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Sénégalais du Maroc : Au royaume des petits boulots

Sénégalais du Maroc : Au royaume des petits boulots

Au Maroc, les Sénégalais y ont une présence séculaire liée au commerce, au culturel et au cultuel. Mais, le début des années 2000 a été un virage marquant avec une augmentation nette de leur nombre dans le pays. Il est consécutif à l’avènement du règne du roi Mohammed VI (1999).

Si parmi les Sénégalais on peut certes compter les fameuses employées de maison et nounous, on peut désormais y trouver aussi des étudiants, des journalistes, des comptables, des managers dans les centres d’appels, des commerçants. En bref, c’est une mosaïque aux multiples facettes. En étudiant et en travaillant au Royaume chérifien, les Sénégalais participent au rayonnement économique et culturel de leur pays d’accueil comme en 2017, lors de l’exposition « L’Afrique en capitale », à Rabat, dédiée à la culture et aux hommes de cultures provenant, entre autres Etats, du Sénégal.

Au royaume des petits boulots
Entre « taxi » non déclaré, vendeurs, cambistes improvisés dans les aéroports, certains Sénégalais expérimentent et envahissent le royaume des petits boulots au Maroc.

Malgré l’inéluctabilité du passage, la nuit a encore du mal à se séparer du jour. Naissent alors de petits groupes d’amas filiformes de silhouettes. Les premières lueurs du jour luisent sur l’ébène de visages aux sourires à l’éclat éternel de l’esprit immaculé en pleins salamalecs.

Dans ce tango à pas de deux, alternatif entre noir et blanc, le souffle du Gharbi, le vent frais marocain, renfrogne les mines marquées par un avenir incertain. Insignifiants quand ils sont dispersés, les individus finissent par être imposants en groupes. « On attache de l’importance au sable alors qu’en fait ce sont de petits cailloux minuscules ». La réplique du film « Eternal Sunshine of the spotless of mind » n’a jamais paru aussi vraie. Le balai se poursuit.

Ousmane, le taxi
Après 6h du matin, on y voit plus clair. Chaque groupe se met devant l’une des deux sorties principales de l’aéroport international Mohammed V de Casablanca. « Il est à l’heure », lance (en wolof) un homme d’une trentaine d’années au reste de son groupe. Il parle de l’arrivée du vol Dakar-Casablanca prévue à 5h30. Effectivement, les passagers sortent en file indienne. Et c’est là que se joue une partie de leur journée. En l’espace de moins d’une minute, chaque membre d’un des groupes avance ses pions en destination de la « clientèle ». « Change Dirham », « Hôtel », « Carte téléphonique », « Taxi ».

Autant de propositions que de personnes présentes. L’hameçonnage « Taxi » est le premier à prendre. Sourire non feint, Ousmane mélange l’arabe et le français « débrouillé » pour dialoguer avec son client. A 27 ans, le jeune sénégalais est au Maroc depuis 4 ans. Son sourire à fauchettes qu’arbitrent majestueusement des dents du bonheur ne disparaît pas de son visage même lorsqu’il embarque les bagages du client dans le coffre du véhicule. « Il a une chance de cocu », plaisante le trentenaire muri qui ne souhaite pas décliner son identité. « S’il ne devait y avoir qu’un seul client, il partirait avec lui. C’est incroyable », ajoute-t-il. La scène fait sourire « Ndèye » au look en mode trait d’union entre modernité et tradition.

Des Nike dernier cri assorties à une robe « Ndokette » sur lequel un manteau vient protéger les frêles épaules de cette « ancienne étudiante sénégalaise reconvertie dans le commerce surtout le cambisme » non déclaré. « On s’en sort comme on peut, dit-elle laconiquement en évoquant sa situation au Maroc. Il faut multiplier les sources de revenus. C’est ça l’immigration ». Les au revoir temporaires entre la nuit et le jour commencent à avoir raison de la composition des groupes qui s’étiolent. « A tout à l’heure », crie Ousmane à l’anonyme grincheux avant de quitter le parking de l’aéroport. « Il parle du vol venant de Dakar prévu à 9h45 », explique ce dernier. Chaque jour, il y a trois vols réguliers qui relient Dakar à Casablanca. Il y a donc ceux de 5h40 et de 9h45, en plus de celui du soir prévu à 20h10.

En quittant l’aéroport Mohammed V, l’heure qui sépare Nouaceur au centre de Casablanca est avalée sans arrêt. A l’entrée de la ville blanche, les mendiants subsahariens installent un moment de gêne dans le regard de Mehdy, notre accompagnateur marocain. « Ce ne sont pas des Sénégalais », répond-t-il à notre interpellation sur l’origine de ces mendiants des temps modernes en haillons postés aux feus rouges dont certains portaient des enfants.

« Dans la crise migratoire, le Maroc est en première ligne. C’est un lieu de passage pour aller en Europe. Ceux qui n’y arrivent pas sont bloqués au Maroc et souvent dans des situations dramatiques ». Mehdy ne travaille pas pour rien dans un groupe de presse marocain, « à force de fréquenter des journalistes, j’ai acquis certains réflexes ». En début d’après-midi, direction à la Médina de Casablanca où des Sénégalais mènent des activités professionnelles florissantes.

Au détour d’un véritable labyrinthe, on tombe sur une boutique gérée par Coumba. Sur près de 9m2, s’entassent Djellabas, Basins, broderies, bijoux, attirail intime de séduction, des greffages… Nos questions l’indisposent, elle lâche à peine qu’elle s’en sort bien et est installée au Maroc depuis près de 10 ans.

Coumba, la vendeuse
« Coumba fait également cambiste en échangeant euros ou FCfa contre dirhams marocains, souffle Ousmane, le taxi qui nous a rejoint à la Médina. Les 10 euros font 100 dirhams alors que 10 000 francs Cfa s’échangent avec 150 dirhams ». Les sons de ces mots résonnent mal dans l’oreille de Coumba. La Sénégalaise, de plus en plus impatiente, perd le sens de l’hospitalité dans sa boutique. N’insistant pas, le pas pressé vers le coin des coiffeuses sénégalaises.

Elles sont tendances. Ici, les prix se négocient et la facture peut aller jusqu’à 400 dirhams pour une coiffure (les mèches sont fournies par le salon de coiffure). Elles profitent de cette forme de monopole pour coiffer toutes les ressortissantes de l’Afrique subsaharienne. En traversant la rue, des camionnettes sont en ordre dispersé.

Comme au rodéo, les chauffeurs, à tour de rôle, jouent des coups de volant pour entrer dans un minuscule garage afin d’y charger des marchandises déposées pêle-mêle. On y trouve du matériel électroménager, des habits et des chaussures. Marocains et Sénégalais s’affairent pour placer les bagages sur le toit des véhicules. Certains prennent la direction du Sénégal. « Il nous faut trois jours pour atteindre Dakar en passant par la Mauritanie, renseigne Bouba, l’un des chauffeurs. Pour nous, le voyage Casablanca-Dakar est plus intéressant à faire que Dakar-Casablanca.

En partant du Sénégal, chaque voyageur paie 120.000 FCfa alors que nous pouvons avoir le double au retour en comptabilisant le surplus payé sur la marchandise embarquée ». Les chauffeurs sénégalais au Maroc sont très organisés et profitent des nouvelles technologies pour dialoguer sur les difficultés temporaires sur tel ou tel trajet ainsi que sur les tarifs. « Nous avons un groupe WhatsApp de 65 personnes, précise Ousmane. Nous desservons aussi des villes comme Rabat, Agadir et Fès où il faut débourser 150 euros (98.000 FCfa) et 3h30 pour y aller ».

Par Moussa DIOP

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