« Il y avait des bébés à l’extrémité (du cimetière). Je ne les vois plus. Il y avait des vétérans. Je ne les vois plus », constate Margott Williams, attristée que leurs tombes aient disparu dans le bayou en contrebas, au cours des nombreuses intempéries de ces deux dernières décennies.
À Houston, au Texas, cette bénévole s’active pour sauver de l’érosion les 4.000 sépultures du cimetière afro-américain Olivewood, qui vient d’être classé parmi les sites les plus en danger des États-Unis par le National Trust for Historic Preservation, une organisation de protection du patrimoine.
Ce samedi, des dizaines de bénévoles y bravent la chaleur pour tondre son herbe ou nettoyer ses pierres tombales tandis que, dans le pays, de plus en plus de personnes se mobilisent pour sauver des lieux qui jusque-là intéressaient peu: les cimetières afro-américains délaissés ou tout simplement effacés.
« Le meurtre de George Floyd a été un moment de prise de conscience », souligne Antoinette Jackson, professeure au département d’anthropologie de l’université du Sud de la Floride, pour expliquer cet intérêt croissant.
Les cimetières afro-américains « ont été continuellement effacés et leurs informations mises sous silence », explique-t-elle.
Pour les répertorier, les sortir de l’oubli et répondre au « racisme anti-Noirs des États-Unis », dit-elle, elle a créé le site Black Cemetery Network où chacun peut signaler un cimetière.
En février, une loi, l’African American Burial Grounds Preservation Act, a été présentée au Parlement pour aider à « rechercher, identifier, documenter, préserver et interpréter les lieux de sépulture des Afro-Américains ». La chercheuse pense qu’elle sera adoptée à l’automne.
Écriture inversée, coquillages…
Si les cimetières d’esclaves sont en péril, c’est parce qu’ils ont été construits sur des champs appartenant à des Blancs qui ne les ont pas toujours répertoriés. Beaucoup des nouveaux propriétaires les ont ensuite ignorés.
De nombreux autres cimetières, plus récents, ont été illégalement repris aux communautés noires dont « les droits n’étaient pas respectés », ajoute la chercheuse.
Ce fut le cas à Tampa, en Floride, où la maire Jane Castor s’est excusée en janvier que la municipalité ait illégalement dépossédé les communautés noires de deux cimetières pour les revendre dans les années 30 à des promoteurs blancs qui ont construit dessus.
En banlieue de Washington, c’est la tentative de vente d’une parcelle d’un ancien cimetière d’esclaves à un investisseur qui mobilise en ce moment les associations.
Enfin, les Afro-Américains ont souvent été éloignés de leurs cimetières par la construction d’infrastructures traversant leurs quartiers ou à cause de la gentrification.
Autour du cimetière d’Olivewood, à Houston, une seule famille afro-américaine vit encore dans une maison modeste, entourée d’immeubles haut de gamme parfois encore en chantier.
En 1993, Charles Cook a découvert le cimetière plus ou moins abandonné depuis une quarantaine d’années. « C’était une jungle » explique-t-il à l’AFP.
Sa machette à la main, il l’a débroussaillé et continue encore de l’entretenir chaque jour à ses frais. En se documentant sur ses occupants, il découvre après quelques années que deux de ses ancêtres y reposent.
Une étude proposera bientôt des solutions pour le mettre à l’abri des dangers de l’eau de pluie et du bayou qui l’érodent. Restera à financer les travaux.
Étudiante en anthropologie, Jasmine Lee encadre les bénévoles ce samedi. Elle est fascinée par ces tombes où d’anciens esclaves « expriment des idéaux spirituels qui n’ont parfois pas pu mettre en pratique pendant l’esclavage, mais qu’ils ont apportés avec eux vers la liberté ».
Étudiante en anthropologie, Jasmine Lee encadre les bénévoles ce samedi. Elle est fascinée par ces tombes qui témoignent « d’idées spirituelles qui s’expriment pendant la période de l’esclavage, mais qui perdurent aussi au-delà ».
Ici, des lettres écrites à l’envers pour tromper les mauvais esprits ou permettre aux morts de lire leur nom depuis leur caveau. Là, des coquillages qui rappellent que le voyage en mer symbolise dans certaines cultures le départ vers l’au-delà.
Un peu plus loin, des tuyaux en fer plantés sans doute pour aider les esprits à circuler.
Identifier 95 cadavres
A Sugar Land, à l’ouest de Houston, un projet de mémorial prévoit de rendre hommage aux 95 Afro-Américains dont les corps ont été retrouvés en 2018 lors de travaux sur les terrains de l’académie scolaire locale.
Morts entre 1878 et 1911, ces prisonniers dont les squelettes ont révélé la mauvaise santé étaient loués par les autorités judiciaires à la plantation locale de canne à sucre.
Légale, la « location de condamné » (« convict leasing ») a compensé la fin de l’esclavage jusqu’à son abolition en 1912 au Texas et en 1941 au niveau fédéral.
Directeur de campagne du Convict Leasing and Labor Project, Shifa Rahman se bat aujourd’hui avec son association pour que le futur mémorial explique « de façon juste et équitable ce qu’était le système de location de condamné ».
Son association réclame également des tests ADN pour identifier les cadavres. Aujourd’hui, chacun a une pierre tombale identique où est inscrit « inconnu », suivi d’un numéro.