Malgré une promesse de CDI et un soutien de la mairie, la préfecture de l’Ain refuse de donner un titre de séjour à Babacar Saar, arrivé en France en 2017, alors qu’il était mineur.
Un apprentissage bien parti pour se transformer en CDI, un studio meublé en solo, des combats de karaté qui l’amènent à visiter Toulon, Lyon, Paris. À première vue, un tas d’adolescents de 19 ans en quête d’indépendance signeraient pour avoir la vie Babacar Saar. Un certain nombre de parents aussi, sans doute rassurés par cette stabilité.
Tout ce que ce jeune Sénégalais a construit en moins de trois ans pourrait pourtant s’effondrer à tout moment. Cet apprenti cuisinier, embauché dans une pizzeria de Bourg-en-Bresse (Ain), est sous le coup d’une expulsion et d’un renvoi dans son village natal de Touba. Pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance en 2017, car mineur, après avoir fui le Sénégal, il a appris cet hiver qu’il ne bénéficierait pas d’une admission exceptionnelle au séjour en France. Ce qui fait de lui un clandestin en cas de contrôle de police.
Alors que le maire socialiste Jean-François Debat et le député LR Xavier Breton militent en coulisses dans ce dossier, plus de 35 000 internautes ont signé une pétition appelant à sa régularisation. Une mobilisation restée pour l’heure sans réponse. Depuis le 12 janvier, Babacar « n’est pas en droit de se maintenir sur le territoire », affirme la préfecture au Parisien.
Presque un an sur les routes
Contrat d’apprentissage, attestation d’inscription au CFA de Lons-le-Saunier, avis de paiement de logement, diplôme d’études en langue française DELF A1… Nous avons pu consulter un certain nombre de documents attestant de l’intégration sociale et professionnelle de Babacar. Des « preuves » pour lui et ses proches, mais qui ne suffisent pas selon la direction de la citoyenneté et de l’intégration. Celui-ci justifie notamment sa décision par un manque de « sérieux » de Babacar dans le cadre de sa formation et ses prétendus liens avec sa famille restée au Sénégal.
« Je n’ai pas peur mais je ne sais pas ce que je dois faire », souffle M. Saar, qui affirme avoir fui le Sénégal après avoir subtilisé de l’argent à un « oncle » pour traverser la Méditerranée. « Je n’ai jamais connu mes parents, et je n’ai pas de frère et sœur. C’est mon oncle qui s’est occupé de moi mais il me frappait, me maltraitait et me forçait à travailler dans la maison. Alors je suis parti », se présente-t-il, dans un français encore balbutiant.
Son voyage en solitaire vers l’Europe durera près d’un an. Un mois en Libye, sept en Italie, puis une fois à Paris, c’est la Croix Rouge qui l’oriente dans le Jura. « Tout est très compliqué mais je me suis toujours débrouillé comme un grand. Je ne suis pas là pour toucher les aides », poursuit-il d’un ton déterminé.
Une promesse de CDI et les encouragements du CFA
Son formateur pizzaïolo, Youssef Doukar, n’en finit pas de souffler au téléphone. « C’est dingue. Babacar est totalement autonome. Je lui ai même promis un CDI au terme de son apprentissage (NDLR : en mai prochain) », nous affirme-t-il.
Depuis un an et demi, Babacar prépare les repas et assure le service aux « Mille et une nuits », un snack situé dans le centre-ville de Bourg-en-Bresse. « Ce n’est pas la première fois que la préfecture nous fait le coup avec un apprenti, reprend ce propriétaire de plusieurs établissements dans la région. Il y a une pénurie de main-d’œuvre dans la restauration et on empêche de travailler un jeune homme super cool et disponible ».
Dans sa lettre, envoyée fin novembre, la préfecture pointe du doigt les notes « insuffisantes » de l’élève : 8,96/20 de moyenne générale lors du premier trimestre 2018-2019 puis 4,58 au second. Des résultats à nuancer, prévient le patron de la formation, Fabrice Gontard. « Babacar se situe dans la moyenne haute. Avec un niveau de français type 6e-5e, ce qu’il fait est très honorable, assure-t-il. C’est quelqu’un de volontaire, qui suit en cours et n’hésite pas à demander de l’aide ». Selon lui, l’obtention du CAP au printemps prochain n’a rien d’insurmontable, au vu des louanges de son employeur, M. Doukar.
La mobilisation du Karaté Club
Les marques de bienveillance comme celle-ci se multiplient à Bourg-en-Bresse, où Babacar a également investi le monde associatif. Deux fois par semaine, Babacar pose sa toque de pizzaïolo aux vestiaires pour enfiler son kimono de karatéka. « Je l’ai rencontré en septembre 2018 sur le tatami. Il m’a directement bluffé. Il avait des gestes très spectaculaires et un profil particulièrement athlétique », se souvient Thierry Fontaine, le président du club local.
C’est lui qui a lancé la fameuse pétition à la mi-janvier. Après plusieurs victoires de Babacar dans des challenges départementaux – une des rares compétitions ouvertes aux étrangers, il avait tenté cet hiver de « médiatiser » l’affaire de son poulain. Comment ? En l’embarquant dans sa voiture, direction Toulon, pour la Coupe de France espoirs. « Une victoire nationale aurait peut-être marqué les esprits pour ses papiers », pensait-il. Il ne passera finalement pas le premier tour.
Mais l’essentiel n’était peut-être pas là. Durant le trajet à deux sur l’autoroute, ce fan de karaté depuis ses 13 ans fend sa carapace. Babacar évoque pêle-mêle « ses connaissances des vins de la vallée du Rhône et des fromages français ».
Un recours toujours possible ?
La suite, le jeune Sénégalais l’imagine d’ailleurs toujours dans la région alpine. En tant que pizzaïolo ou « pourquoi pas électricien ». Il ne s’interdit rien. « Mais pour l’instant, je ne pense pas à ça. Je dois retrouver une stabilité ». Martine, retraitée de l’Education nationale, essaie de l’assister dans ses démarches juridiques. Elle l’a rencontré elle aussi lors d’une journée sportive au Karaté Club. « C’est un mec droit, intègre. Il veut s’en sortir tout seul. Des jeunes comme ça, on n’en trouve pas beaucoup », se lamente-t-elle, un peu submergée par l’ampleur de la mission.
Étant donné que Babacar vient d’un pays jugé sûr, une demande d’asile a très peu de chances d’aboutir. En revanche, ses proches entendent contester la date à laquelle M. Saar a reçu son Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Babacar assure n’avoir été informé de la sentence que le 7 janvier, en se rendant à la préfecture dans l’espoir d’une réponse positive. Et non, le 12 décembre, comme l’assure la préfecture. Si tel est le cas, le délai de 30 jours permettant de faire recours contentieux devant le tribunal administratif n’aurait donc toujours pas expiré. Une goutte d’espoir dans un torrent d’incertitudes.
Cyril Simon