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Au Sénégal, le foot qui passionne, c’est celui des quartiers

Au Sénégal, le foot qui passionne, c’est celui des quartiers

Au Sénégal, le championnat interquartiers passionne bien plus que le championnat national. Chaque année, de septembre à janvier, dans la torpeur de la saison des pluies, commence cette compétition. Et en ce début du mois de septembre, Amadou, l’entraîneur de l’équipe de foot du quartier de la Gueule tapée à Dakar, porte un poids très lourd.

Tout le monde ici supporte ses joueurs. Pourtant, imperturbable, Amadou n’affiche aucune nervosité. Impeccable dans son survêtement blanc, grand et athlétique, le coach dirige ses footballeurs calmement sur le vaste terrain situé au centre du quartier.

« Avant d’occuper ce poste, moi aussi, j’ai joué aux Mbotty Poms. Ensuite, j’ai eu une carrière nationale en jouant à l’US Gorée, une des plus grandes équipes de la première division sénégalaise. »

La Gueule tapée est l’un des quartiers les plus populaires de Dakar. Amadou y a passé toute son enfance. Dans les rues, les enfants chahutent, courent, tapent dans le ballon, s’arrêtent parfois pour laisser passer les taxis jaunes qui zigzaguent entre les nids-de-poule.

« Les gens deviennent fous »

Devant chaque porte, on palabre sur une natte ou des chaises. Les jeunes viennent au cybercafé chatter ou consulter leur page Facebook, draguer aussi. Lutte ordinaire contre l’oisiveté subie : 49% des Sénégalais sont au chômage.

Sur les murs, partout s’affiche le nom de l’équipe de foot fétiche du quartier, celle qui fait rêver : Mbotty Poms. Ici, on aime raconter qu’El Hadji Diouf, l’attaquant star , a été repéré pendant un match de Navétanes.

Ce championnat de foot inter-quartiers commence chaque année au mois de septembre, en même temps que l’hivernage (deux mois de pluie intense traduits en wolof par le mot « nawet »). Dans un sourire, Amadou raconte :

« Ça dure cinq mois, les gens deviennent fous, ça les intéresse beaucoup plus que le championnat national. »

C’est Sébastien, un Français originaire d’Arles à l’accent du sud bien marqué qui nous a intégré au sein de l’équipe des Mbotty Poms. Enthousiaste, jovial et toujours le sourire aux lèvres, il nous a raconté le foot à la sénégalaise. Cet engouement particulier.

« N’importe quel Sénégalais, homme ou femme, peut te dire sans hésiter une seconde quel ASC il supporte. C’est pas systématiquement le cas pour une équipe européenne. »

350 ASC rien qu’à Dakar

Samba, milieu de terrain des Mbotty Poms, en est capitaine depuis quatre ans.

« Les Navétanes, c’est quelque chose de très important. C’est une question de fierté, d’honneur. Chaque quartier a une équipe et tu dois tout faire pour la défendre. »

Créées après la guerre et les indépendances africaines, dans les années 60, les Navétanes devaient occuper la jeunesse pendant la période de l’hivernage, au cours de laquelle le pays tourne au ralenti. Depuis, la compétition n’a cessé de passionner les Sénégalais.

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Comme à la Gueule tapée, chaque quartier a son association sportive et culturelle (ASC) autour de laquelle s’organise l’équipe de foot. Dakar en compte à elle seule 350. Et leur action ne se cantonne pas au terrain de jeu.

Félix, le président de l’ASC des Mbotty Poms, ne s’en cache pas : pour lui le foot, c’est d’abord un outil. Barbe, petites lunettes, cet informaticien d’une quarantaine d’années n’a pas tout à fait le profil de base du fan des Mbotty Poms.

Les hommes politiques en profitent

« Tout ce qui intéresse les gens du quartier aujourd’hui, c’est l’ASC. Nous voulons faire des Mbotty Poms un outil de communication. Les gens ne se sentent plus concernés par la politique. »

Souvent, avec l’ASC, les jeunes participent à des actions de bien commun, comme le nettoyage du quartier ou des actions de prévention contre le VIH. Réalisateur d’un documentaire sur le sujet « La mousson des champions », Olivier Montlouis explique :

« Toute la politique de la jeunesse passe aujourd’hui par les ASC. C’est le principal tissu associatif du pays. »

Fatalement, les ASC intéressent les politiques, qui y voient un moyen, en offrant des dons et des financements très mis en scène, de se rendre populaires auprès de la population.

Sur le terrain de jeu au milieu du quartier, la nuit tombe. Dans quelques jours, Mbotty Poms doit jouer contre le quartier voisin de Fann, équipe qu’ils n’ont pas battue depuis 1986 ! Malgré la pression, Amadou est toujours aussi calme :

« Un derby, c’est tout le temps chaud sur le plan du jeu comme au niveau de l’ambiance. »

L’entraînement est terminé. La dizaine d’enfants qui assiste tous les soirs de la semaine à chacune des séances de travail de l’équipe s’est agglutinée derrière le mur des vestiaires pour essayer d’entrevoir les joueurs par une fissure ou un trou. Une fois les footballeurs sortis, les petits fans suivent leurs idoles. A une distance respectueuse.

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Le matin du derby, pas de pluie. Comme avant chaque match, les joueurs se réunissent pour le « regroupement ». Plus de cinq heures passées à préparer la rencontre. Pour mettre toutes les chances de leur côté, toutes les équipes des Navétanes font appel à des marabouts.

Amadou :

« Vous savez : c’est l’Afrique et ses mystères. Là, ils prennent des bains qui protègent contre les malédictions, la malchance et consorts. »

Dans l’ombre, les marabouts

Pour les joueurs, pour le staff et surtout pour le chef de la commission mystique, Pape Sy, chaque action sur le terrain est imputable aux rituels effectués par les marabouts.

Pape Sy :

« On peut faire des sacrifices, tuer des moutons, des chèvres. »

Il est 19h30. Petit à petit, le stade Iba Mar Diop se remplit. Les tribunes des supporters de Fann et de La Gueule tapée se font face. Mohamed, un des jeunes supporters qui guettait les joueurs sur le terrain du quartier, a pris place.

Plus tard, son rêve est de devenir basketteur mais les joueurs en crampons le font aussi rêver. Comme ses copains, il est surexcité, chante à tue-tête. Chaque camp de supporters a sorti djembés et sabars. Alors même que le match n’a pas commencé, le stade vibre déjà aux sons des tambours.

Ce soir, pourtant, il n’y aura pas de gagnant. Après un penalty litigieux, le public envahit le terrain. Les gendarmes et les policiers finissent par tirer des grenades lacrymogènes pour éparpiller la foule restée dans les tribunes. Seule l’extinction brutale des lumières qui plonge soudainement le stade dans le noir fait revenir le calme.

À la sortie des vestiaires, Amadou mâchouille le coin d’un des petits sacs plastiques remplis d’eau minérale réservés aux joueurs. Son entrain naturel l’a abandonné, son sourire s’est crispé. Pendant le match, même lui s’est énervé, agacé par ses joueurs et le comportement des fans.

En réaction à ces violences et à d’autres, la commission des Navétanes a décidé d’annuler tous les matches de la zone 2, la poule dans laquelle jouaient les Mbotty Poms.

Cette année, Amadou hésitait à retourner au bord du grand terrain de sable de la Gueule tapée. Sébastien dit avoir tout fait pour le convaincre d’entraîner les joueurs. Eux seront soutenus comme toujours par tout le quartier.

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