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Les mille et une coiffures des Africaines

Les mille et une coiffures des Africaines

De nombreuses femmes aux cheveux crépus changent de coupe comme de chemise. Une pratique ruineuse pour elles, mais qui fait le bonheur des commerçants spécialisés.

«Psst, viens voir, t’as besoin d’une coiffure?Je t’en fais un bon prix!», souffle un homme à la sortie de la station du métro Château d’Eau, dans le Xe arrondissement de Paris. Comme lui, ils sont des dizaines à tenter d’attirer les femmes vers les salons de coiffure afro alentours.

Le boulevard de Strasbourg est le haut lieu de la mise en plis du cheveu crépu dans la capitale française. Toutes les sortes de perruques, mèches et tresses s’étalent en vitrine sur des bustes en plastique. Il y en a pour tous les styles, du plus lisse au plus bouclé, du noir de jais au rouge flamboyant.

Les rabatteurs savent qu’en ce samedi après-midi, les femmes profitent de leur temps libre pour aller se refaire une beauté. Dans les salons, elles viennent se faire tisser, défriser, ou tresser. Ces pratiques consistant à changer l’aspect crépu d’origine des cheveux sont très répandues chez les femmes noires.

Willie Morrow, africain-américain, précurseur de la question du rapport des noires à leurs cheveux et auteur en 1973 de 400 years without a comb (400 ans sans se peigner), estimait ainsi à 98% les femmes noires américaines n’ayant jamais porté leurs cheveux au naturel.

Or ces opérations capillaires ne sont pas gratuites —loin s’en faut. Et les stars sont les premières à dépenser des sommes astronomiques pour leur tignasse. Ursula Stephen, styliste des stars, affirmait au Mail Online que Rihanna, la chanteuse originaire des Barbades, dépensait 16.000 euros par semaine pour faire entretenir ses cheveux par une coiffeuse particulière.

En 2009, le documentaire Good Hair de l’acteur-réalisateur américain Chris Rock, montrait des femmes prêtes à s’endetter pour se faire poser des extensions. Pour certains, ces pratiques sont le reflet d’un complexe chez la femme aux cheveux crépus. Pour d’autres, elles sont simplement l’expression d’une coquetterie excessive.

Changer de tête tous les mois

Chez de nombreuses femmes, le défrisage est une pratique qui remonte à l’enfance. Combien ont eu, les veilles d’école, la tête penchée au-dessus de la baignoire pendant que maman appliquait le défrisant? Une fois ados, la plupart continuent le rituel à domicile, entres copines. Le kit n’est pas cher, il coûte 10 euros en moyenne.

Mais l’opération est à répéter tous les trois mois, et le cheveu, une fois défrisé, est desseché, et demande l’application de nombreux soins nutritifs, comme des huiles ou du beurre de karité. Car le défrisage le plus utilisé —avec ou sans soude— est très corrosif et abîme la fibre capillaire. Les dépenses ne s’arrêtent donc pas même une fois le cheveu raidi.

Pour celles qui choisissent de le faire en salon, l’opération peut coûter jusqu’à 80 euros. Alors, dans le quartier de Château d’Eau, les commerçants profitent de l’engouement pour ces pratiques.

Celui de Tacko est bondé en ce samedi après-midi. Cette grande malienne en débardeur blanc a ouvert Taco Afro Coiffure sur le boulevard de Strasbourg à son arrivée à Paris. «Ça marche très bien», affirme-t-elle. D’ailleurs, les femmes ne viennent pas que pour s’y faire coiffer. C’est l’occasion de se retrouver entre amies dans un cadre chaleureux, comme au pays.

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Taco porte elle-même un lace wig (une perruque tissée) qui lui fait une cascade de cheveux noirs. Trois jours plus tard, elle aura changé de tête avec une nouvelle perruque frisée.

Le lace wig, c’est la nec plus ultra de la perruque. Il coûte 150 euros minimum, alors qu’on trouve des postiches classiques pour 20 euros. Il est fait en cheveux naturels, souvent indiens, et fixé avec de la colle. Censé être indétectable, c’est pourtant lui qui a attiré sur la chanteuse américaine Beyoncé toutes les moqueries de la presse people, lorsqu’elle a été photographiée avec un lace wig mal collé.

Pour les porte-monnaies plus modestes —ou bien celles qui trouvent que la perruque gratte—, les coiffeurs proposent une autre solution: le tissage. La technique ressemble à celle des extensions, sauf que les mèches s’attachent non au moyen d’une colle et d’un fer chauffant, mais en les tissant avec une aiguille sur des nattes.

«Cela coûte entre 25 et 30 euros. Il faut le changer tous les un à deux mois. Mais certaines le gardent plus longtemps, faute d’argent», explique Taco.

Lorsque toutes les mèches doivent être changées, le prix de la pose monte à plus de 50 euros. Les cheveux sont naturels ou synthétiques, au choix. La marque Darling, que l’on retrouve dans tous les salons de Château d’Eau, fabrique ses mèches au Sénégal à partir de cheveux synthétiques importés du Japon.

Outre le postiche ou le tissage, la grande mode du moment c’est le lissage brésilien à la kératine. Il est plus cher. Comptez 40 euros en moyenne pour le kit à domicile et jusqu’à 400 euros dans les salons les plus luxueux. En revanche, il abîme moins les cheveux que le défrisage alcalin et dure plus longtemps, environ six mois.

 Devant toutes ces possibilités offertes aux cheveux crépus, pas étonnant que la femme noire dépense plus d’argent pour entretenir sa crinière —jusqu’à neuf fois plus, selon l’agence française d’ethnomarketing AK-A.

«La femme noire est coquette. Nous avons des cheveux qui nous permettent de changer de tête autant qu’on veut», explique Ornella, une cliente. Elle est venue chez Taco avec sa mère et sa cousine pour retoucher sa coloration. Elle porte les cheveux coupés ras, mais il y a un mois, elle les avait longs.

«Je suis un peu inquiète, mon compagnon ne m’a pas encore vue. Mais je sais que tous les hommes préfèrent les cheveux longs, que l’on soit noire ou blanche».

Grandir sans modèle

Pour la sociologue martiniquaise Juliette Sméralda, l’origine de ces pratiques est davantage à chercher du côté des complexes que de la coquetterie. Elle est l’auteure d’un livre qui a beaucoup fait parler de lui lors de sa sortie en 2005, Peau noire, cheveux crépus: l’histoire d’une aliénation. Selon elle, les femmes font tout pour changer leurs cheveux parce qu’elles grandissent dans un environnement qui les persuade qu’ils seraient plus beaux autrement.

«La plupart des petites filles noires n’ont pas joué avec des poupées ayant les mêmes cheveux qu’elles, par conséquent elles n’ont pas appris à traiter avec douceur leurs cheveux, ni à les accepter».

La première Barbie noire, Chrissy, est d’ailleurs apparue en 1980 —21 ans après la création de la poupée culte. Si elle avait bien les cheveux crépus, ses cadettes comme les Bratz ont en majorité été conçues avec les cheveux lisses. Comme le montre la photo ci-dessous, les poupées d’aujourd’hui sont friandes de défrisant…

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Esclavage, colonisation, ségrégation, apartheid… Pour la sociologue, la femme noire est aliénée par l’idée selon laquelle son corps serait «la cause de son échec social». Le défrisage serait le symptôme inconscient d’un complexe hérité de ces décennies d’oppression.

«Les coiffeurs afros sont des pompiers pyromanes»

Même son de cloche chez Samantha, 31 ans, les cheveux crépus relevés par un bandana bleu ciel. Cette parisienne a décidé de lutter contre le défrisage en créant l’association Nappy Party. «Nappy» est le terme utilisé pour désigner celles qui choisissent de garder leurs cheveux au naturel. Elles sont minoritaires, mais de plus en plus nombreuses.

«Jusqu’à mes 18 ans, je me prenais la tête pour savoir quelle coupe adopter selon qu’il y avait gym ou non à l’école le lendemain. J’avais trop peur qu’enlever mes habits me décoiffe.»

Pour elle, les coiffeurs afros sont des «pompiers pyromanes». Ils appliquent des soins qui brûlent le cheveu et en proposent d’autres après, pour le réparer. C’est un cercle vicieux pour la femme noire. Une fois qu’elle a perdu tous ses cheveux à cause du défrisage, elle vient demander un lace wig ou bien des soins nourrissants, le fonds de commerce de la marque Capirelax, par exemple:

«Les commerçants trompent facilement les clientes parce qu’elles ne sont pas informées. Et les filles qui sont très bien dans leur peau résistent à toute cette industrie», ajoute Juliette Sméralda.

Pourtant, cette industrie-là n’est pas près de s’arrêter. Au contraire; depuis quelques années, les grandes marques développent des filiales «ethniques», comme Softsheen-Carson, qui appartient à la marque française L’Oréal. Et là encore, les marques sont habiles. Tout leur marketing repose sur l’idée que les cheveux crépus ont besoin de plus de soin que les autres, donc de plus de dépenses —faux. Ils demandent simplement des produits différents et surtout pas alcalins comme les produits pour cheveux non crépus.

Bien que de nombreuses civilisations africaines ont donné une importance capitale aux cheveux (chez les femmes himba de Namibie par exemple, ils indiquent les différentes période de la vie), les femmes noires devraient dépenser tout de même moins pour leurs cheveux «le jour où elles (les) accepteront comme ils sont», avance Juliette Sméralda.

Mais dans tous les cas, ce ne sont certainement pas les commerçants qui vont les y pousser.

 

Source : Slate

 

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