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Migrants à Bordeaux : une vie dans les squats “à la recherche continuelle du lendemain”

Migrants à Bordeaux : une vie dans les squats “à la recherche continuelle du lendemain”

Afin de faire face à la pénurie importante de logements dans la métropole bordelaise, de plus en plus de squats sont ouverts pour les sans-papiers et les déboutés du droit d’asile, mais aussi pour les demandeurs d’asile et les réfugiés statutaires présents légalement sur le territoire français. Forte de son expérience du démantèlement de la « jungle » de Calais, la préfète récemment nommée à Bordeaux a déjà évacué plus de 70 squats.

Comme tous les enfants de son âge, la petite Samar, huit ans, attend avec impatience les activités extrascolaires du mercredi. “Aujourd’hui on a fait de la peinture, on a même eu le droit de dessiner sur le mur du foyer !”, s’exclame-t-elle dans un français parfait, avant d’être interrompue par l’un de ses camarades de chamailleries. “Il m’énerve souvent, mais ce qui est bien ici c’est qu’on a le droit de ne pas être d’accord entre nous”, commente Samar en pointant du doigt le petit garçon qui lui répond par une grimace et un éclat de rire. “Il y a du respect et surtout il n’y a pas la guerre comme dans mon pays.”

Originaire du Soudan, Samar vit en France depuis plus de trois ans avec ses quatre frères et soeurs ainsi que ses parents. D’abord hébergée dans le nord du pays, près d’Arras, la famille a ensuite décidé de tout quitter, le père de famille ne parvenant pas à trouver un emploi. “On nous a dit qu’il y avait du travail à Bordeaux. Alors on est partis. En une semaine il a décroché un job de mécanicien ici. Les premières nuits, on a dormi dans la voiture qu’on avait acheté. Puis rapidement on a planté une tente au campement de Bordeaux-Lac. On a dormi dans dans la boue et sans sanitaires pendant deux mois”, raconte Ikhlass, la mère de famille.

Samar et les autres enfants du squat de la « Zone Libre » près de Bordeaux participent à un atelier de peinture animé par une bénévole. Crédit : Anne-Diandra LOUARN / InfoMigrants

Pendant plusieurs semaines, des dizaines de migrants, demandeurs d’asile ou encore réfugiés statutaires – comme la famille d’Ikhlass – avaient élu domicile, faute de places d’hébergement suffisantes, dans un espace vert près de la plage de Bordeaux-Lac, dans le nord de la métropole. Après son évacuation par les autorités le 18 novembre, la plupart des occupants se sont naturellement tournés vers le squat dit de la “Zone Libre” à Cenon, en banlieue-est bordelaise.

Cette ancienne résidence pour personnes âgées s’est transformée en squat depuis le 9 novembre, avec le soutien de plusieurs associations telles que Médecins du Monde, RESF, Bienvenue ou encore le Collectif Migrants Bordeaux. Actuellement, 271 personnes y vivent, dont 158 adultes et 113 enfants, indique Bernie, une bénévole de l’association Bienvenue qui encadre la gestion du squat.

Chaque famille dispose d’un logement individuel de même taille. Il en existe 81 sur le site, tous occupés. Pour les hommes ou les femmes seuls, c’est colocation imposée. “Nous sommes sept dans une seule pièce. Mes trois enfants, les plus jeunes, doivent dormir par terre car nous n’avons pas de lits pour tout le monde”, décrit Ikhlass. “Nous n’avons pas non plus de réfrigérateur, donc ce n’est pas évident pour les repas. Les conditions de vie sont loin d’être idéales mais on a un toit sur la tête et les gens des associations nous aident beaucoup”, poursuit-elle.

Montée en puissance des associations d’aide aux migrants

La “Zone Libre” est l’un des derniers squats en date dans la métropole bordelaise. Ces derniers mois, ces lieux de vie s’ouvrent aussi vite qu’ils sont évacués, faisant de Bordeaux et ses alentours l’une des régions qui compte le plus de squats et de bidonvilles en France. La Gironde est d’ailleurs le 4e département le plus concerné par ce phénomène après la Seine Saint-Denis, la Loire-Atlantique et les Bouches-du-Rhône.

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“Depuis l’expulsion très médiatisée en février 2017 du squat de l’Alouette à Pessac, on voit de plus en plus de collectifs d’aide aux migrants qui se montent et qui grandissent. C’est un véritable mouvement qui s’est créé”, explique Bernie de l’association Bienvenue qui ajoute que les réseaux d’hébergement solidaires sont particulièrement actifs en Gironde. La quasi-totalité des évacués de l’Alouette ont d’ailleurs été relogés par ce biais. “C’est aussi la première fois qu’on a commencé à toucher et sensibiliser des syndicats hospitaliers (le bâtiment occupé était la propriété du CHU de Bordeaux, NDLR) et des politiques”.

Mohammed, le petit frère de Samar, joue avec son vélo dans les allées du squat de la « Zone Libre » à Cenon en banlieue de Bordeaux. Crédit : Anne-Diandra Louarn / InfoMigrants

“Les squats pullulent car il y a un vrai défaut de prise en charge”, lance Aude Saldana-Cazenave, coordinatrice régionale Aquitaine pour Médecins du Monde. L’antenne bordelaise de l’ONG a donné, entre janvier et novembre, quelque 7 400 consultations à un public constitué à 98% de migrants. “Ils entrent chez nous par la porte des soins, mais notre rôle va bien au delà. D’ailleurs les consultations pour des motifs sociaux ou administratifs sont en forte augmentation car on sent que les gens sont de plus en plus précarisés”, ajoute-t-elle précisant que 80% de leurs patients présentent des troubles de la santé mentale, dus aux conflits dans leur pays d’origine, aux violences qu’ils ont subies sur la route de l’exil mais aussi à leur quotidien dans la misère en France.

“On voit bien que le mal-logement rend malade en provoquant par exemple des problèmes ostéo-articulaires à force de dormir par terre ou dans une voiture. Mais il empêche aussi de se soigner car les personnes qui se trouvent dans une logique de survie ne prennent pas de temps pour leur bien-être”, affirme Aude Saldana-Cazenave. “La recherche continuelle du lendemain et les violences administratives dégradent fortement la santé [des migrants]”.

“Cette situation est de plus en plus insupportable”, reprend Bernie. “D’autant plus que la métropole bordelaise compte pas moins de 22 500 logements inoccupés”, souffle-t-elle, s’appuyant sur des chiffres de l’INSEE pour l’année 2018. Dans ce contexte, l’ouverture de squats veut répondre à “une défaillance de l’État”, soulignent les associations de la “Zone Libre”

Plus de 70 squats évacués en 6 mois

Mais en face, les autorités ne voient pas les squats comme une solution acceptable et comptent bien le faire savoir. Ainsi, les évacuations se multiplient ces derniers mois, afin, assure la préfecture, de “résorber des campements illicites qui ne permettent pas d’assurer des conditions de vie dignes pour ces occupants et qui causent également des troubles divers pour le voisinage.”

En somme, c’est toute une politique qui a été déployée, à commencer par la nomination d’une nouvelle préfète à la mi-avril. Déjà connue pour avoir fait démanteler la fameuse “jungle » de Calais en 2016, Fabienne Buccio compte bien reproduire le modèle calaisien dans la métropole bordelaise. Sur les 160 squats recensés en Gironde, dont 73 font l’objet d’une procédure judiciaire à la demande du propriétaire, plus de 70 ont déjà été évacués depuis l’arrivée de Fabienne Buccio. La préfecture souligne qu’elle “agit sur le fondement d’une décision de justice” et qu’un “recensement suivi d’un diagnostic social sont réalisés avant chaque évacuation”. Elle assure également qu’une “solution [d’hébergement] est proposée à chaque individu” au moment de l’évacuation, à condition d’en avoir le droit.

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La région Nouvelle-Aquitaine dispose actuellement de 8 513 places d’hébergement pour demandeurs d’asile, soit une augmentation de 180% en trois ans, indique la préfecture, jointe par InfoMigrants. À l’échelle de la Gironde, ce sont 2 392 places qui sont disponibles pour les demandeurs d’asile, soit une augmentation de 120% en trois ans. “Il s’agit d’un effort sans précédent de l’État en la matière”, selon la préfecture. Pour autant, aucune solution n’est apportée aux déboutés du droit d’asile ou encore aux sans-papiers, regrettent les associations qui dénoncent un manquement grave au principe d’accueil inconditionnel. Interrogée par InfoMigrants, la préfecture reste muette à ce sujet et se contente de mentionner “une progression des reconduites à la frontière” sans en préciser le nombre.

Ce demandeur d’asile sans-abri passe une partie de ses journées à jouer sur ce piano en libre service à la gare de Bordeaux Saint-Jean afin, dit-il, « de se réchauffer les mains ». Crédit : Anne-Diandra Louarn / InfoMigrants

Malgré un climat tendu, la région continue d’attirer, d’abord pour sa réputation d’être un véritable bassin d’emplois, comme l’a évoqué Ikhlass, la mère de famille soudanaise hébergée au squat de la “Zone Libre”. Bordeaux donne également l’image d’une “ville accueillante et ouverte d’esprit”, souligne Momo, un Ivoirien co-fondateur du Collectif Migrants Bordeaux. “Tous ceux qui viennent d’Espagne passent par Bayonne mais ne s’y arrêtent pas. Il y a des caméras partout dans la ville, l’ambiance n’est pas la même. En poursuivant leur route, ils tombent sur Bordeaux. C’est facile d’avoir un coup de coeur ici !” Arrivé par avion à Paris, Momo s’est rendu à Bordeaux par hasard, “en attrapant le premier train” afin de “fuir” la capitale bien trop “saturée d’un point de vue administratif et social” pour les migrants. “J’adore Bordeaux, j’imagine bien plus facilement ma vie ici qu’à Paris. J’ai l’impression qu’on peut devenir quelqu’un.”

En quelques semaines, Momo a rallié des milliers de personnes à son collectif via sa page Facebook. Sa mission : aider, orienter et accompagner les nouveaux arrivants. “J’ai l’habitude, déjà dans mon pays j’étais dans l’humanitaire. Mais en gérant cette activité ici au quotidien, je me rends compte qu’il y a bien trop de demandes et pas assez de logements. Alors les gens n’ont pas le choix, c’est la rue ou les squats. Le 115 c’est comme un hôtel cinq étoiles, on ne peut jamais y aller, c’est tout le temps saturé”, explique-t-il tandis que son téléphone sonne frénétiquement.

Momo, Bernie et les autres membres associatifs restent persuadés que la politique d’évacuations à tour de bras est inefficace. Pire, elle contribue à invisibiliser et exclure davantage une population déjà vulnérable. La préfecture, elle, campe aussi sur ses positions : “En évacuant ces squats, un message clair et sans ambiguïté [est envoyé] aux réseaux de traite des êtres humains”, dit-elle, estimant mener ainsi une politique de dissuasion “équilibrée qui porte ses fruits” puisque l’augmentation du nombre de primo-demandeurs d’asile est passée à 4 % en 2019 contre 28 % en 2018 en Gironde.

La région Nouvelle-Aquitaine a reçu 4 082 demandes d’asile depuis le 1er janvier soit une augmentation de 2,7% par rapport à 2018). Les principaux pays d’origine des demandeurs sont, cette année, la Géorgie, la Guinée, le Nigéria et l’Albanie.

 

InfoMigrants

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