Ils ont quitté leur pays alors qu’ils étaient de jeunes adultes, voire adolescents pour certains, dans l’espoir de construire un avenir meilleur en France. Arrivés durant les Trente Glorieuses pour reconstruire un pays meurtri par la Seconde Guerre mondiale, ils ont passé toute leur vie à travailler. Aujourd’hui à la retraite, ces « invisibles », ces « sans-voix » n’ont pas retrouvé leur terre natale. Un choix pour certains, une obligation pour d’autres.
1. LEUR FRANCE
« Extraordinaire », « formidable », « très beau », « le froid », « la solitude », « les baraquements »…
l’arrivée en France est un choc. Parfois à peine majeurs, ces jeunes travailleurs découvrent un autre pays, une autre culture, mais aussi une autre langue. Surtout, ils se retrouvent seuls, « sans parents », « sans famille ». Très vite, la raison de leur exil les rattrape : le travail. Il faut « envoyer de l’argent » à ceux qui sont restés au pays. À l’époque, « les patrons viennent embaucher dans les cafés », on pouvait « changer de patron deux à trois fois par jour ». Bâtiment, travaux publics, industrie, agriculture… Ces jeunes hommes, en pleine force de l’âge, ne rechignent pas à la tâche, qu’ils soient déclarés ou non. Travail physique, parfois au noir, accidents… leur vie professionnelle n’est pas de tout repos.
Dans les années 1950, les besoins de main-d’œuvre sont énormes. Pour l’État français, se pose très vite la question de l’hébergement de ces travailleurs immigrés, dont le séjour se veut provisoire. De nombreux bidonvilles voient le jour en périphérie des grandes agglomérations, comme celui de Nanterre en 1953. Entre 1950 et 1970, les foyers de travailleurs migrants sont construits notamment par le biais de la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotral ), un organisme aujourd’hui appelé Adoma. Des associations, comme l’Association Rhône-Alpes pour le logement et l’insertion (Aralis) dans la région lyonnaise, voient alors le jour pour offrir un hébergement décent aux immigrés.
Il s’agit le plus souvent de dortoirs ou de minuscules chambres individuelles, avec des espaces communs comme la cuisine et les sanitaires. Mais ce qui devait être un logement temporaire est devenu « leur chez-soi ». Certains ont passé toute leur vie dans la même chambre. Des lieux de vie devenus aujourd’hui inadaptés à leur âge. D’autres ont eu la chance de pouvoir louer des appartements. Parfois dans l’espoir de faire venir leur femme et leurs enfants, restés au pays.
À l’époque, tout le monde pensait que ces travailleurs allaient finir par tous rentrer chez eux. Il n’y avait donc aucun intérêt à essayer de les intégrer localement, de créer un lien avec ceux qui n’étaient là que de manière temporaire.
2. DES FAMILLES DISLOQUÉES
Les travailleurs immigrés sont arrivés seuls en France. Ces jeunes hommes, persuadés de n’être que de passage en France, ont fondé leur famille au pays, au gré de mariages arrangés. Car dans la plupart des cas, ils connaissaient à peine, voire pas du tout leur future femme.
Pendant les premières années, ils ne voyaient leurs épouses que lorsqu’ils rentraient au pays. Certains ont eu la chance de bénéficier du regroupement familial pour faire venir femme et enfants à leurs côtés, d’autres vivent toujours loin des leurs. Une solitude encore plus pesante avec l’âge.
3. LE « MYTHE » DU RETOUR AU PAYS
Couler une douce retraite au pays auprès des leurs, ces vieux immigrés en ont rêvé. Ils en ont parfois l’envie mais, pour certains, cela reste impossible. Pour ceux qui ont eu la chance de faire venir leur famille en France, vivre ici est un choix. Les autres ont renoncé à leur terre natale faute d’une pension suffisante, d’une bonne santé ou plus simplement d’attaches dans leur pays d’origine. Ils finissent souvent leurs jours dans des foyers de travailleurs, inadaptés à leur âge ou à leur état de santé.
4. LES VIEUX JOURS SOLITAIRES
Aujourd’hui, que reste-t-il de leur vie de labeur ? À l’heure de la retraite, des milliers d’entre eux se retrouvent confrontés à l’isolement, parfois même à une extrême précarité. Beaucoup de retraités touchent l’Aspa , l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Cette aide, versée en complément à la retraite, leur permet de toucher l’équivalent du minimum vieillesse, soit 787,26 euros mensuels pour une personne vivant seule. Or, le versement de l’Aspa (comme de nombreuses prestations sociales) est soumis à l’obligation d’avoir une résidence « stable et régulière”, c’est-à-dire de résider en France au moins six mois par an (décret du 18 mars 2007). Une clause dont nombre d’entre eux ignoraient totalement l’existence.
À l’issue de contrôles de résidence ou de ressources, des milliers d’entre eux se sont vus suspendre le versement de cette aide et réclamer le remboursement de la totalité des sommes perçues. Un drame pour ces migrants âgés, dont la grande majorité ne sait ni lire ni écrire.
Longtemps restés invisibles, ces vieux migrants font aujourd’hui l’objet d’une certaine attention des pouvoirs publics. Après six mois d’enquête, un rapport parlementaire contenant 82 propositions en faveur de migrants âgés a été publié en juillet 2013.
S’appuyant sur ce rapport parlementaire, l’exécutif a promis d’apporter une réponse au problème des allers-retours dans le pays d’origine. Une circulaire a également été publiée pour éviter les contrôles au faciès et les descentes de police dans les foyers, des pratiques fréquemment dénoncées par les associations.
AURÉLIA VERBECQ,
PSYCHOLOGUE SPÉCIALISÉE EN INTERCULTURALITÉ
L’association, c’est leur seconde famille”
« Beaucoup sont venus travailler pour subvenir aux besoins de la famille qui, elle, est restée là-bas. Ils continuent à envoyer de l’argent par loyauté familiale et à entretenir le mythe de la réussite en France : on n’est pas venu ici pour rien, on ne s’est pas séparé des siens pour rien. Ce sont des hommes qui sont venus à 17-20 ans. À l’âge de la retraite – ils ont 70 à 80 ans – ils ont vécu plus de temps en France que dans leur pays d’origine. Je pense qu’ils ne pourraient pas revivre là-bas car le décalage serait bien trop grand. Ils ont quitté un pays, ils y retournent seulement deux-trois ou peut-être six mois par an. Sans compter le facteur vieillesse. Qui dit vieillesse dit problématique du corps, des soins. Même s’ils ont une famille nombreuse au pays, le sentiment d’isolement et de solitude est extrêmement présent. C’est pour cela qu’ils se retrouvent au café social. L’association, c’est leur seconde famille ».
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