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Ces enfants d’immigrés qui retournent sur les terres de leurs parents

Née en France de parents étrangers, la deuxième génération a souvent un pied dans chaque continent. Après avoir grandi en Ile-de-France, plus des deux tiers de ces jeunes seraient prêts à s’installer dans le pays d’origine de leur famille.

Ils font l’exact chemin inverse de leurs parents. Nés en France de parents originaires d’Afrique, de nombreux jeunes Franciliens décident de tout quitter pour s’installer dans le pays d’origine de leurs familles. Ce sont les « repats », comme « repatriés », un néologisme utilisé par opposition aux « expats ».

Un phénomène inquantifiable : « La migration de retour est peu étudiée, alors qu’elle concerne parfois des effectifs de population importants, souvent d’âge actif, et pas seulement des retraités », constate le Centre population et développement (Ceped). Cet institut de recherche, à l’université de Paris-Descartes, n’est pas le seul à le déplorer.

« Les enfants d’origine subsaharienne en France font l’objet d’un nombre limité d’études et les données statistiques sont particulièrement rares », confirme le Centre d’information et d’études sur les migrations internationales (Ciemi).

« Même si certains liens avec l’administration (notamment fiscale) peuvent exister et conduire à ce que l’information soit donnée, cela ne représente qu’une partie infime des informations sur les départs », indique de son côté l’Insee. Sans être exhaustive, l’analyse des parcours des Français de l’étranger, qui font la démarche (facultative) de s’enregistrer auprès du consulat à leur arrivée dans le pays d’accueil pourrait indiquer une tendance. Mais le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères « ne dispose pas de statistiques sur ces personnes », indique une source diplomatique.

Des réseaux d’entraide pour franchir le pas
S’il est impossible d’obtenir des chiffres officiels illustrant cet engouement, il est pourtant bien réel : près de 40 % des membres de la diaspora sont prêts à rejoindre le pays d’origine immédiatement, et même 71 % dans un délai de dix ans, selon un sondage Innogence Consulting pour Intelcia, réalisé auprès de 800 personnes en décembre 2019. Parmi eux, les membres de la diaspora d’Afrique subsaharienne sont plus nombreux (58 %) que ceux originaires du Maghreb (42 %).

Les jeunes sont les plus enclins à vouloir s’installer ou se réinstaller en Afrique immédiatement : 45 % des 24-27 ans. Et souvent avec succès puisque selon un autre sondage, soutenu par l’association AfricaFrance et mené par Avako Group en 2017, 93 % des repats interrogés sont satisfaits.

Au point que les enfants de la diaspora, communément appelés deuxième génération, s’organisent en réseau pour atteindre leur eldorado, le rêve africain. Au Cameroun, au Sénégal ou ailleurs, des associations d’entraide naissent pour accompagner ceux qui souhaitent franchir le pas.

Comme un pont entre l’Ile-deFrance et le Mali, l’Union des ambassadeurs, qui organise ses rencontres annuelles à partir d’aujourd’hui et jusqu’au 18 décembre, est un « réseau d’entrepreneurs et professionnels franco-maliens ayant fait le choix de venir s’installer et vivre au Mali et qui s’unissent pour faciliter au mieux cette nouvelle aventure », résume Diadié Soumaré, président de l’association regroupant une cinquantaine de membres, dont une trentaine au Mali.

« En région parisienne, il y a un vivier de compétences qui peuvent apparaître banales en France mais qui sont recherchées en Afrique, précise-il.

On pense souvent à tort que ceux qui partent ne sont pas bien ancrés mais c’est plutôt le contraire : ils ont une bonne place et peuvent en gagner une très bonne. » La preuve, les repats interrogés pour AfricaFrance « connaissent une évolution salariale de 45 % en moyenne une fois qu’ils ont trouvé un emploi ».

Diadié a fait le grand saut il y a dix ans, à 25 ans. Mais avant cela, cet enfant de Villiers-leBel (Val-d’Oise) avait déjà un pied dans chacun de ses deux pays. « Mon papa travaillait chez Servair, à l’aéroport de Roissy, ce qui me permettait de payer les billets d’avion seulement 10 % de leur prix, se souvient-il. J’allais donc au Mali plutôt régulièrement. » Jusqu’à ce qu’il tombe sur le bon filon, un peu par hasard.

« Lors d’un de mes séjours, j’avais un iPhone 4 que je voulais revendre et je me suis rendu compte qu’au Mali, on m’en proposait 50 % plus cher qu’en France. » Au voyage suivant, il en ramène deux ou trois exemplaires. Puis quatre ou cinq la fois d’après. « Quand je n’avais pas cours le vendredi après-midi, je prenais un billet pour le week-end et je ramenais des téléphones », raconte-t-il.

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Mais lorsque son père prend sa retraite, en 2011, c’en est fini des billets d’avion à des prix défiant toute concurrence… Puisqu’il faut renoncer aux multiples voyages, Diadié fait le choix d’un aller sans retour. « J’ai pu constater qu’il y avait une réelle demande, j’ai donc contacté Apple pour devenir le premier distributeur agréé à Bamako », explique-t-il comme une évidence.

Une manière, aussi, de satisfaire son souci d’équité et de proposer les produits à la pomme à des tarifs semblables à ceux qu’on trouve en France. Si sa mère lui a donné sa tontine système d’épargne collective dont chacun des membres bénéficie à tour de rôle) pour l’aider à se lancer, son père est plus perplexe. « Mon papa disait que s’ils étaient partis, ce n’était pas pour rien !

A ce moment-là, j’étais commercial grands comptes chez American Express, contextualise le jeune homme. Il ne comprenait pas que je quitte un bon boulot en CDI. C’est tout juste s’il ne me soupçonnait pas de vouloir aller me la couler douce au soleil… » Une boutique à Bamako plus tard, puis une deuxième à Dakar (Sénégal), et les craintes se sont envolées. « Avec le temps, mon père est super fier », sourit celui qui emploie maintenant une vingtaine de salariés.

Un mot-clé : s’adapter
Depuis, il savoure son nouveau mode de vie. « En France, tout est speed tout le temps, explique-t-il. On consomme sans arrêt, on sort au ciné, au resto… Alors qu’ici, le temps est plus lent, on se recentre sur les moments en famille. » Ce qui ne l’empêche pas de succomber à la frénésie des achats lors de ses retours à Villiers-le-Bel, deux fois par an, mais « rarement plus de 10 jours ».

Dans ses deux pays, il sait tirer parti de sa double culture. « Je m’adapte et ça me sert plus que ça ne me dessert », résume Diadié, heureux de contribuer à l’économie du Mali. Comme 63 % des repats qui sont « rentrés parce qu’ils voulaient avoir un impact sur le continent », précise AfricaFrance.

Mais attention, la transition n’est pas évidente. « C’est une chose de venir en vacances, s’installer en est une autre », insiste Halimatou Nimaga, consultante de la Banque mondiale, repat depuis 2017 et trésorière de l’Union des ambassadeurs. « On doit casser cette illusion que beaucoup de futurs repats ont du Mali, renchérit Koudiedji Sylla, journaliste et membre de l’association.

On ne dresse que des portraits de gens qui ont fait fortune, ce qui donne une image erronée. » D’où l’idée de « fédérer nos forces et préparer à la réalité du terrain pour limiter le nombre de projets
qui s’arrêtent », reprend Halimatou Nimaga.

« Les difficultés sont liées au choc culturel »
Et les obstacles sont nombreux. Pour les déminer, l’association tient une permanence mensuelle, en ligne par temps de Covid. Ceux qui sont passés par là partagent leur expérience et préparent les esprits pour que les nouveaux ne tombent pas dans les mêmes écueils.

« Les difficultés sont quasiment toutes liées au choc culturel, même si on pense avoir certains codes, confirme Yasmine Cissé, 27 ans, métisse de parents maliens et slovaques, qui a quitté Paris pour créer son agence de communication à Bamako il y a sept ans.

On peut être dérouté par des situations, par exemple certaines blagues sur les noms de famille qu’on peut trouver très déplacées dans un milieu professionnel quand on a grandi en France. Mais on peut aussi tourner le jeu à notre avantage. » Dans la vie quotidienne, il n’est pas toujours simple de se faire à la poussière, aux coupures de réseaux de télécommunication ou d’électricité…

« On finit par s’habituer.
Quand on peut trouver un endroit avec un groupe électrogène, c’est super ! rassure Yasmine Cissé. On trouve au marché des lampes sur batterie, on prend le pli. Mais c’est vrai qu’il fait très très chaud, la saison des pluies est dense… »
Les déplacements, aussi, sont différents. « A Paris, beaucoup ont l’habitude de marcher alors qu’ici, c’est très peu adapté pour les piétons. Il faut apprendre la vie véhiculée. En France, le client est roi. Ici, les taximen ne sont pas des Uber, il faut prévoir l’appoint pour les régler, sans quoi ils peuvent se fâcher. Mais on apprend vite qu’il suffit de les prévenir et on s’arrête en chemin pour faire la monnaie. »

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« Le confort européen manque peu » à Aminata, 38 ans, qui a quitté Cergy (Vald’Oise) il y a un peu plus d’un an. Après des années dans un cabinet d’études marketing et un licenciement économique, elle se lance dans un projet agricole. «

J’avais remarqué que beaucoup de récoltes se périment sur le bord des routes », explique-t-elle. Quand son père est rentré au pays, elle a décidé de le suivre avec ses frères et sœurs pour exploiter ensemble 3 ha. « En parallèle, je travaille sur des recettes avec du jus de bissap, de mangue… Les produits agricoles périssent vite avec le soleil et la population se limite à la consommation brute. Moi, je les transforme pour pouvoir les conserver. »

Elle ne s’attendait pas à ce que ce soit simple, elle n’est pas déçue mais elle tient le cap. « C’est difficile d’avoir des contacts et partenaires de confiance, de trouver du personnel qualifié contrairement à ce qu’ils disent en se présentant. Par exemple, quand on a eu une invasion d’insectes, un employé a mis un produit chimique alors qu’on voulait une culture plus respectueuse de l’environnement. Pour nous, les conséquences peuvent être très graves, il a brûlé l’exploitation. Eux ne s’en rendent pas compte. Mais, je sais, ils ont d’autres problèmes… »

Les moments de doute font partie de l’aventure
Qu’on ne s’y méprenne pas, elle ne regrette rien. « Les moments de doute font partie de l’aventure. Il y a plein d’autres choses positives aussi ! », s’enthousiasme Aminata. En un an, elle a « été recrutée par une entreprise malienne pour faire la promotion de la mangue à Berlin », où elle a rencontré un agriculteur qui l’a formée dans le Jura. « J’apprends aussi beaucoup sur moi, je deviens patiente, confie-t-elle. Et partager mon expérience avec mon père, le soutien de mes frères et sœurs, ou découvrir le pays autrement, c’est quand même quelque chose ! »

Pour d’autres, c’est avec les proches que c’est plus compliqué que prévu. « La mentalité malienne est assez différente de la mienne : on ne se comprend pas, constate un jeune dirigeant. J’ai l’impression qu’ils me voient comme un portefeuille sur pattes, de devoir me battre pour payer le prix normal ou qu’on me rende la monnaie. La famille d’ici réclame sans cesse de l’argent, encore plus que lorsque j’étais en France. Dans mon business plan, je disais que ma famille était ma force mais c’est en fait ma faiblesse. »

Et les enfants de ces repatriés ? Comme eux, ils sont souvent déjà habitués à basculer d’un continent à l’autre, presque comme s’ils voyageaient au sein d’un même pays.

Des aides pour investir
Pour ceux qui souhaitent « faire bouger les lignes » et contribuer à l’essor du pays, « apporter leur pierre autrement qu’en envoyant de l’argent tous les mois au pays sans forcément s’y installer » comme beaucoup d’autres jeunes issus de la diaspora, l’Union des ambassadeurs propose aussi un réseau d’entraide pour investir au Mali malgré « la situation sociopolitico-sécuritaire et sanitaire très instable ».

Preuve que la démarche répond à un besoin certain, l’agence française de coopération technique internationale baptisée Expertise France lance de son côté Meet Africa, un programme d’appui pour les entrepreneurs de la diaspora africaine, financé par l’Union européenne et l’Agence française du développement.

« La France abrite 50 % des diasporas africaines d’Europe.
Elles regroupent des profils divers, capables de mobiliser des moyens financiers, des compétences ou encore des idées à forte valeur ajoutée pour leur pays d’origine », expose l’agence qui souhaite ainsi « répondre aussi à la demande des enfants de la diaspora, qui souhaitent contribuer au développement de leur pays d’origine, s’en rapprocher, et valoriser leur double culture à travers une activité économique. »

Avec Meet Africa, l’Union européenne et l’Agence française de développement s’engagent pour 8 M€ sur trois ans pour proposer un accompagnement technique et soutenir toutes les personnes désireuses de créer une entreprise en Europe ou en Afrique, issues des diasporas marocaine, tunisienne, malienne, sénégalaise, camerounaise ou ivoirienne.

AURÉLIE FOULON avec Le Parisien

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