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Pierre, mis sur un bateau à 16 ans pour rapporter de l’argent

Pierre, mis sur un bateau à 16 ans pour rapporter de l’argent

A 16 ans, Pierre quitte le Sénégal pour la France. Seul, et clandestinement. Sa mère est morte depuis trois ans, son oncle et sa famille le harcèlent, il n’a pas d’autre choix que d’embarquer sur un bateau.

Aujourd’hui, le jeune homme a 21 ans et peine toujours à raconter ce voyage. Pourtant il ne se passe pas un jour sans qu’il y pense. C’était il y a quatre ans, mais il « ne peut toujours pas regarder Titanic », ça lui fait peur.

« Ça devait être un grand bateau, mais non »

Il faut régler 800 euros avant d’embarquer, carte d’identité française comprise. Pierre paie grâce à la quête récoltée au décès de sa mère. Trois « passeurs » chargent une centaine d’hommes clandestins, des réserves de fuel et de la nourriture. Personne ne se regarde, ni ne se parle. De cette traversée, il n’ a été prévenu que du froid, donc il a superposé des couches d’habits. Les sacs étant interdits, il garde des espèces et une brosse à dents dans ses poches. Sur le bateau, nombreux sont les passagers malades. Mal de mer, vomissements à cause de l’eau salée ingurgitée, on « fait » où on peut.

Pierre souffre de brûlures de peau – le sel le ronge – et d’aigreurs d’estomac. En arrivant en France, il sera traité pour une hépatite B sévère.

« Tu dors mais à peine, tu ne pense qu’à une seule chose, descendre de ce bateau. »

La traversée dure trois semaines. Aucun répit, du « non-stop ». Le bateau ralentit « seulement en cas de tempête », raconte-t-il.

Sénégal – Mauritanie : une semaine. Mauritanie – Maroc, plus long : neuf jours. Puis les îles Canaries, l’ltalie et la France.

« Je pensais que c’était juste à la télé »

Près des côtes, il faut « se planquer car les flics te tirent dessus ». A l’arrivée aux Canaries, les passeurs lui « prêtent » une carte d’identité française (300 euros) et lui fournissent un billet d’avion à destination de Milan, puis de Paris.

« J’aurais dû rendre la carte mais la police aux frontières de Roissy l’a confisquée. »

Il faudra la rembourser. A Roissy, « je crois que la galère est terminée » mais un flic « tilte sur la photo et me demande si je suis malade, car le visage est plus rond que le mien ! ». Premier sourire depuis le début de l’entretien.

« C’est mal de sortir de ton pays à cet âge là, de subir la police, les menottes, les fouilles… Je pensais que c’était juste à la télé. »

Placé en centre de rétention, Pierre reçoit la visite du Comité inter-mouvements auprès des évacués (Cimade), qui insiste pour qu’il demande l’asile politique et puisse rester au moins quinze jours. Le temps de faire des démarches.

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« Tu vas aller en foyer »

Quand « un flic lui met les menottes », Pierre craint l’expulsion : il n’a reçu aucune explication. On le présente à un juge pour enfants au tribunal de Bobigny, puis il est accompagné à l’hôpital. Il subit des tests afin de déterminer son âge.

Toujours sans explication, « on [lui] demande de baisser [son] pantalon pour toucher [ses] affaires ». De retour au tribunal, toujours menotté, le policier remet une enveloppe au juge qui dira à Pierre « Tu vas aller en foyer ».

Conduit à Taverny, au centre de la Croix Rouge, Pierre fugue, de peur d’être mis dans un avion.

« Je n’osais pas poser de questions, j’étais trop fatigué. J’ai compris plus tard qu’il s’agissait des résultats médicaux déterminant mon âge. »

Alors qu’il s’est réfugié dans un foyer Sonacotra à Rosny dans le 93, une assistante sociale le repère et contacte l’aide sociale à l’enfance (ASE), puis le tribunal.

Le service d’accueil d’urgence et d’orientation (SAUO) de la Courneuve héberge Pierre pendant six mois et parvient à le scolariser. Il est ensuite placé en famille d’accueil pour un mois, le temps de trouver un hébergement en studio avec un accompagnement éducatif.

« J’ai été envoyé pour cette mission »

Depuis, Pierre a connu plus d’une dizaine d’éducateurs. Il garde des liens avec son ancienne et dernière éducatrice qui l’a suivi deux ans, même si depuis ses 21 ans, il n’est plus pris en charge par l’aide sociale à l’enfance.

Après un CAP en carrosserie obtenu au Lycée Jean-Pierre Timbaud à la Courneuve (93) – seule formation possible sans papiers – Pierre passe cette année son bac pro, dans le même domaine.

Il fait beaucoup de sport depuis qu’il est arrivé en France. Titulaire du Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur en accueil collectif (Bafa), il est animateur sportif les mercredis et les vacances scolaires.

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Ses économies lui servent à financer une formation d’agent de sécurité à 1 700 euros. Quand il peut, Pierre envoie aussi de l’argent à sa famille, entre 80 et 100 euros :

« J’ai été envoyé pour cette mission. Peu importe la somme. »

Il ajoute toutefois :

« C’est jamais assez, ils se plaignent toujours. Ils m’appellent juste pour ça. Jamais pour prendre de mes nouvelles.

L’entourage fait du forcing, ils t’incitent. Si ma mère avait été vivante, elle aurait refusé catégoriquement. Quand je suis seul, je me dis dans quel merde ils [sa famille] m’ont foutu. Des fois, oui, je leur en veux, car ils ne m’ont pas laissé le choix. Ils nous envoient pour de l’argent. »

Rentrer. « Vite fait, une semaine »

Pour autant, couper la relation avec la famille n’est culturellement pas envisageable.

« Tu ne peux pas renier ta famille. J’ai envie d’y retourner, je n’ai pas réglé ma dette, ils [les passeurs] peuvent s’énerver sur ma famille. »

Evoquer un voyage au pays le rend nostalgique. Il a le projet de s’y rendre prochainement mais « vite fait », une semaine.

« Ils ne s’imaginent pas que l’immigration est très dure. Je ne peux pas y retourner sans argent. Je sais que tout le monde va m’en demander. »

Pierre a déjà eu deux cartes de résident (valables un an). Pour avoir la nationalité française, il en faut quatre. De toutes façons, il ne pense pas demander la nationalité française.

« J’ai eu la chance d’être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, mais je ne conseille à personne de faire cette traversée. Un de ses amis est devenu fou après cette traversée : il y avait des morts sur son bateau.

« Si j’étais resté longtemps dans la rue, j’aurais pu tomber dans du trafic de drogues (avec l’Italie) ou devenir vendeur à la sauvette à la Tour Eiffel. »

Des trafiquants repèrent les mineurs étrangers isolés pour les exploiter. Les mineurs sont relâchés, il n’y a pas de poursuites pénales. Si Pierre a aujourd’hui une situation administrative, s’il a pu être suivi médicalement et se voir proposer une insertion professionnelle, c’est uniquement parce qu’il a bénéficié d’un accompagnement éducatif.

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