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Habib Bèye : « Jouer pour le Sénégal, c’est un choix du cœur »

Entre grande joie avec la qualification à la coupe du monde de 2002 et la désillusion aux Can de 2004 et 2008, Habib Bèye revient sur son compagnonnage avec l’équipe nationale du Sénégal. Il a un regard essentiel de témoin sur la brûlante question des apports et obstacles des binationaux à l’équipe nationale de football du Sénégal.

Dans le studio de Radio Foot internationale, la présentatrice Annie Gasnier lui demande souvent son avis avant celui des autres consultants. Trop souvent ? La primeur de l’expertise footballistique d’Habib Bèye est sollicitée à juste raison. Désormais, Rfi où il a fait ses premières gammes de consultant n’est plus le seul média qui lui fait les yeux doux. Le jeune retraité des terrains de 38 ans officie également sur les chaines du groupe Canal. Avec son physique avantageux fait d’un corps de sportif de haut niveau orné par un minois d’acteur et un sourire ultra Bright, Habib Bèye a conscience que sa plastique plaît. Mais encore…

« On est venu me chercher en me disant que je présentais bien à la télé mais aussi que j’avais, même quand j’étais encore joueur, des analyses intéressantes sur le jeu. »

Personnage médiatique, donc, aujourd’hui, Habib Bèye fait partie des premiers binationaux que le défunt et mythique sélectionneur sénégalais Bruno Metsu est allé chercher pour porter le maillot national frappé de la tête d’un lion. Un choix d’opportunisme ou de cœur. Il raconte son parcours binaire avec l’équipe nationale du Sénégal.

Motivé comme jamais

« J’ai choisi de jouer avec le Sénégal parce que tout d’abord je me sentais Sénégalais à travers mon père. Puis parce qu’il y avait un Monsieur qui s’appelait Bruno Metsu. Il m’a appelé au téléphone pour me faire part de son souhait de me compter parmi ses joueurs. En définitif, jouer pour le Sénégal était une façon de me rapprocher de mes racines. Jusqu’à 17 ans, je ne connaissais pas le Sénégal. C’était difficile pour mon père de nous faire découvrir notre pays d’origine car il faut un sacré budget pour amener toute une famille. Je découvre un pays, mon pays que j’adore, ma famille paternelle. J’ai ainsi rencontré ma grand-mère pour la première fois. Depuis, j’ai un attachement sentimental très fort avec le Sénégal et il conduira mon choix de porter le maillot du Sénégal comme quelque chose de logique. Quatre mois plus tôt, j’avais demandé à Bruno le temps de réfléchir. Quand j’ai choisi l’équipe du Sénégal, j’avais aussi une présélection de la France. C’était un choix du cœur. Mais il ne faut pas mentir non plus et occulter le contexte, il y avait les qualifications pour la coupe du monde de 2002 ».

Souvenirs de première

« Ma première sélection est le fameux match contre l’Egypte au Caire (défaite 1 à 0, le 6 mai 2001). J’ai revu l’arbitre du match à Rfi et nous nous sommes souvenus des ballons jetés par les ramasseurs sur le terrain à chacune de nos occasions pour revenir au score. Donc on était loin d’être qualifié avant le match et ce fut le cas après le match. Représenter mon pays, c’est valorisant. Ce sont de très bons souvenirs car j’arrivais dans une famille que je connaissais déjà. Tous les week-ends, je jouais contre El Hadji (Diouf), Ferdinand (Coly), Henri (Camara) et les autres. J’étais marqué par mon bizutage. On m’avait dit qu’il fallait que je me lave mystiquement pour me purifier. Bah moi je l’avais fait tout nu devant les autres. Ce que personne n’avait fait auparavant. On en avait bien rigolé. On m’a posé la question de savoir si j’avais regretté de choisir le Sénégal car avec mon niveau par la suite, l’occasion allait se présenter. A aucun moment de ma vie, je n’ai regretté d’avoir choisi mon pays. Je me sens autant Sénégalais que Français. Je suis franco-sénégalais. C’était un choix simple, je n’ai pas voulu attendre pour aller en équipe de France ».

Les Yeux dans les Lions

« La veille du match contre la France, avec Lamine Diatta, Ferdinand Coly et El Hadji Diouf, nous étions dans une chambre jusqu’à 1 heure du matin. Bruno Metsu est arrivé et nous a dit : « Est-ce que vous savez que vous jouez demain contre l’équipe de France ? ». Nous lui avons répondu : « Oui ». « Il va falloir peut être aller se coucher », nous a-t-il conseillé. Bruno avait confiance en nous. Le lendemain, cette confiance transparaissait dans sa causerie d’avant match. Avec Jules Bocandé, Ablaye Sarr et les autres, nous avions un staff qui nous encadrait bien. Pour les Can, j’ai été marqué par l’aventure de vie commune que nous avions eue au Mali en 2002. C’est dommage d’avoir perdu la finale alors que je pense que nous étions plus forts que le Cameroun qui l’emporte grâce à son expérience. J’ai été aussi marqué par la déception de 2004 et 2008 ; en 2006, j’ai eu un carton rouge très tôt (deuxième match). En Tunisie, en 2004, nous perdons contre le pays organisateur. Et puis en 2008, c’est la désillusion au Ghana qui marque la fin de notre génération. J’ai décidé d’arrêter la sélection après les prestations au Ghana. Nous n’étions plus sur la même longueur d’onde. Nous avions perdu ce qui faisait notre force, nous ne tirons plus vers le même sens, nous avions perdu la force guerrière qui nous unissait ».

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Binationaux, source de problème

« Je pars du principe que c’est un choix du cœur. Aujourd’hui, personne ne peut me reprocher mon choix de l’équipe du Sénégal car si j’attendais j’allais forcément jouer avec la France. La sélection ne peut pas être un choix sportif, il est juste un choix du cœur. Ce n’est pas comme choisir un club pour une carrière. Nous étions une équipe et une famille en 2002. En revanche, par la suite, nous avions perdu cette unité qui faisait notre force. Le changement n’était pas lié aux binationaux. Quand certains ont eu un peu de notoriété, ils ont voulu être les stars de l’équipe. C’est là où nous avons été moins bons. Je ne vise personne en particulier. Nous étions dans des petits clubs et après la coupe du monde, nos carrières se sont envolées. Les égos finissaient par être là et certains sélectionneurs n’ont pas pu les gérer comme Bruno le faisait. Chacun a voulu faire la star de l’équipe et je me mets dans le lot. Même si on a marqué l’histoire du football sénégalais, je pense que sans cela nous pouvions remporter la Can en 2004, 2006 ou 2008 avec la génération de joueurs qui composait l’équipe nationale. Les binationaux n’ont jamais été un problème ».

Et aujourd’hui

« Je ne suis pas à l’intérieur d’une sélection. Je ne vois pas comment cela peut le devenir. Il est vrai qu’il peut y avoir un problème quand tout le monde sait que le choix n’a pas été celui du cœur mais juste sportif. Certains journaux m’ont reproché de ne pas être Sénégalais, de ne pas parler wolof et de ne pas naître au Sénégal. Heureusement qu’il n’y a pas eu beaucoup de gens qui le pensaient. Il peut y avoir aussi des réticences quand quelqu’un a fait toute sa carrière avec l’équipe de France des jeunes. A mon époque, les binationaux ne posaient pas de problème. Aujourd’hui, je ne peux pas me prononcer car je ne suis pas à l’intérieur d’une sélection. Avec notre parcours en coupe du monde, nous avions fédéré le continent africain, mais mieux nous avions réussi à ce que la France soit derrière l’équipe du Sénégal car il y avait des binationaux qui était nés en France. Je me rappelle de Français qui avaient des drapeaux du Sénégal. Par rapport aux difficultés d’aujourd’hui liées à l’intégration et aux débats sur la binationalité en France, c’est une sacrée performance et un bel exemple ».

Regard d’aujourd’hui

« Je suis content que Aliou Cissé, un « Lion » de 2002, soit à la tête de l’équipe nationale. Nous avons une très bonne équipe avec de jeunes joueurs très prometteurs comme Sadio Mané, Moussa Konaté mais aussi des joueurs confirmés comme Koulibaly qui est dans une grande équipe à Naples ; nous avons besoin de cette expérience. Tant que la fédération et les gens qui travaillent autour de la sélection voudront du bien à l’équipe, je pense que tout est possible. Nous sommes un pays de football et le Sénégal sortira toujours des talents. Oumar Niasse, un Sénégalais vient de signer à Everton pour 18 millions d’euros. A notre époque, nous étions bien encadrés par les autorités. Le président Wade nous appuyait mais aussi le président de la Fsf, Malick Sy Souris. J’espère qu’un jour, une génération va faire oublier celle de 2002. Je ne vis pas du passé, je souhaite le meilleur pour le Sénégal. Et avec les performances de l’équipe des moins de 20 ans à la coupe du monde où ils sont arrivés en demi-finale, cela prouve la qualité des footballeurs qui sont au pays ».

Ambassadeur de la « Sénégalité »

« J’ai amené mes enfants au Sénégal quand ils avaient 4 et 7 ans pour leur montrer que c’est leur pays. C’est beaucoup plus tôt que ce qu’avait fait mon père pour moi. Je fais la promotion de mon pays à travers mon métier à Canal ou à Rfi. Je pense être un ambassadeur du Sénégal. On peut toujours faire plus et mieux, mais j’essaie d’être l’ambassadeur du Sénégal. Je n’ai pas besoin de démontrer que je suis Sénégalais. J’ai un boubou du pays comme pyjama du soir. Ma fille de 10 ans est amoureuse du Yassa et mon fils à 7 ans ».

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Difficultés des joueurs africains à percer dans les médias français

« Etant né et éduqué en France, je n’ai pas la barrière de la langue comme cela peut être le cas pour certains joueurs africains qui arrivent en France après 20 ans. Il faut qu’on fasse le nécessaire pour montrer que les Africains sont aussi compétents. J’ai toujours eu du recul sur le foot même en tant que joueur. Et j’aime le foot que je regarde beaucoup. C’est ce qui fait, peut-être, que ça marche pour moi dans les médias aujourd’hui. Mais j’ai d’autres ambitions pour l’avenir : passer le diplôme d’entraîneur et de manager. J’espère revenir dans le foot à travers ces responsabilités. Après le match Arsenal – Barcelone en Champions league, j’ai discuté avec Arsène Wenger pendant une demi-heure. C’était très enrichissant. Et pareil avec Khalilou Fadiga qui travaille aussi dans les médias en Belgique et à Doha. L’adrénaline du foot manque après la carrière. Rfi est très important pour moi, c’est une radio qui a été formateur dans ce métier de consultant. C’est ce qui fait que même quand Canal voulait mon exclusivité, je n’ai pas accepté. Aujourd’hui, j’ai une reconnaissance au-delà du foot grâce aux médias.

Propos recueillis par Moussa Diop,
correspondant à Paris
Le Soleil
 

VISA D’ENTRÉE : DUALITÉ

Dans la cosmogonie wolof, la vie et la mort constituent une continuité. C’est comme Janus, le dieu romain des commencements et des fins, aux deux têtes regardant vers deux directions différentes interprétées souvent comme le passé et le futur. Des contraires qui se complètent. L’un a besoin de l’autre pour exister mais certains préfèrent parler de choix. Bi ou unique nationalité ? Sénégal ou France ? Ou les deux, à la fois ? Ce qui n’est pas possible en Allemagne où la double nationalité est soumise à des conditions drastiques.

Pour la majorité des Sénégalais en France, prendre la nationalité du pays de résidence est synonyme de moins de contraintes administratives. C’est souvent l’obligation de se lever à 2 heures du matin pour aller faire la queue sous les giboulées d’hiver ou les crachins discontinus du printemps naissant afin d’avoir un ticket nécessaire à l’étude de son dossier par la préfecture de résidence qui délivre les titres de séjour. Dans le sens inverse, Habib Bèye, l’ancien international sénégalais, n’a pas connu pareille galère en choisissant les « Lions » en 2001. Il a fait le « choix du cœur » bien influencé par Bruno Metsu, un spécialiste de l’amour du Sénégal, pays où il a choisi de se reposer à jamais. A d’autres, bien avant leurs naissances, leurs parents choisissent une alternative différente du Sénégal. Le choix de l’opportunisme est celui des élites sénégalaises qui envoient leurs femmes enceintes en Occident pour que leurs futurs enfants puissent disposer du droit du sol et avoir la double nationalité. C’est beau la civilisation de l’universel.

D’autres dualités se sont imposées à nous depuis quelques semaines. 7 ou 5 ans de mandat ? Reniement de la parole donnée ou fidélité à la loi ? L’interprétation peut évoluer à chaque attention faite aux arguments des camps opposés. Autre questionnement : « Oui » ou « Non », au référendum sur la révision constitutionnelle ? A travers les réformes dites Kéba Mbaye, les Sénégalais de l’extérieur ont la possibilité de voter depuis les élections présidentielles de 1993. Aux législatives, les voix de la diaspora ne comptaient « que » pour les listes nationales. La loi électorale sénégalaise est basée sur un scrutin au niveau départemental à un tour et une proportionnelle au niveau national. En clair, les Sénégalais de l’extérieur votait pour l’élection des députés sur les listes nationales puisque la diaspora n’est pas une circonscription. La révision constitutionnelle à laquelle est appelée les Sénégalais devrait permettre d’avoir, pour la première fois, des députés dédiés aux Sénégalais de l’extérieur. Mais est-ce l’arbre qui cache la forêt des autres points de la révision constitutionnelle ? Les partisans du « Non » le pensent. Ceux du « Oui » évoquent une avancée historique pour que les Sénégalais de l’extérieur puissent enfin disposer de représentants. Dans cette dualité du « Oui » et du « Non », des 7 ou 5 ans, de la bi ou unique nationalité, la sagesse ancestrale enseignée par la cosmogonie wolof sur la suite inlassable de la vie et de la mort, chacune complétant l’autre, peut faire office de lumière pour mieux y voir.

• Par Moussa DIOP

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