Sous la pression de l’extrême-droite, la mairie a annulé le concert du rappeur lors des commémorations de la bataille de Verdun, en raison de « risques forts » de troubles à l’ordre public.
Black M ne se produira pas lors des commémorations officielles du centenaire de la bataille de Verdun, le 29 mai. Après plusieurs jours de polémique, la mairie a annoncé, vendredi 13 mai, l’annulation du concert du rappeur. Issu du groupe Sexion d’Assaut, Black M a vendu plus de 500 000 exemplaires de son album Les Yeux plus gros que le monde. Le 29 mai, des milliers de jeunes doivent participer aux commémorations de Verdun, auxquelles seront présents le président François Hollande et la chancelière allemande, Angela Merkel. Retour sur cette polémique.
L’extrême droite demande l’annulation du concert
C’est l’extrême droite qui est à l’origine de cette polémique. Le 10 mai, le site identitaire Français de souche explique « pourquoi le rappeur Black M n’a pas sa place » aux cérémonies de Verdun, en mettant en avant des propos qualifiés « d’homophobes » ou péjoratifs à l’égard de la France. Le lendemain, Marion Maréchal-Le Pen, députée Front national (FN) du Vaucluse, et le sénateur frontiste des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier, demandent à leur tour à l’Elysée d’annuler le concert de Black M. Ils dénoncent, dans un communiqué, non seulement « le choix d’un rappeur », « évidemment très critiquable pour un événement de ce type », mais aussi une formule utilisée par le rappeur dans l’un de ses titres :
« Dans la chanson “Désolé”, ce même “Black M” qualifie la France de “pays de kouffars”, terme très péjoratif signifiant “mécréants”, utilisé dans la propagande anti-occidentale de Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique]. Il est inconcevable qu’un “artiste” qui insulte aussi violemment la France participe à un quelconque événement officiel de commémoration de notre Histoire nationale et d’hommage à nos combattants. »
La présidente du FN, Marine Le Pen, a jugé ces mêmes propos du rappeur « extrêmement injurieux à l’égard des Français », et le numéro deux du parti, Florian Philippot, a qualifié sa présence aux commémorations de « crachat contre un monument aux morts ». De Robert Ménard à Nadine Morano, d’autres voix, essentiellement issues de l’extrême droite et d’une partie de la droite, se sont jointes aux critiques.
Un petit-fils de Poilu porte plainte
Le 12 mai, le petit-fils d’un Poilu demande à la justice de suspendre le concert. Selon son avocat, Antoine Beauquier, qui a saisi le tribunal administratif de Paris, la présence du rappeur « dont la seule ambition est de s’amuser à Verdun, et dont on peut légitimement craindre qu’il use de termes outrageants pour la mémoire des soldats, serait particulièrement inopportune, sinon attentatoire à l’ordre public. »
Dans un entretien accordé à L’Est républicain, le chanteur avait invité, lundi, ses détracteurs à venir à son concert. « Qu’ils aiment ou pas ma musique : on va s’amuser », avait-il lancé.
Le maire de Verdun défend « un choix collégial »
Face aux critiques, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, affirme mercredi que « ce n’est ni l’Etat, ni le gouvernement, ni le président de la République qui ont choisi tel ou tel chanteur ». Faux, rétorque le maire de Verdun, Samuel Hazard (PS), qui assure que le nom « a été proposé par l’Etat », et que le choix de Black M a été collégial :
« Cette proposition a été faite à la ville de Verdun. Ce n’est pas l’Elysée ou un ministre qui a lancé l’idée, mais ça vient de l’Etat. Puis la décision a été prise collégialement dans le comité interministériel Verdun 2016 en avril, avec la Mission du centenaire, l’Etat, le département et les collectivités. »
Opérateur de l’Etat pour ces commémorations de la première guerre mondiale, la Mission du centenaire assure pour sa part que « la décision de faire venir Black M a été prise par l’agglomération du Grand Verdun ». Jeudi, la mission a décidé de ne pas lui accorder une subvention de 67 000 euros demandée pour le concert, sur un budget total de 150 000 euros.
La mairie annule le concert
Vendredi 13 mai, la mairie de Verdun a finalement annoncé l’annulation du concert. Une décision prise jeudi soir lors d’une réunion de la majorité, rapporte L’Est républicain. Dans un communiqué, la mairie invoque des « risques forts de troubles à l’ordre public », en raison d’une « polémique d’ampleur sans précédent » et d’un « déferlement de haine et de racisme ».
Dans L’Est républicain, Samuel Hazard explique que le standard de la mairie est depuis plusieurs jours « saturé d’appels insultants ». « Je suis menacé physiquement par ces appels. Des groupuscules menacent même de venir troubler l’ordre public », précise l’édile, qui estime avoir été « lâché » par le secrétariat d’Etat aux anciens combattants et la Mission du centenaire.
La réaction de Black M
« Je ne peux rester sans réponse face aux propos d’une extrême violence, tenus à mon égard, ces derniers jours. Je suis d’autant plus attristé par cette situation qui peut aujourd’hui toucher des milliers d’autres Français. Moi, Alpha Diallo, enfant de la République et fier de l’être, souhaite, par ce communiqué, faire barrière à ces propos haineux. »
Dans une lettre ouverte publiée sur les réseaux sociaux, Black M a rappelé que son grand-père a combattu durant la seconde guerre mondiale, parmi les tirailleurs sénégalais. Le chanteur déplore les « propos haineux » dont il a été victime ces derniers jours. Il rappelle qu’il a été « éduqué par la France, terre d’accueil de [s]es parents, terre qui [l]’a vu grandir et permis de vivre de [s]a passion ». Il précise avoir « ressenti une immense fierté lorsque l’on a fait appel à [lui] pour participer à un concert en marge de la commémoration de la bataille de Verdun, pour l’ensemble des jeunes Français et Allemands. » « Une polémique incompréhensible et inquiétante a malheureusement entraîné l’annulation de ma participation à cette manifestation », relève-t-il.
Le Monde