés « modous », terme wolof qui signifie « petit négociant », « vendeur de rue » ou encore « celui qui se débrouille ».

Ces modous écoulent exclusivement du crack. Le réseau est néanmoins cloisonné, dans la mesure où la tête de réseau n’a aucun contact avec les consommateurs. La majorité des modous opère des ventes « à la volée » en se plaçant au milieu des toxicomanes, au sein d’un foyer de consommation.

D’autres se déplacent sur commande après avoir été contactés par téléphone. Ce privilège est toutefois généralement réservé aux bons clients ou aux femmes prêtes à échanger une dose contre une prestation sexuelle, décrit la note. Tous les deux ou trois jours, la tête de réseau collecte le produit de la vente et en reverse une partie au vendeur en guise de rémunération.

Dépendance quasi immédiate
Et au milieu de ces profils connus déboulent parfois des vendeurs qui sortent du commun. C’est le cas de K., cheveux courts, barbe naissante. Ce jeune adulte sans histoires n’avait jusqu’alors jamais fait parler de lui. Et pourtant, les policiers l’ont surpris avec 8,25 g de crack qu’il s’apprêtait à revendre. Il était en train de fumer un joint. Pour cet adolescent entouré et dont la mère travaille à la mairie de Paris, cette garde à vue était une première, tout comme son passage, le 24 septembre, par le dépôt du tribunal judiciaire de Paris. Il est livreur de sushis en CDI, s’est inscrit en autoentrepreneur pour travailler pour une plate-forme de livraison et compte faire une formation en fibre optique. Il nie être dans le trafic et est placé en détention provisoire en attendant son jugement malgré les garanties de représentation.

« Cela pose un vrai problème de santé publique, c’est une drogue qui met les gens dans un état catastrophique », assène une source judiciaire, expliquant ainsi la sévérité des décisions. Car l’addiction est quasi immédiate, avec un phénomène de manque qui s’installe durablement. Et le toxicomane au crack est difficile à sevrer puisque aucun médicament ne peut se substituer à la drogue. C’est ce qui pousse les ombres qui errent dans les secteurs gangrenés à baisser la tête en quête de morceaux égarés, de résidus. On les appelle les picoreurs.

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NÉ AUX ÉTATS-UNIS dans les années 1980, le crack est arrivé en France au début de la décennie suivante. Le nord-est de Paris a toujours été l’épicentre du crack en France, même si son usage a depuis longtemps franchi le périphérique. Le nombre de consommateurs a triplé entre 2010 et 2017 et ne cesse d’augmenter.

Comment le fabrique-t-on ?
Le crack, c’est de la cocaïne qu’on a chauffée en y ajoutant de l’ammoniac ou du bicarbonate de soude. Il suffit d’un réchaud à gaz, d’une casserole ou d’une tasse pour la préparation. Mais ce n’est pas non plus à la portée du premier venu.

Un bon « cuisinier » peut travailler pour plusieurs « équipes ». Cette « cocaïne-base » est ensuite moulée, ce qui permet d’obtenir un « disque », soit l’équivalent de 10 à 20 g. Dernière étape : on découpe ce disque pour en faire des « galettes », semblables à des morceaux de parmesan. Plus la cocaïne est de bonne qualité, plus la quantité de crack fabriqué est élevée. Un kilo d’une cocaïne pure à 80 % permet ainsi de produire 800 g de crack.

Combien coûtent les doses ?

Les consommateurs achètent le plus souvent une galette entre 10 et 15 €. Elle pèse environ 0,20 g. Le client peut aussi se procurer une quantité plus importante comme un disque entier (une « rondelle ») ou un demi-disque (une « lune »).

Le moins cher, c’est la dose unique, le « caillou ». Il coûte 5 €. Les toxicomanes qui ont dépensé tout leur argent commettent souvent des délits pour obtenir ces 5 €. Le recours à la prostitution est également assez fréquent.

Comment se consomme-t-il?

Il se fume dans une pipe en verre munie d’un filtre. Lorsque le caillou se met à brûler, il produit un bruit caractéristique, d’où le nom de « crack ». La sensation d’euphorie est aussi forte qu’immédiate. Mais c’est l’une des drogues les plus addictives au monde. La descente est tout aussi brutale.

Le sentiment de manque survient très rapidement et s’accompagne de symptômes dépressifs, voire d’agressivité. En raison de son prix très bas comparé aux autres drogues dures, le crack accroche surtout les personnes les plus démunies. Mais pas seulement. « Le fléau avec le crack, c’est qu’on en devient dépendant extrêmement vite, constate un observateur. On trouve aussi de plus en plus de femmes. »

Combien rapporte-t-il ?
Le crack n’est pas forcément une drogue très rentable. Le trafiquant qui achète son kilo de cocaïne entre 27000 et 30000 € peut se faire un chiffre d’affaires de 65 000 à 100 000 €. Sur le papier, c’est un peu plus que la cocaïne (70 € en moyenne le gramme, donc 70 000 € de chiffre d’affaires), mais il faut multiplier les ventes sur un marché national de 43 000 consommateurs (dix fois moins élevé que celui de la cocaïne). À titre de comparaison, le cannabis compte plus de 5 millions de fumeurs en France.

NICOLAS GOINARD ET DENIS COURTINE avec Le Parisien

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