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L’histoire oubliée des étudiants africains au pays des Soviets

L’histoire oubliée des étudiants africains au pays des Soviets

Ils devaient être l’élite de leur pays, formés en dehors du joug occidental : de 1960 à 1991, des milliers d’étudiants de pays africains ont passé leur diplôme à l’Est, en URSS et dans ses pays satellites. Entre mouvements de décolonisation et guerre froide, une page blanche de l’histoire que les chercheurs du programme Elitaf dévoilent peu à peu.

Quel est le point commun entre le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako, l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, ou encore l’écrivain congolais Zounga Bongolo ? A priori, peu de chose. Si ce n’est qu’ils ont tous étudié dans l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et ses pays satellites, à l’époque de la guerre froide (1947-1991).

A cette époque, le monde coupé en deux voyait s’affronter l’URSS et les Etats-Unis. Moscou avait alors développé une sorte d’Erasmus soviétique pour les étudiants africains, asiatiques et d’Amérique latine. Cet outil de propagande servit surtout à ces pays en développement, au lendemain de leurs indépendances, à former en urgence leurs futurs cadres.

L’amitié des peuples

Dès la fin des années 1950, la majorité des pays maghrébins et subsahariens veulent en finir avec les tutelles coloniales de l’Occident. Ils renforcent leurs relations diplomatiques avec Moscou. Le sixième festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui y est donné en 1957 est le point de départ de ce rapprochement, avec l’accueil des premières délégations africaines.

Puis, en 1960, Nikita Khrouchtchev, le premier secrétaire du comité central du Parti communiste, décrète la création de l’université Patrice-Lumumba, dédiée à « l’amitié des peuples » et aux étudiants étrangers. Les demandes de bourses affluent alors. La RDA, la Roumanie, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Pologne ou encore l’Ukraine deviennent ainsi des « pays frères » : des dizaines de milliers d’étudiants et des militants de mouvements de libération africains partent se former chez les Soviets.

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Sous le drapeau rouge

Pour partir à l’Est, il fallait recevoir une bourse grâce aux coopérations entre Etats, entre syndicats ou entre organisations culturelles et sociales. Ainsi, des hommes, et quelques femmes, ont obtenu leur diplôme dans le bloc soviétique, à l’instar de l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, formé à l’Institut d’histoire de Varsovie entre 1971 et 1975. Ou du président de l’Angola, José Eduardo Dos Santos, qui passa sa jeunesse à Bakou, désormais capitale de l’Azerbaïdjan.

Tous les étudiants africains n’agitaient pas pour autant la faucille et le marteau, même lorsqu’ils venaient de pays au régime similaire, comme le Bénin du général Mathieu Kérékou. D’ailleurs, l’enseignement du marxisme-léninisme n’était pas obligatoire pour les élèves étrangers en URSS et en RDA dans les années 1960.

« Je suis arrivé en Tchécoslovaquie en 1986 pour mes études supérieures à l’université, et mon doctorat. J’ai fait de la chimie industrielle », témoigne Martin Palou, originaire du Tchad, au micro de RFI. « On disait  » camarade  » au professeur par respect, mais j’étais un anti-communiste primaire. C’était une opportunité pour devenir un cadre technique dans mon pays », se souvient ce professeur de l’université de Bratislava.

Des études scientifiques en priorité

En 1963, la moitié des étrangers formés en URSS deviennent ingénieurs, 22 % font médecine ou pharmacie, et le reste étudie le droit, l’économie ou la philosophie, selon le chercheur Constantin Katsakioris. La coopération se traduit également sur le continent africain par la présence de professeurs russes, afin de contrer l’influence des empires coloniaux sur le déclin.

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« En Algérie ou au Mali, les Soviétiques ont par exemple construit des écoles d’ingénieurs en parallèle des instituts français », raconte Monique de Saint-Martin.

Sur le plan militaire, l’URSS et les pays satellites aident aussi les anciennes colonies portugaises, l’Angola et le Mozambique, ainsi que l’Egypte et l’Ethiopie. « Des centaines d’officiers et de spécialistes algériens ont suivi une formation en URSS dans les écoles et les académies militaires », rappelle l’historienne Natalia Krylova. Pour l’Ukraine seule, quatre établissements supérieurs préparent alors les cadres des forces armées des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

Le retour après 1989

Malgré le manque de statistiques, des archives de l’Unesco permettent d’estimer l’ampleur du phénomène : près de 30 000 étudiants africains se trouvaient en URSS en novembre 1989, à la veille de la chute du mur de Berlin.

Après la dislocation de l’Union soviétique et la fin de la guerre froide en 1991, beaucoup ont fini leur cursus en Europe avant de rentrer. Certains étaient même déjà passés à l’Ouest pour obtenir un autre diplôme, parfois plus reconnu. Tandis que d’autres étudiants se sont acculturés, ont fondé une famille et vivent toujours en Europe de l’Est.

Après cette expérience de vie dans le bloc soviétique, les historiens s’interrogent encore sur l’influence qu’a pu conserver la Russie sur ces générations. Bon nombre de ces anciens étudiants africains, surdiplômés, sont désormais en âge d’occuper des responsabilités importantes à la tête de leurs pays. L’histoire n’a pas fini de s’écrire.

Achille Kanhonou arrivé en Tchécoslovaquie du Bénin en 1988 pour étudier la biologie. Bratislava, Slovaquie, 2016.
Sayon Camara, ingénieur en électronique d’origine guinéenne avec son passeport slovaque. Bratislava, Slovaquie, 2016.
Martin Palou, d’origine tchadienne, arrivée en Tchécoslovaquie dans les années 80 pour faire ses études. Bratislava, Slovaquie, 2016.
Mamadou Bassadin et sa femme Silvia à la fête de l’Association des Béninois en Slovaquie. Bratislava, Slovaquie, 2016.
Yves Ogou à la gare de Košice. Les lieux ont beaucoup changé après son arrivée en 1988. Košice, Slovaquie, 2016.
Yves Ogou sur la «Námestie osloboditeľov», ou Place de la liberté, l’un des derniers sites où l’on trouve encore des symboles communistes dans le pays. Košice, Slovaquie, 2016.
Yves Ogou retrouve l’université de médecine Košice où il a étudié à la fin des années 1980. Slovaquie, 2016
La famille Ogou dans sa cuisine. Somotor, Slovaquie, 2016.
Chaque fois qu’Yves se rend au Bénin, il rapporte des dizaines de kilos de gari, une semoule de manioc introuvable en Slovaquie. Somotor, Slovaquie, 2016
La belle-mère d’Yves montre fièrement les photos de mariage de sa fille. Somotor, Slovaquie, 2016

 

 

Source : RFI

 

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