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Des migrants Pakistanais renoncent à l’Europe après les naufrages en Méditerranée

Après avoir passé des semaines en Libye pour tenter d’entrer illégalement en Europe, Muhammad Naeem Butt a préféré retourner chez lui, au Pakistan, renonçant à un périple qui a déjà coûté la vie à des centaines de ses compatriotes cet été.

Occupé à remplir à la pelle un camion de sable, cet ouvrier de 39 ans raconte avoir mis un terme à sa périlleuse quête d’une vie meilleure à l’étranger quand un chalutier, vétuste et surchargé, a coulé en juin au large des côtes de la Grèce.

Jusqu’à 350 Pakistanais pourraient avoir fait partie des centaines de personnes qui ont perdu la vie dans ce naufrage, l’un des plus meurtriers en Méditerranée en une décennie. Parmi eux, 24 venaient de Khuiratta, la ville natale de Muhammad, située au Cachemire pakistanais.

« En y repensant, je réalise avoir pris un risque qui ne valait pas le coup », dit-il à l’AFP. « Ce sont la famille et les enfants qui comptent dans la vie, pas l’argent. »

Plusieurs autres hommes de Khuiratta ont aussi indiqué à l’AFP avoir rebroussé chemin après ce naufrage.

Au Pakistan, en proie à une grave crise économique depuis un an, les familles doivent amasser des montants faramineux pour payer les passeurs qui feront parvenir les jeunes gens en Europe, d’où ils enverront de l’argent à leurs proches.

Muhammad a obtenu l’aide d’amis et de parents, son épouse a vendu leurs bijoux de mariage pour aider à rassembler les 2,2 millions de roupies (6.900 euros) réclamés par les trafiquants.

Son voyage a commencé sur des vols commerciaux vers Dubaï puis l’Egypte. De là, il a gagné par route terrestre la Libye, où son calvaire a véritablement débuté.

Il a passé deux mois dans un camp fait de baraquements de fortune, en compagnie de quelque 600 autres migrants, attendant de savoir quand il pourrait traverser la Méditerranée.

Il s’est retrouvé sur un bateau de pêcheurs délabré, qui a dérivé dans les eaux internationales pendant huit jours avant, selon lui, qu’un navire de guerre libyen leur tire dessus puis percute l’embarcation.

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Le navire les a abandonnés quand une tempête s’est levée puis est revenu quelques jours plus tard pour les remorquer. Une fois à terre, les migrants ont été jetés en prison.

L’angoisse des familles
« Ils nous ont donné juste assez de nourriture pour nous garder en vie (…) Une assiette de macaronis ou de riz bouilli était partagée par cinq personnes », se remémore Muhammad. « Ces gens étaient brutaux. »

Pendant qu’il était en prison, la nouvelle du naufrage en Grèce est arrivée à Khuiratta, bouleversant la population.

« Je ne peux pas exprimer la douleur et l’angoisse que j’ai connues pendant une semaine », raconte à l’AFP son épouse, Mehwish Matloob, âgée de 31 ans.

« J’avais l’impression que mon univers entier s’était effondré sous mes pieds », se souvient-elle, en triturant un châle.

Finalement, Muhammad est libéré et réussit à contacter sa famille pour lui faire savoir qu’il est vivant.

Sa mère, Razia Latif, 76 ans, le jure: plus jamais sa famille ne prendra un tel risque.

« On pensait que les autres arrivaient en Europe, alors pourquoi ne pas l’envoyer? », remarque-t-elle. « On aurait préféré mendier si on avait su que c’était aussi difficile. »

La traversée de la Méditerranée est décrite comme la route migratoire la plus dangereuse au monde par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Cette année, au moins 1.728 migrants y ont déjà disparu, après 1.417 pour toute l’année 2022.

Mais les familles qui parviennent à faire passer leurs jeunes hommes en Europe peuvent ensuite prospérer financièrement avec l’argent qu’ils envoient.

La différence de revenus saute aux yeux entre les familles ayant des parents en Europe ou pas et crée de la jalousie, observe Zafar Iqbal Ghazi, membre du Forum des droits humains au Cachemire.

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Une pause temporaire
« Si quelqu’un a une maison à un étage, juste à côté vous en trouverez une à trois étages, puis des demeures plus grandes, et ainsi de suite », dit-il.

Et la promesse de richesses nouvelles à l’étranger attire même ceux qui sont plutôt bien lotis au regard des standards locaux.

Hamza Bhatti, 29 ans, gagnait 200.000 roupies (630 euros) par mois comme chauffeur en Arabie saoudite, une somme suffisante pour offrir une vie confortable à son épouse et leur fils de huit mois. Mais il a tout de même voulu tenter sa chance en Europe.

« Je pensais que la vie en Europe serait plus animée et excitante comparée à mon expérience en Arabie saoudite », justifie-t-il.

Lui aussi a été emprisonné après que son bateau eut été ramené au port par les autorités libyennes. Il était avec Muhammad quand la nouvelle du naufrage en Grèce a été connue.

« C’est ma cupidité qui m’a amené tout près de la mort », constate-t-il.

Selon M. Ghazi, plus de 175 jeunes hommes ont quitté Khuiratta l’an passé pour tenter de rejoindre l’Europe. Il pense que la récente pause ne sera que temporaire.

L’Agence fédérale pakistanaise d’investigation (FIA) a annoncé avoir arrêté 69 passeurs depuis l’accident en Grèce, mais il sera difficile d’obtenir des condamnations.

« Le problème tient au fait que la plupart de ces jeunes avaient des visas valides pour Dubaï, qu’ils utilisent comme point de départ pour atteindre la Libye », explique à l’AFP un responsable de la FIA, sous couvert d’anonymat.

« Ce n’est pas un phénomène nouveau et ça ne s’arrêtera pas avec la tragédie du bateau en Grèce », prédit-il.

Muhammad, lui, ne tentera plus jamais ce voyage, assure son épouse Mehwish. « Je suis contente de vivre dans la pauvreté aussi longtemps qu’il est avec moi ».

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