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Cinéma : Alice Diop, réalisatrice hybride

Repérée avec Vers la tendresse, la documentariste d’origine sénégalaise part de trajectoires individuelles, intimes, pour aborder des questions universelles.

Elle nous donne rendez-vous en plein cœur des cités nord de Marseille. Le quartier pauvre, souvent redouté et médiatisé pour ses faits de violence, ne fait pas vraiment frémir la réalisatrice Alice Diop, invitée au lancement du festival Massilia Afropéa, à la fin de juin. Avec ses hautes tours barrant l’horizon, le décor fait écho à celui de son enfance.

Fille cadette d’un ouvrier automobile et d’une femme de ménage venus du Sénégal, Alice Diop a grandi jusqu’à ses 10 ans à l’ombre des grands ensembles de la cité des 3 000, à Aulnay-sous-Bois, dans la banlieue nord-est de Paris. Et l’écueil consisterait justement à la réduire à cela : une cinéaste des banlieues… alors que toute sa filmographie (six documentaires réalisés depuis 2005) tente de déjouer les généralités. Et de montrer que derrière l’expression commune de « banlieusard » se profilent une multitude d’individus singuliers aux parcours uniques. Comme le sien.

« Conquérir sa légitimité » en tant que femme noire

Après son bac, elle entame des études d’histoire et tombe, presque malgré elle, dans le documentaire après avoir visionné Contes et décomptes de la cour. Ce travail de l’anthropologue Éliane de Latour sur les femmes d’un harem au Niger la convainc que l’on peut croiser traitement cinématographique et regard sociologique.

Au fur et à mesure de ses – longues – études (master en histoire à la Sorbonne, DESS en sociologie visuelle, atelier documentaire de la Fémis, qui forme des réalisateurs), elle change de milieu. Trouver sa place en tant que femme noire dans le cercle privilégié universitaire, « conquérir sa légitimité », n’a pas été chose facile. Mais elle en goûte aujourd’hui les avantages.

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« Passer de la banlieue aux beaux quartiers du centre de Paris me donne l’impression d’avoir une vision de la société à 360 degrés. Pour une documentariste, c’est une force », avoue-t-elle alors qu’elle s’apprête à se lancer dans une adaptation du livre de François Maspero Les Passagers du Roissy-Express.

L’ouvrage est le journal de bord d’une croisière au long cours sur la ligne B du RER, qui relie le nord et le sud de Paris… et qu’Alice Diop a empruntée toute sa vie. Une ligne « très contrastée socialement, faite de gens qui s’ignorent », observe-t-elle.

Installée aujourd’hui à Montreuil, une commune plus aisée de l’Est parisien, la réalisatrice n’a en fait presque jamais cessé de filmer la Seine-Saint-Denis (93). Un choix qu’elle ne lie à aucun déterminisme ou aucune revendication. « Cela s’est fait naturellement. Ma vie sociale, culturelle et politique se trouve là-bas. »

Mais ce cadre lui permet aussi de « renouveler les récits ». Quand elle pose sa caméra sur La Rose-des-Vents, un quartier du 93, pour La Tour du monde, son premier film, en 2005, ce n’est pas pour s’appesantir sur les trafics en tous genres. Elle fixe de petits instants de générosité, d’humanité, comme cette boulangère qui remplit, au comptoir, la déclaration d’impôts d’un vieux Sri-Lankais…

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Plus de dix ans plus tard, la critique l’acclame pour Vers la tendresse. Élu meilleur court-métrage aux César 2017, son documentaire parle du rapport à l’amour de quatre jeunes hommes issus de cités de banlieue. « Le film interroge avant tout la masculinité en dépassant la question des quartiers sensibles. La banlieue peut porter l’universel, affirme-t-elle. Des bourgeois blancs m’ont d’ailleurs confié s’être retrouvés dans les personnages du film. »

De l’intime au collectif

Alice Diop refuse les carcans identitaires, ou de se définir en allant piocher dans le jargon communautaire. Elle se dit « hybride », roule sa bosse du Nord au Sud, de Paris à Dakar, où elle se rend régulièrement, dans sa maison campée à Toubab Dialaw, sur la Petite Côte.

Les Sénégalaises et la Sénégauloise (2007), pour lequel la réalisatrice est allée filmer durant un mois le quotidien de trois femmes de sa famille au pays de la Teranga, est autant un travail sur l’autre que sur elle-même. « On m’a interdit de parler wolof enfant, une aberration pédagogique qui a largement compliqué mes rapports au Sénégal, avoue-t-elle. Je suis le fruit d’une culture dont j’ai été amputée. »

En parlant d’individus pour questionner le collectif, d’intime pour tendre vers l’universel, Alice Diop ne cesse de chercher un « je », qui soit aussi « la possibilité d’un nous ».

 

Jeune Afrique

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