Passé par Caen et Angers, Pape Djibril Diaw s’apprêtait à faire ses débuts avec le club du Rukh Lviv, en Ukraine, au moment de l’attaque de la Russie. Le footballeur sénégalais de 27 ans a fui le pays en catastrophe. Il raconte.
L’aventure a tourné au cauchemar. Transféré en janvier dernier au Rukh Lviv, en première division ukrainienne, Pape Djibril Diaw n’a pas eu le temps de porter le maillot de sa nouvelle équipe. De retour d’un stage en Turquie avant la reprise du championnat, le défenseur sénégalais a vu surgir la guerre, le 24 février au matin, au moment où la Russie a attaqué l’Ukraine.
Le joueur de 27 ans, passé par Caen et Angers, raconte l’angoisse et sa fuite du pays dans les heures qui ont suivi.
« Une sirène m’a réveillé »
« Le hurlement d’une sirène m’a réveillé. On était en pleine préparation du match prévu lundi qui devait ouvrir la phase retour du championnat. Mais on s’est réveillé dans un pays en guerre. »
Alors que les rumeurs d’une attaque imminente prenaient de l’épaisseur depuis plusieurs jours, le défenseur central a immédiatement pris la direction du centre d’entraînement de son club pour connaître la situation.
« On nous a dit que les Russes avaient commencé leur attaque et que le championnat était suspendu pour au moins un mois. Les bombardements étaient encore assez loin de Lviv, mais avec certains coéquipiers étrangers on a pris la décision de ne pas traîner. »
Tout s’est alors accéléré. Le Sénégalais a rassemblé une partie de ses affaires dans la précipitation. « J’ai seulement roulé en boule quelques habits dans un sac. Sur le coup, on ne réfléchit pas trop. On est guidé par l’instinct de survie, on doit juste penser à se sauver. »
« Ma voiture nous a sauvés »
Pape Diaw a pris la route vers 14 heures avec deux coéquipiers : Lassana Faye, un Hollandais originaire du Sénégal, et l’Anglo-Nigérian Viv Solomon-Otabor. « Par chance, je suis venu en Ukraine avec ma voiture personnelle car je jouais en Lituanie avant de signer à Lviv. Ça nous a sauvés car on a pu partir rapidement. »
Les trois hommes ont alors commencé à parcourir les soixante-dix kilomètres qui les séparaient de la Pologne, le pays le plus proche. Le début d’un long calvaire. « Beaucoup de monde cherchait à mettre de l’essence, il y avait de grandes files d’attente. Heureusement il me restait encore du carburant. »
« On a croisé des chars de combat »
Ils ont mis près de trois heures pour s’approcher de la frontière. « C’était très long. On a commencé à croiser des chars de combat, l’ambiance est devenue pesante. On est restés coincés pendant des heures dans des embouteillages avant la frontière. Ils s’étendaient sur plusieurs kilomètres. Il a fallu être très patient. »
Une situation tendue rendue d’autant plus angoissante par la circulation de rumeurs sur d’éventuels quotas mis en place par la Pologne pour éviter un trop gros afflux d’arrivants. « Tout le monde était sur les nerfs, on avait peur de ne pas pouvoir passer la frontière. Mais bizarrement, ce n’est qu’une fois la douane passée vers minuit que j’ai réellement commencé à stresser et prendre conscience de ce qui est en train de se passer. »
Quinze heures de route pour arriver à Paris
Les trois joueurs, rejoints à la frontière par leur coéquipier français Ange-Freddy Plumai, ont finalement pu passer en Pologne. Ce n’est pas le cas des deux Brésiliens de leur effectif, restés coincés à la douane pendant plusieurs jours.
« On s’en est bien sortis. Je n’ai pas trop de nouvelles de tous les joueurs de l’équipe. Sur le coup, chacun était concentré sur ce qu’il avait à faire. Je sais par exemple que de nombreux Ukrainiens sont restés pour défendre leur pays. »
L’équipage a continué à rouler quatre nouvelles heures jusqu’à Cracovie. « Je suis resté dans un hôtel là-bas pendant 24 heures, puis j’ai repris la route seul en direction de la France. Je suis arrivé à Paris dimanche vers 4 heures du matin après quinze heures de route. »
Sur place, le Sénégalais a retrouvé sa femme et sa fille. « Ma famille était stressée. Je l’avais appelée durant ma fuite pour les rassurer. Mes parents au Sénégal étaient inquiets. Je suis désormais épuisé mais soulagé. »
Il ne sait pas de quoi son avenir sera fait, mais l’essentiel est pour le moment ailleurs. « Je pense aux victimes. Avant de signer en Ukraine, j’avais un peu entendu parler du conflit. Mais le club m’avait rassuré. Personne n’imaginait une telle guerre. »
Recueilli par Alexis CZAJA avec Ouest-France