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Melilla : triple saut vers l’eldorado

Melilla : triple saut vers l’eldorado

D’Afrique noire, la route a été longue, mais l’Europe est enfin à portée de vue. Reste l’ultime étape : gravir les trois clôtures de l’enclave espagnole sous les feux des gendarmes marocains et de la Guardia Civil.

Le soir venu, vers 19 heures, lorsque les ratissages de la police marocaine ont cessé, Dream All Good reprend des forces. Il s’anime et partage avec ses compagnons d’infortune sa gouaille et son sens du rythme. Dream All Good, c’est le nom d’artiste que s’est donné le Camerounais Jacky, une armoire à glace de 22 ans à la voix de ténor. Sous la lumière diffuse d’une demi-lune, au milieu de l’épaisse forêt de pins maritimes, il improvise un rap relatant son sort précaire, son long voyage commencé à Douala en 2009, les mensonges adressés de temps en temps à sa mère au téléphone ( «Tout va bien, maman, je vais bientôt commencer à travailler» ), les tabassages des paramilitaires marocains, et puis le froid de la nuit, la faim, les courses éperdues pour fuir les coups, l’épuisante existence de bête traquée.

Bouillie de farine, sardines et miches de pain

Une soirée de plus et toujours le même rituel : Dream All Good et une dizaine de compatriotes, assis sur des rochers devant une popote rudimentaire – de la farine en bouillie, des sardines et des miches de pain -, tournent le regard vers leur objectif, leur rêve, la cible ultime de leur interminable odyssée. Du haut d’un promontoire pierreux, ils contemplent les mille feux de Melilla, ce confetti espagnol posé sur le littoral nord-est du Maroc, seule frontière terrestre, avec Ceuta, séparant l’Afrique et l’Union européenne.

D’où ils se trouvent, on perçoit avec netteté les projecteurs de l’aéroport, les éclairages du boulevard périphérique et tous les points scintillants de la ville ; à côté, vers l’est, les lumières de Beni-Enzar (la bourgade marocaine frontalière) s’apparentent, en comparaison, à des lanternes ou des bougies.

Les regards des jeunes Camerounais sont bien sûr fixés sur Melilla, happés, absorbés, comme ceux d’enfants devant un sapin de Noël. Certains se sont réfugiés dans le silence, perdus dans une rêveuse contemplation ; d’autres s’épanchent et libèrent leurs sentiments, tel Peter qui s’exclame : «Melilla-la-bella, Melilla Babylone, comme je te veux !»

Survêtement gris à capuche et jean élimé, Dream All Good parle, lui, à profusion, pris d’une soif de mots inextinguible. Ses compagnons l’écoutent religieusement, comme s’il leur prêtait voix de manière fidèle et juste : «Il faut nous comprendre. Tout en bas, c’est l’Espagne, et puis l’Europe. Nous, cela fait deux, trois, voire cinq ans qu’on a quitté nos familles et le Cameroun. On a vu défiler les pays et les commissariats de police, on s’est fait tabasser, on nous a détroussés, puis largués dans le désert. On a dû mendier et vivre avec rien ; et puis, aujourd’hui, l’Espagne est à portée de regard. Vous vous imaginez ?»

L’œil est luisant, le verbe solennel, comme s’il anticipait une question :«Alors revenir ? Jamais ça. Il ne reste qu’une dernière étape, après une si longue route. C’est comme lorsqu’en bâtissant une maison, il ne reste qu’à poser le toit et qu’on te demande d’accepter que tout l’édifice s’écroule. Notre destin, il est là, devant, lumineux, il n’est pas derrière nous, dans notre dos, tout obscur.»

Reste que, de tout leur parcours d’émigration, la dernière étape est certainement la plus âpre, la plus douloureuse, la plus périlleuse. Elle commence précisément sur ces hauteurs pentues du mont Gourougou, où 300 à 400 Africains (Guinéens, Camerounais, Ivoiriens, Maliens, Sénégalais, Nigériens…) vivotent comme ils le peuvent, dans cette zone pierreuse couverte de denses pinèdes. Ils n’ont qu’une idée fixe : le moment propice, se laisser glisser vers la frontière de Melilla, la franchir clandestinement et, une fois en territoire espagnol, rejoindre le centre de séjour temporaire pour les immigrés (Ceti) d’où, un jour, on sera forcément transporté vers la péninsule, puis laissé en liberté. Autrement dit, un passeport pour l’eldorado européen en poche. Avant de réaliser le saut improbable de la frontière, la première gageure est de survivre dans le mont Gourougou.

«Des rafles où ils se déploient comme des poulpes»

Longtemps, les Subsahariens y ont été tolérés par les autorités marocaines – bien que fustigés comme «illégaux» – et les organisations humanitaires étaient autorisées à les aider. Mais, depuis l’an dernier, Rabat a serré la vis en déclarant ces migrants «indésirables» : en février, la tente de MSF (Médecins sans frontières) plantée sur un promontoire, a été démontée pour être remplacée par une unité mobile des Forces auxiliaires, avec camions, projecteurs et hommes bien entraînés. Leur mission : «ratisser» l’endroit pour faire du chiffre, interpeller le plus possible de clandestins. «Ces policiers sont jeunes, agiles, très sportifs, et aussi incultes, très violents, les pires», enrage Adil Akid, membre du Mouvement des droits humains (MDH), qui tente de prêter main-forte aux Africains, «désormais livrés à eux-mêmes».

Chaque jour, les Subsahariens réfugiés sur les hauteurs du Gourougou doivent faire face à deux rafles des «Ali», leur terme pour désigner les Forces auxiliaires marocaines. La première, entre l’aube et midi, la seconde entre 14 et 17 heures, lorsque la voix du muezzin de Beni-Enzar retentit. A écouter le récit épouvanté de Samuel, un Camerounais de 27 ans, informaticien et cultivé, les traques font penser aux Chasses du comte Zaroff, la nouvelle de Richard Connell, adaptée en 1932 (2), où le gibier est humain. «Ils se déploient de partout, comme des poulpes, impossible de savoir d’où ils vont surgir, et ils courent très vite. C’est pourquoi on dort tous chaussés, l’anorak enfilé, sur le qui-vive, prêts à détaler. Comme des animaux.»

Essaimés en petits groupes pour passer la nuit dans la forêt, à même le sol, les Africains se reposent donc à peine, la peur au ventre, se sachant être des proies. «Boumla» (danger !), hurle le premier qui détecte l’arrivée des Ali au moindre signe d’approche. C’est alors une débandade effrénée vers un refuge naturel, une anfractuosité rocheuse, une cachette dans un ravin. «Si on a la chance d’en avoir trouvé, il faut y rester des heures sans bouger, dans l’espoir de ne pas être découvert, poursuit Samuel. Si on est pris, c’est terrible. On se fait rosser à coups de matraque et de gourdin, surtout aux genoux et à la tête. Les Ali nous prennent tout : l’argent, les portables, les chaussures et nous embarquent dans des fourgonnettes.»

Direction Oujda, puis un no man’s land près de la frontière avec l’Algérie. De là, la plupart regagnent Maghnia, côté algérien, où l’on peut grignoter un peu d’argent comme maçon ou ouvrier agricole. «Là-bas, la police est plus humaine, mais elle nous bloque l’accès vers Alger, alors, pas de choix, il faut revenir au Maroc, puis vers Gourougou pour retenter Melilla.» Un chemin de Sisyphe, que Samuel a déjà parcouru à trois reprises, à chaque fois caché dans un train de marchandises, menacé d’être repris par les gendarmes marocains. D’autres circulent la nuit dans un taxi pirate pour 300 dirhams (30 euros) ; les plus pauvres doivent opter pour des marches nocturnes pendant quatre à cinq jours. De ces marches, les Maliens Omar et Boubacar Sidibé, 23 et 25 ans, inséparables frères, en ont leurs baskets tout usées : déjà deux voyages éreintants en cinq mois. Ils se fichent des allers et retours, «Melilla vaut tous les sacrifices». L’obsession est de franchir la valla , le triple grillage qui enserre la ville espagnole sur 11,5 kilomètres et tient lieu de frontière avec l’Europe. «Et la meilleure façon d’y parvenir, dit Omar, c’est de grimper massivement, comme une armée.»

Le 17 septembre, Omar et Boubacar faisaient partie d’un «bataillon» de 300 Africains escaladant la valla à corps perdu, pieds et mains nus pour mieux s’agripper. D’abord six mètres de hauteur, puis quatre mètres, enfin de nouveau six mètres, chaque grillage étant séparé de l’autre par un couloir d’un mètre de large. Une sorte de triple saut, qu’il faut réaliser en un temps record car, pendant l’escalade, on risque de recevoir par-derrière les pierres des gendarmes marocains et, par-devant, les balles en caoutchouc des gardes civils espagnols. «On a passé le premier grillage, mais d’autres nous sont tombés dessus, poursuit Omar. On nous a renvoyés côté marocain, les gendarmes se sont salement défoulés sur nous.» Il montre des cicatrices sur son buste et un bras cassé, ce bras qu’on replie sous les coups pour se protéger la face.

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Ce jour-là, vingt-trois Subsahariens ont été grièvement blessés – dont six ont perdu un œil -, transférés et soignés à l’hôpital de Nador grâce à l’archevêché de cette ville marocaine située à environ 50 km de là. Sur les 300 «assaillants», une centaine a pu fouler le sol espagnol, et galoper vers le Ceti, en jouant au chat et à la souris avec les gardes civils et les ARS, des forces anti-émeutes spécialement envoyées de Madrid.

«Ils frappent, mordent et hurlent, ils n’ont rien à perdre»

Le surlendemain, le 19 septembre, nouvelle escalade massive en provenance du Gourougou : 200 retentent leur chance (dont les frères Sidibé et Samuel), une dizaine seulement passe entre les mailles du filet. Affolée, la presse de Melilla titre : «Assauts de Subsahariens», «Avalanche d’Africains», «Agression massive». Filmées par les caméras de surveillance, les spectaculaires images feront le tour du monde via YouTube. Et ce, à l’initiative de la Garde civile (c’est-à-dire du ministère de l’Intérieur) qui, en diffusant cette vidéo, semble dire au reste de l’Europe : «Regardez, nous sommes envahis par cette horde de sauvages, aidez-nous !» «Pas du tout, corrige le sous-lieutenant Juan Antonio Rivera, nous avons seulement voulu montrer la réalité, la cruelle réalité.»

Au volant d’un tout-terrain qui nous fait visiter le tracé sinueux d’un bout à l’autre de la valla, ce responsable de la Garde civile (600 hommes à Melilla, et autant de policiers nationaux) tient à dire ceci : en tentant de franchir ce triple grillage de vertige, les Subsahariens jouent à quitte ou double et sont de plus en plus agressifs. «Nous aussi, nous avons des blessés, il faut souvent se battre avec eux au corps à corps, ils mordent, hurlent, frappent, n’ayant rien à perdre.» Le sous-lieutenant assure que les détenus sont «bien traités», et aussitôt rendus au Maroc. Opinion niée en bloc par les humanitaires et tous les Africains de Gourougou pour qui les gardes civils sont ces temps-ci aussi brutaux que leurs alter ego marocains.

Au cœur de Melilla, dans la Comandancia (l’immense QG en béton de la Garde civile), Juan Antonio Rivera décrit avec fierté la salle de contrôle, où onze écrans permettent de visualiser les images captées nuit et jour par la centaine de caméras placées le long de la valla. Dans le jargon local, cela s’appelle le système intégral d’imperméabilisation frontalière, le SIPF. Un objectif, plus qu’une réalité : selon la Garde civile, 1 700 Africains ont pu franchir le triple grillage en 2012, et au moins 3 100 cette année. Les tentatives n’ont pas de raison de s’arrêter : d’après le préfet de Melilla, Abdelmalik al-Barkani, il y aurait – outre les 400 Africains du Gourougou – entre 1 500 et 2 000 Subsahariens et Maghrébins autour de Nador, dans les camps de Silwan, Afra ou Marjane. Tous candidats pour le «grand saut» vers l’Europe.

En file indienne dans le viseur des caméras thermiques

Le phénomène dure depuis une dizaine d’années, avec plusieurs assauts massifs en 2005 et 2006. Depuis lors, le grillage a été surélevé de deux mètres et renforcé de deux épaisseurs par les Espagnols. Sans succès : la frontière demeure poreuse. Rivera : «Preuve que ces gens désespérés se moquent de la crise. Le goutte-à-goutte n’a jamais cessé : si les assauts massifs sont peu fréquents, des petits groupes de quatre ou cinq tentent leur chance chaque semaine.» Et ce serait bien pire, ajoute-t-il, si la gendarmerie marocaine n’agissait pas avec autant de fermeté contre les«illégaux». Ce serait bien pire, aussi, si la Garde civile ne disposait pas de caméras thermiques, qui permettent, la nuit, de voir arriver de loin les Africains descendant en file indienne du mont Gourougou. Dans la salle de contrôle, un agent passe une vidéo en noir et blanc ayant permis d’avorter un récent assaut massif sur la frontière. Il lâche, entre rire et fascination : «Cela me fait penser aux migrations de gnous dans les plaines de Serengeti, en Tanzanie.» Un autre agent : «Moi, ça m’évoque un film de zombies. Quand je pense que ce sont des humains, c’est horrible d’en arriver là. Quand ils courent, on les dirait possédés par le démon !»

Fichée dans le littoral nord de l’Afrique sur 12,3 modestes km2, l’enclave de Melilla et ses quelque 80 000 habitants est une survivance coloniale, un coin d’Espagne anachronique qui, dans la pratique, est un formidable aimant de richesse et de prospérité. D’un côté à l’autre de la frontière, la différence de niveau de vie est de 1 à 13 – une disparité deux fois supérieure qu’entre les Etats-Unis et le Mexique. Ici, des attelages d’ânes et des ruraux tirant le diable par la queue ; là-bas, des immeubles modernes et le confort européen. Chaque jour, au poste de Beni-Enzar, on compte entre 30 000 et 35 000 entrées du côté marocain (et 7 000 véhicules), pour l’essentiel de la contrebande.

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A la nage, en barque, sous un camion…

A cette pression humaine, il faut ajouter les tentatives de passage clandestin de Subsahariens, d’Algériens, plus récemment de Syriens. «La prospère Melilla, si petite face à une pauvreté si vaste, c’est un goulot d’étranglement, résume José Palazon, de l’ONG Prodein. Les vagues de misère y déferlent avec d’autant plus de force.» Et tous les moyens sont bons pour mettre le pied dans la Babylone européenne. Avec de faux documents (environ 2 000 euros), à la nage (très difficile, vu la surveillance maritime), en Zodiac (entre 1 500 et 2 000 euros), en barque (avec des femmes enceintes ou des enfants en bas âge, non-expulsables), sous un camion ou coincé contre la carrosserie d’une voiture (entre 2 500 et 3 500 euros). «Ceux qui tentent l’escalade du grillage depuis le Gourougou sont sans le sou, précise Adil Akid. C’est le seul moyen gratuit. Et le plus désespéré.»

Le 17 septembre, avec une centaine d’autres, le Malien Daniel, 23 ans, a poussé le cri de victoire de rigueur : «Bouza !» Après l’escalade de la valla, cette boule de muscles est parvenue aux portes du «City», comme l’appellent les Africains. Au centre de séjour temporaire des immigrants, la partie est gagnée. Ensuite, ce n’est plus qu’une question de temps. Une drôle de petite ville à l’extrémité de Melilla – accolée à un terrain vague et à un stupéfiant terrain de golf – où s’entassent 893 migrants pour une capacité de 480 places. On y distribue à chacun trois repas par jour, des sandales, du savon, une serviette et une couverture. «J’arrive pas encore à réaliser, venir de Gourougou, et aujourd’hui, ce palace !»

Daniel se souvient nettement du 10 janvier 2010, lorsqu’il a quitté Bamako, prié Allah et embrassé ses quatres frères et sœurs. Puis Kidal, la route du désert, Adaral et Maghnia en Algérie, pour finir à Melilla. «C’est un exploit d’avoir atterri ici, je le jure.» Maillot du FC Barcelone, cheveux ras, il tue ses après-midi sur ce lit de rivière asséchée qui jouxte le Ceti, encombré de détritus. A ses côtés, une dizaine d’autres Maliens, envahis aussi par l’ennui et une inquiétude sourde : «On ne sait pas combien de temps on va rester ici, c’est dur, craint Salif, 24 ans. Je suis jeune, je veux fonder un foyer, et je perds mon énergie.»

Le séjour au Ceti s’apparente à une sorte de limbes : on y perd la notion du temps. Certains y restent trois mois, d’autres trois ans. On palabre, on erre dans Melilla, regardés de travers par les locaux, et on contacte la famille restée au pays. Chaque semaine, les autorités espagnoles transfèrent entre 30 et 40 personnes vers la péninsule. «Nous-mêmes ne connaissons pas bien les critères de sélection, confie Carlos Montero, le président du Ceti, qui dépend du ministère des Affaires sociales. Notre difficulté, c’est de gérer cette angoisse. Et faire face à leur incroyable méfiance : leur périple a été une série de souffrances et de claques, ils ne croient plus en personne. Mais une chose est sûre, ce sont tous des athlètes, physiquement et mentalement.»

Curieusement, les Africains qui ont pu escalader le triple grillage ne se souviennent plus des longs mois passés sur les hauteurs du Gourougou. Ou bien ne veulent plus en parler. Une sorte d’amnésie les a touchés.«C’est un authentique enfer, là-bas, ils veulent oublier cet endroit !s’exclame cette militante canadienne, qui les a longtemps secourus. J’en ai vu qui chialaient rien qu’à l’idée d’y retourner. Ils n’ont pas tous des âmes de guerriers. Beaucoup sont des diplômés, horrifiés par la violence policière, pris au piège dans cette souricière. On n’en parle peu, mais j’en connais qui sont repartis chez eux, malgré tout le déshonneur que cela suppose, malgré le fait qu’il faut revenir à la case départ, glaner un peu d’argent, payer des passeurs, retraverser le désert, risquer de nouveau sa peau.»

Toilette à la source

Retour au Gourougou. Cette nuit-là, les deux frères Sidibé sont allés acheter des vivres au village de Beni-Enzar, du pain et des sardines. Ainsi que de la lessive pour leur toilette mensuelle à la source, tout là-haut. Omar : «On est traités comme des pestiférés par les habitants.» Interdit d’entrer dans une cafétéria ou un salon de coiffure ; plus aisé dans un cyber-café, «où les gendarmes peuvent nous prendre. Mais, bon, faut bien risquer pour prendre des nouvelles de la famille et savoir comment va le monde». Lui et Boubacar n’en perdent pas le sourire pour autant. Ce soir, il y a réunion avec les «chefs» pour décider d’un assaut massif sur la valla. Les chefs, c’est-à-dire les plus expérimentés, ceux qui connaissent les bons itinéraires, savent estimer les périls et les opportunités.

Vers minuit, lorsque l’hélico de la Garde civile ne perturbe plus le silence de la nuit, un conseil improvisé a donc lieu. Des dizaines d’Africains sont rassemblés, intensément à l’écoute. Parmi eux, les frères Sidibé, Samuel, Dream all Good et ses copains camerounais. Tout comme le Malien Sékou Touré, un chef, trois ans de séjour dans la forêt du Gourougou et seulement deux vraies tentatives – avortées – sur le grillage. «Je suis descendu vers Melilla des dizaines de fois, mais le plus souvent c’est trop dangereux. Trop de policiers. Il faut se raviser.» Bien avant l’aube, vers 4 heures du matin, ils sont environ deux cents à tenter une approche. Ils rebrousseront chemin. Un autre jour, autant de jours qu’il le faudra, ils réessaieront…

 

Source : Libé

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