Mercredi soir, une soirée organisée à La Pause Parisienne a tourné court : face au refus de faire entrer des clients, en majorité non blancs, les DJ ont préféré partir. L’établissement réfute toute discrimination.
Un bar raciste en plein cœur de Paris ? Alors que ce 9 juin, synonyme de nouvelle étape du déconfinement, devait être festif avec un couvre-feu reporté à 23 heures et la possibilité pour les bars et restaurants d’accueillir des clients en intérieur, la soirée a tourné court pour de nombreuses personnes venues assister à la réouverture de La Pause Parisienne. Cette péniche, installée le long de la Seine, quai Anatole-France (VIIe arrondissement), accueillait une soirée notamment organisée par l’agence, média et label Cimer.
Selon les posts publiés sur les réseaux sociaux au sujet de l’événement, l’entrée était gratuite sur inscription avant 20 heures, puis au prix de 10 euros après cette échéance. En parallèle, le restaurant avait mis en place un système de réservation de tables à un prix beaucoup plus élevé. Les trois DJ invités pour animer la soirée « proposent de la musique hip-hop, afro, dancehall », nous décrit Cab, un étudiant de 25 ans qui s’était inscrit pour participer à la soirée.
Problème : à en croire deux des trois artistes, qui ont rapporté le déroulé des faits sur Instagram, les personnes qui s’étaient déplacées pour assister aux sets n’auraient pas vraiment plu au gérant de l’établissement. Sur le réseau social, Dre Tala raconte que le bar était vide à son arrivée, alors que l’autre DJ, Armel Bizman, s’était déjà installé aux platines. La soirée, censée commencer à 18 heures, a pris du retard et la file d’attente s’est allongée devant l’établissement. Lorsqu’il a demandé au directeur ce qu’il se passait, Dre Tala se serait vu répondre que le gérant était en train d’opérer « un gros écrémage » car les clients ne lui plaisaient pas : « La population est trop urbaine, trop caillera », lui aurait-on asséné.
Les DJ quittent le lieu
Quelques minutes plus tard, selon le récit de Dre Tala, le gérant a précisé sa pensée : « On ne m’avait pas vendu ça, on m’avait vendu une soirée avec des bobos parisiens en chemise, une population deep house ». C’en est trop pour le musicien, qui a préféré partir à ce moment-là. De son côté, Armel Bizman, premier de la soirée à mixer, n’a vu rentrer qu’un petit groupe de personnes, mais pas ses amis, qui attendaient toujours dehors.
A 18h30, après 30 minutes aux platines, il s’est entendu dire : « J’ai peur que si on sert de l’alcool à cette clientèle, elle veuille se battre », raconte-t-il sur Instagram. Ni une, ni deux, le DJ a débranché son matériel et est parti en faisant entendre son mécontentement. Quant à Cimer ! – l’un des organisateurs de la soirée -, il a réagi sur son compte Instagram, assurant ne pas être d’accord avec « les choix et les propos qui ont été tenus à l’entrée de La Pause Parisienne ».
« Il ne s’agit en aucun cas d’un acte raciste », se défend le restaurant dans un communiqué de presse. Le problème vient, selon l’établissement, de l’organisation et du système de réservations. En raison des restrictions encore en vigueur, la péniche ne pouvait accueillir que 173 personnes, soit 48 tables. Or, comme nous l’a confirmé l’un des témoins sur place, « il y avait au moins 200 à 300 personnes devant l’entrée » et, selon le restaurant, 1600 personnes s’étaient inscrites via le système mis en place. Système dont le restaurant affirme n’avoir eu connaissance que très tardivement.
Par ailleurs, toujours au vu des conditions sanitaires, les clients devaient obligatoirement être installés à table, selon l’établissement. Ce dernier a donc choisi de privilégier « les réservations avec bouteilles sur table » qui étaient « complètes plusieurs jours avant l’événement » et a dû, « avec regret », refuser l’entrée des autres personnes.
C’est également sur la question de l’organisation que le restaurant justifie le départ des DJ. Selon la communication de La Pause Parisienne, le problème venait du fait que les artistes souhaitaient « inviter leurs amis, qu’il fallait forcément asseoir à des tables », tables qui étaient déjà réservées, donc. Quant à savoir si le prix des tables a augmenté au cours de la soirée, comme nous l’assure Cab, pour « mettre des bâtons dans les roues », la communication de l’établissement nous affirme ne pas connaître les prix en vigueur durant cette soirée.
Du côté de la file d’attente, les informations arrivaient en tout cas au compte-goutte et en version édulcorée. Cab, pourtant présent très tôt, n’a pas pu entrer. « Avant même de pouvoir présenter notre inscription, on nous a demandé de nous mettre sur le côté, pour laisser passer ceux qui avaient réservé une table », nous raconte-t-il. « C’est vrai qu’il y avait du monde, on ne serait de toute façon pas tous rentrés », constate l’étudiant.
Autre argument avancé pour faire le tri : le refus de faire entrer ceux qui portaient des baskets. « On est une communauté hip-hop, on vient en baskets », nous explique-t-il. « Personne n’était en jogging », complète de son côté Dre Tala dans sa story Instagram. « On voyait que seuls des habitués étaient autorisés à rentrer… Et des personnes pas racisées », se souvient Cab. « C’est la première fois qu’il m’arrive ce genre de chose… On est en 2021, c’est décevant », commente le jeune homme.
Rapidement, la jeune fille, qui d’ordinaire n’hésite pas « à aller au front face à l’injustice » a préféré partir, pour aller faire la fête ailleurs. Un choix que de nombreuses personnes présentes ont également fait, dans le calme. « On les a juste hués, puis on est partis de notre côté, pour prouver qu’on était au-dessus. On n’a pas que ça à faire de saccager cet endroit », complète de son côté Cab. Finalement, une contre-soirée a été organisée aux Tuileries, en présence des DJ Dre Tala et Armel Bizman.
Par Lucile Descamps