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Portrait : Bakary Sakho, Brave Garçon d’Afrique

Portrait : Bakary Sakho, Brave Garçon d’Afrique

Bakary Sakho

Ce gardien d’immeuble dans une cité de Paris publie un essai sur sa vie de militant associatif et défend une identité française multiple.

A cinq minutes à pied de la station de métro Crimée, au cœur du XIXe arrondissement de Paris, dans la cité Michelet, difficile de rater cet homme à la longue silhouette avoisinant les deux mètres. En jogging sobre et chaussures de sécurité, signe qu’il travaille au milieu de la douzaine de tours façon Tetris fraîchement rénovées, il nous emmène dans sa loge de gardien où les résidents vont défiler, pendant tout l’entretien, pour le saluer ou lui demander un service. Sur un mur, une affiche présente son livre : Je suis. Son visage fin, les cheveux courts, la barbe taillée, Bakary Sakho se met en scène sur la couverture en arborant trois tenues différentes : une tenue traditionnelle africaine en bleu, un habit représentatif de la culture musulmane (le qamis) en blanc, et un survêtement rouge pour illustrer les quartiers populaires… Bleu, blanc, rouge, comme les trois facettes de son identité française. Fils d’un cariste et d’une femme de ménage, il s’inspire dans son livre de ses quinze années de militant dans plusieurs associations.

Assis à son bureau, les yeux rivés sur son ordinateur, il consulte ses mails. Il nous accueille chaleureusement dans son antre où des plantes grimpantes prennent leurs aises. Habitué à parler en public, il module sa voix pour accentuer son discours.

«Quand un individu s’interroge sur sa destinée, il doit d’abord savoir d’où il vient. Les grands du quartier ne se sont pas occupés de nous, mais notre génération va le faire pour les plus jeunes», explique le cadet d’une famille de huit enfants.

L’Afrique

En 2001, à 21 ans, il se mobilise avec des potes et fonde Braves Garçons d’Afrique (BGA), une association d’insertion qui organise, encore aujourd’hui, des fêtes, des repas de quartier, des événements sportifs ou des conférences-débats. Pour Paul, son fidèle comparse depuis toujours,«c’est un altruiste». A la suite d’une discussion avec son père, Bakary découvre l’histoire de son nom de famille. Les Sakho sont des gens importants et respectés.

«Les valeurs que t’ont transmises tes parents, le jour où tu fondes ta famille, elles viennent naturellement, car ce sont des valeurs fortes !»

Marié, deux enfants, il se lance dans le militantisme partout où il va. «Lors de mes premières interventions sur le terrain, j’ai découvert la réalité du métier de gardien. Comme je connaissais bien le quartier, on m’a demandé de venir les former.» Un vieil homme l’interrompt : «Monsieur Sakho !» «Comment ça va ?»rétorque avec aplomb Bakary à son locataire. «N’oublie pas…» «Pour les compteurs, je te fais ça cet après-midi !» Les locataires défilent avec leurs demandes dans cette loge qui ressemble à un poste avancé de l’assistante sociale. Chaque fois, Bakary Sakho reprend de plus belle son discours là où il l’avait laissé. «Si j’ai choisi ce métier, c’est parce qu’il correspond aussi à ma façon d’agir. Quand une famille a des problèmes de loyer impayé, je n’ai pas le pouvoir d’annuler l’expulsion, mais en tant que gardien militant, je fais bouger les choses en passant quelques coups de fil.»Payé au Smic, il bénéficie d’un logement de fonction dans ce quartier où il a grandi.

L’islam

Il faut interrompre son flot de paroles pour que la conversation avance.«Etre musulman fait partie de mes identités.» Sa foi rythme sa vie au même titre que ses origines africaines. Il se sent aujourd’hui investi d’une mission : rétablir l’image du véritable islam, quotidiennement salie. Son quartier, le XIXe arrondissement, n’a rien à voir avec le paysage dépeint par les médias : les Buttes-Chaumont, «camp d’entraînement à jihadistes», «berceau du terrorisme», à l’image des frères Kouachi… «Les mecs faisaient du cardio aux Buttes-Chaumont, comme tout le monde. D’accord, ils avaient pour objectif d’aller en Irak, en Afghanistan, mais on ne peut pas mettre tous les barbus dans le même sac.» Il s’amuse de leur niveau dérisoire, selon lui, en musculation de rue. Il évoque aussi le cas de la cellule démantelée de la mosquée Adda’wa. « C’était un petit groupe de très jeunes qui faisaient leurs prières. Ils discutaient entre eux, mais personne n’était au courant de ce qu’ils avaient en tête. En fait, ils se racontaient qu’ils se préparaient à aller « aider le peuple musulman » dans les conflits au Moyen-Orient.»«Aider le peuple musulman», c’est le leitmotiv qui pousse les plus fragiles d’esprit à partir au front, d’après le gardien de la cité Michelet.

La banlieue

Un vieil homme entre dans la loge. Il porte béret, canne et lunettes, aux antipodes du style de Bakary Sakho. «J’ai choisi ce style vestimentaire urbain pour témoigner de ma passion pour le hip-hop, le basket-ball et pour cette mode venue d’outre-Atlantique.» Il y voit le signe distinctif d’une jeunesse qui, petit à petit, a adopté une langue et une culture en marge de la société. Malgré tout, il a voté à gauche en 2007, et s’il n’a pas pu se rendre aux urnes en 2012, c’était pour des questions administratives. Il est déçu des partis traditionnels, comme un grand nombre de jeunes de quartiers qui ont voté massivement pour notre cher président. Le gardien d’immeuble soutient aujourd’hui des actions politiques associatives, telles celles des listes indépendantes comme Emergences, un parti citoyen composé en majorité de jeunes des quartiers.

Grande gueule autoproclamée, il avait besoin que son discours porte même quand il dort et a monté une maison d’édition, Faces cachées. Il a ainsi pu sortir son premier ouvrage. Demain, Bakary veut publier des livres liés aux cultures urbaines, pour favoriser les jeunes «issus de la diversité» et mettre en lumière de nouvelles plumes. Pas très intéressé par des codes littéraires qu’il juge vieillissants, il les remplace par de nouveaux procédés de communication. Avec l’aide de son éditrice, Ouafa, tout juste diplômée, il préfère reprendre les codes de l’industrie du disque avec une couverture explicite. Les affiches des événements remplacent les sempiternelles photos représentant l’univers de l’écrivain.

Ce boute-en-train à la gouaille affûtée a l’œil qui pétille lorsqu’il parle de son avenir : «Cela peut paraître fou, mais j’aimerais bien rentrer dans la police. Attention, pas pour être dans une voiture et faire le guignol, plus pour l’action sociale !»

Il a rencontré un jour deux policières lors d’une réunion. Séduit par l’aspect de leur travail en relation avec les gens et les associations, il s’amuse :

«Je suis gardien militant aujourd’hui. Peut-être que je serai gardien de la paix demain !»

14 novembre 1980 Naissance à Paris (Xe arrondissement).

Septembre 2001 Création de l’Association B.G.A.

1er Avril 2012 Prise de poste de gardien.

1er juin 2015 Création de la maison d’édition Faces cachées.

10 octobre 2015 Sortie de l’essai Je suis (Faces cachées).

 

Source : Libération

 

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