Il est alimenté par les femmes comme par les hommes et pas seulement occidentaux. C’est aussi une économie parallèle aux conséquence parfois irréversibles…
Tourisme sexuel? Ces mots sont bien souvent empreints d’un étrange exotisme. Comme si l’indicible, les actes les plus odieux, se passait à des dizaines de milliers de kilomètres sur des palanquins, dans de vaporeuses fumées d’opium. Nul besoin pourtant, d’avoir recours aux clichés orientalisants. Ce tourisme d’un genre bien particulier se développe massivement à deux pas de chez nous, de l’autre côte de la Méditerranée. Deux à trois heures d’avion et le tour est joué.
«Certains pays asiatiques, comme la Thaïlande, deviennent de véritables pôles magnétiques pour le tourisme sexuel, souligne Le Quotidien d’Oran. Tout cela comme si, de manière consciente ou non, la machine médiatique s’efforçait de reléguer géographiquement ces pratiques en les cantonnant à un ailleurs lointain et régulièrement cité au tableau des catastrophes et corruptions en tout genre. Et, bien entendu, pas un seul mot ou presque sur ce qui se passe au sud de la Méditerranée.»
Loin des stéréotypes propagés par le cinéma ou la littérature, le touriste sexuel ressemble bien souvent à Monsieur ou Madame Tout-le-Monde. Il n’est pas plus l’apanage d’un sexe que d’une classe. Combien de femmes sexagénaires sont fières d’exhiber à l’aéroport le «petit tunisien» dont elles tripotent le corps? Ce «tourisme» est banalisé.
Un problème à l’échelle du continent
Un jour à Cotonou, je me suis retrouvé assis dans l’aéroport à côté d’un tatoueur volubile qui faisait le tour du monde du sexe tarifé. Le tour du monde des pays pauvres s’entend. Il m’a expliqué, sans que je lui pose la moindre question, qu’en dix jours il «s’était fait» une vingtaine de filles. Celui qui se présentait comme un «chasseur de gazelles» était très «content du rapport qualité/prix offert par les Béninoises». Même si l’une des filles s’était révélée un peu décevante, Il était «globalement satisfait de la qualité de la marchandise» et allait recommander la destination à ses amis. Totalement désinhibé, il aurait très bien pu répondre aux questions du magazine 60 millions de consommateurs. Dans un bar de Cotonou, une serveuse gagne 15 euros par mois, dans ces conditions le touriste européen n’a pas de mal à se faire à grande vitesse de nouvelles amitiés.
Du Maghreb à l’Afrique de l’ouest, le tourisme sexuel s’est complètement banalisé, d’autant plus vite que l’impunité est grande. Il n’est pas l’apanage des Occidentaux. Les ressortissants des pays du Golfe font eux aussi leur«shopping» en Tunisie, au Maroc et au Sénégal.
«Il faudrait être hypocrite pour affirmer ne s’être jamais trouvé dans un restaurant à la mode ou celui ou celle venu(e) du Nord offre un généreux repas à un gamin du coin…mais chut silence! Nous sommes priés de détourner les yeux et de n’en parler qu’à l’abri des murs. Quant à Marrakech…Les récits qui courent au Maroc sur les avanies que subissent des mineurs derrière les murs de certains riads cossus sont épouvantables» souligne Le quotidien d’Oran.
Au Sénégal, le tourisme sexuel est devenu une source essentielle d’argent. Dans une station balnéaire telle que Saly (à 80 kilomètres de Dakar), il est très visible. Présente elle aussi, la pédophilie se pratique beaucoup plus discrètement. La justice sénégalaise a arrêté plusieurs pédophiles occidentaux. Dans la Gambie voisine où l’Etat de droit est totalement absent, les pédophiles opèrent bien davantage à leur aise. Selon un rapport de l’UNICEF, «la Gambie est une cible de choix pour les pédophiles. Ils cherchent une destination discrète pour commettre leurs crimes en toute impunité». Ce petit pays est d’autant plus attrayant pour eux que ce qui s’y passe est très peu médiatisé.
Une autre étude de l’UNICEF montre que 70% des Gambiens qui travaillent dans le tourisme considèrent que le sexe est l’une des principales motivations des étrangers qui viennent dans le pays et que les jeunes Gambiens «trouvent très chic d’être vus avec des Blancs». Près de 100 000 touristes débarquent chaque année dans ce pays d’un million d’habitants. Il s’agit essentiellement de Britanniques, de Suédois, de Norvégiens, de Danois, de Finlandais, de Néerlandais et d’Allemands.
«Dans les hôtels pour touristes de Gambie, à l’heure du petit-déjeuner, on est frappé de voir le nombre de vacanciers célibataires. Des hommes et des femmes, blancs, la cinquantaine ou la soixantaine, assis tout seuls devant leur bol de céréales, rapporte The Guardian. On se demande qui ils ont laissé derrière eux. L’après-midi, on comprend mieux ce qu’ils attendent en retrouvant les mêmes messieurs autour de la piscine, faisant appliquer de la crème solaire sur leur dos cramoisi par des adolescentes gambiennes habillées en danseuses, l’air tout droit sorties d’un clip de la chanteuse Beyoncé. Quant aux Européennes – que l’on appelle ici des‘Marie-Claire’ elles sont entourées de trois ou quatre jeunes hommes à dreadlocks. C’est pourquoi une partie de la jeunesse gambienne attend avec impatience les jeudis et les vendredis, jours où les avions partis de Gatwick déversent leur contingent de vacanciers sur la ‘smiling coast’.»
La violence symbolique du tourisme sexuel
Plus que l’âge des «proies», ce qui choque le plus les populations locales c’est la violence symbolique de cette transaction.«Cela montre que l’argent permet de tout acheter dans l’impunité la plus totale» s’emporte Abdou, un habitant de Saly.
«J’ai trois maisons. La première, c’est une Allemande qui me l’a offerte. La seconde, c’est une Britannique. La troisième, c’est une Suissesse» me déclarait fièrement l’un d’entre eux.
Guère difficiles à rencontrer, ils déambulent sur les plages en short et torse nu. Quand ils ne font pas des pompes, ils passent de la pommade -de la crème solaire- sur le dos des Européennes. Leur succès économique fait grincer bien des dents.
Depuis que le business du sexe a pris son essor à Saly, le prix de l’immobilier s’est envolé. Du coup, les autres habitants de la région ont de plus en plus de mal à se loger, notamment les pêcheurs. Traditionnellement, cette région côtière vivait de la pêche, or les eaux de la région sont de moins en moins poissonneuses. Du coup, les «hommes de la mer» ont de plus en plus de mal à faire vivre leurs familles, malgré les risques qu’ils prennent. L’étalage de l’argent facile des gigolos les irrite d’autant plus.
Dans les boîtes de nuit de la région, les chasseurs de sexe se croient tout permis. Même si une fille est déjà accompagnée, ils lui font des propositions. Si son entourage se révolte, ils deviennent agressifs, sûrs de leur bon droit. Allant jusqu’à dire qu’ils peuvent tout se permettre parce qu’ils travaillent pour des ambassades occidentales. Même si c’est le plus souvent totalement faux. Un argument révélateur d’un état d’esprit et d’un sentiment de toute puissance.
«A cause du tourisme sexuel, la haine des Occidentaux gagne du terrain. Des campagnes de presse de plus en plus violentes se développent» souligne Aicha, une habitante de Saly. En terre musulmane, l’étalage de sexe tarifé choque les populations et fait le jeu des islamistes les plus radicaux. Cette arrogance est d’autant plus dangereuse que nombre d’Occidentaux ont décidé de vivre une grande partie de l’année dans ces «paradis ensoleillés». Au Maroc, en Tunisie et au Sénégal, des dizaines de milliers de Français ont pris leur retraite. Il serait regrettable qu’ils fassent les frais des ressentiments populaires.
Source :Slate